On pourrait penser qu’un concept aussi ancien et omniprésent dans nos vies que la propriété privée serait clair et limpide pour tout le monde ; diverses conversations récentes me montrent que non.
Il me semble que dans la plupart des esprits, la propriété privée est plutôt associée au concept de possession : « je suis propriétaire de ma maison » reviens au même que « je possède ma maison ».
Même si dans le langage courant c’est effectivement assez proche pour ne pas poser question, il en va autrement quand on cherche à mieux comprendre le libéralisme et sa théorie sous-jacente.
Il faut alors commencer par se souvenir que la liberté repose sur une théorie du droit individuel, lequel peut être matérialisé dans les nombreux contrats qui lient chaque individu avec ses relations, son « monde extérieur », sa « société civile », ainsi que ses assureurs et agences de protection.
Or la propriété privée est par nature un droit, c’est même le seul type de droit de base. Un droit définit ce qu’une personne peut légitimement faire ou pas d’une chose, d’une « ressource ». La propriété n’est donc pas une simple possession, comme dans « j’ai une tomate », mais une légitimité à contrôler, à décider ce que l’individu peut faire de cette tomate. Elle sert non pas comme base de la comptabilisation d’un inventaire de possessions, mais comme base de l’action (décision) humaine.
Grâce à cette caractéristique, elle peut être la base des contrats – elle est même la seule. La seule, parce qu’un contrat, cela établit qui des contractants échangera quels droits sur quelles ressources, à quels moments et à quelles conditions, c’est-à-dire quels échanges de légitimité à décider de quoi faire desdites ressources : c’est la propriété même, elle n’est rien d’autre. On me dira qu’un contrat peut être parfois plus que cela : mais un contrat qui ne reposerait pas sur la propriété ne permettrait pas de se prémunir de la possibilité de vol et de toutes les formes de fraude qui sont de cette nature.
Ainsi définie, la propriété peut porter sur notre propre corps : je suis propriétaire de mon corps en ce sens que je suis son exclusif décideur ou acteur légitime. Et bien sûr me blesser ou me prendre un organe ou un membre serait une violation de ce droit exclusif. Et elle résulte de mon travail : ce que j’ai fait d’une ressource avec mon corps est ma propriété puisque le produit de ma décision d’action.
Au-delà, la propriété privée est très liée aux points fondamentaux de toute la théorie libérale que sont « les deux axiomatiques ». La première, celle de l’argumentation, découverte par H-H. Hoppe, établit le caractère incontestable de la propriété de soi comme produit de nos échanges verbaux avec autrui.
Chaque fois que je discute avec vous, et vous avec moi en retour, votre acceptation de la discussion suppose sans esquive votre reconnaissance de ma maîtrise sur moi-même pour discuter. Les relations sociales, même justes verbales, ne peuvent se faire sans reconnaître l’autre comme propriétaire de lui-même – et à l’inverse sans qu’il nous reconnaisse comme notre propriétaire. Par extension, les relations sociales « normales » posent le respect d’autrui, c’est-à-dire de ce qui est communément appelé le principe de non-agression, qui fonde toute l’éthique sociale libérale.
Enfin, cette propriété permet de poser les bases de l’axiomatique de l’action qui fonde tout le pan économique de la théorie libérale. Décider d’une action sur moi devient possible, j’en ai le droit.
Pour résumer, il est important de bien voir que le concept de propriété privée qui est au cœur de la doctrine libérale traite de ce qu’on pourrait appeler la gouvernance sociale et non de la possession. C’est d’ailleurs là tout le sujet même de la liberté : la liberté, c’est avoir le droit de décider pour soi.
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