Monday, June 13, 2011

Le Sol-Violette - La Ville Rose a une épine de plus

La Mairie de Toulouse a depuis peu pris une initiative des plus écolo-socialisantes qui mérite qu’on s’y attarde un peu tant elle est croustillante et fleure la violette – hélas bien fanée. Le « sol-violette,» terme bien fleuri, qui fait référence à la fois à une monnaie ancienne et à Toulouse, est annoncé comme une expérience de « monnaie éthique » – et non monétique… Le sujet de la monnaie est souvent mal connu, tout comme l’économie éthique est souvent un prétexte à dire n’importe quoi. Qu’en est-il donc de notre sol-itude pourpre ?

Le site www.sol-violette.fr donne une belle image, on va le voir, mais après une ou deux tentatives sur Google on trouve une introduction tout aussi intéressante sur Entre Deux Nuages (http://entre2nuages.blogspot.com/2010/10/le-sol-violette-monnaie-solidaire-pour.html).

On y découvre que « le sol [serait] une monnaie éthique qui véhicule des valeurs de respect de l'environnement et de l'homme. Le sol est à lier à la notion de solidarité et violette est là pour rappeler sa spécificité toulousaine.» Cela se confirme, voilà bien un emblème qui fleure bon l’écologitude ambiante, tout un programme. Mais l’article continue :
« Comment ça marche ? Par le biais d'une carte type Monéo qu'on peut recharger avec des euros puis convertir en équivalent sol. Le crédit coopératif et le crédit municipal sont nos partenaires dans cet échange. Chacun pourra aller changer ses euros dans une des banques partenaires et obtenir des sols valables dans l'ensemble des enseignes du système sol. C'est une monnaie non capitalisable et qui n'aura pas de pièces ni de billets.(*) En achetant en sols dans les entreprises partenaires, le pouvoir d'achat sera plus important. Par exemple, pour une baguette de pain à 0.80€ chez un commerçant du système-sol. Cette baguette aurait un prix de 6 sols soit 0.60€ pour un « soliste » (qui paye en sols). Le but est de pousser à consommer différemment. »
(*) On verra plus bas que cette position a évolué, ainsi que le montant de correspondance entre euro et sol.

On comprend par ce premier extrait que le sol apporte un pouvoir d’achat en donnant la possibilité d’acheter certains produits moins cher. Cela semble sympathique, mais ne soyons pas naïfs, il faut bien que la différence soit payée par quelqu’un, mais on sait pas bien qui à cette première lecture. On parle d’éthique, mais quelle est donc cette éthique qui fait payer les uns pour les autres sans consentement de ces derniers ? Gardons cela à l’esprit, en remarquant la phrase de fin qui avoue « pousser » à consommer « différemment.» Mais là encore, pourquoi pousser les citoyens ? Si les produits concernés sont de bonne qualité ou de bonne « éthique,» cela doit pouvoir être reconnu par les consommateurs, donc dans ce cas, pourquoi les « pousser » ? Les gens ne sont-ils pas naturellement portés vers les produits les meilleurs, ou sommes-nous en train de dire que ces fameux produits ne seraient pas forcément si extraordinaires que cela ? Non, en fait, il sont bien sûr extraordinaires, mais on ne le savait pas, il faut donc nous « pousser » pour qu’on le sache, idiots que nous sommes.

Mais continuons cette lecture. Prochaine question : « Quel est le rôle des entreprises partenaires ? » Il se confirme que nous ne sommes pas dans une économie habituelle, puisque le rôle des entreprise pose question. On apprend donc que « leur rôle est de s'inclure dans la démarche solidaire.» Ah bon, elle n’en sont pas d’ordinaire ? Oublierait-on que ce sont les entreprises qui nous nourrissent, tous autant que nous sommes ? « Ensuite il nous faut trouver des partenaires utiles aux entreprises participantes pour qu'un maximum d'échanges se fasse entre les différents acteurs du système sol, en interne.» Ca sauf erreur, cela veut dire qu’il faut trouver des clients aux entreprises participant au sol. Pourquoi les clients ne viendraient-ils pas naturellement si le sol est si intéressant ? « Pour les taxes, rien ne changera, si le chiffre d'affaire d'une entreprise est de 1 000 € et 500 sols alors elle sera taxée à 1050€. La base d'un euro pour 10 sols restera fixe et imposable.» Ah, ici, nous somme rassurés, le système est équitable, les entreprises participantes n’auront aucun avantage fiscal. Pas de doute, voilà de quoi les motiver.

Continuons l’article où Jean-Paul Pra, adjoint au maire à l’origine de l’initiative s’exprime : « Quelle est votre volonté ? Je veux montrer qu'on est capable d'innover et d'amener les gens à valoriser les acteurs solidaires de Toulouse. L'idée est de permettre aux plus précaires d'avoir un pouvoir d'achat plus important. Nous voulons que tout le monde puisse avoir accès à la culture, à une alimentation locale et saine, aux transports en commun. Ceux qui échangent leurs euros en sols obtiendront un prix avantageux dans les commerces du réseau sol et accéderont à des produits qu'ils ne pourraient s'offrir en euros.» Que voilà beaucoup de messages passés en quelques mots. Qu’en penser vraiment ? Reprenons point par point :
-          « Je veux montrer … d'amener les gens… » : Bel exemple de processus démocratique où il ne s’agit ni de respecter la diversité ni d’informer le citoyen mais bien de le contraindre dans un sens choisi par le politique. Je croyais que seul le roi disait « je veux » ?
-          « permettre aux plus précaires d'avoir un pouvoir d'achat plus important » : Fort bien. Mais puisqu’on parle d’éthique et d’équité, que fait la mairie pour les autres citoyens ? Qui finance ce supplément de pouvoir d’achat et comment justifie-t-on l’éthique des impôts sous-jacents ? De quel droit la mairie se permet-elle de favoriser certains au détriment des autres ?
-          « Nous voulons que tout le monde puisse avoir accès à la culture, à une alimentation locale et saine, aux transports en commun » : Encore le verbe vouloir… Et qui donc empêche quiconque, avec les euros classiques, d’avoir accès à la culture et aux transports en commun ? On oublie par ce genre d’affirmation que l’acte d’achat est une décision personnelle et que euro ou sol, si les gens ne vont pas au théâtre ou à une exposition c’est avant tout parce qu’ils choisissent de ne pas y aller, peut-être parce que cela ne les intéresse pas. Pourquoi donc les y contraindre ou même les inciter, ceci de plus aux frais des autres administrés ? Où est la moralité d’une telle vision du monde ?
-          « des produits qu'ils ne pourraient s'offrir en euros » : Vraiment ? On vient de le voir, quels sont donc ces produits qu’on voudrait mais ne pourrait s’offrir en euro ? La vie est une suite de choix qui appartiennent à chacun, et personne n’a à intervenir, par le sol ou quoi que ce soit d’autre, pour influencer le choix des citoyens hors de ce qui serait leur choix spontané.

Un autre article, plus récent semble-t-il, (http://www.news-banques.com/toulouse-lancement-de-sol-violette-monnaie-pour-le-commerce-solidaire/012174924/) nous donne l’avis de la mairie et nous informe sur le sol en pratique : « La mairie avait annoncé dès le début avril sa décision de lancer cette opération pour « renforcer les échanges économiques locaux, respectueux des hommes et de la nature.» Voilà bien une idée farfelue. Alors comme ça, sans la mairie, les échanges ne seraient pas respectueux des hommes ? Mais qui donc échange si ce ne sont les hommes eux-mêmes ? Personne ne contraint jamais un citoyen à acheter sa baguette chez Carrefour ou Auchan plutôt qu’à la boulangerie du coin. Ceux qui le font ne sont pas irrespectueux du boulanger. Au contraire même, ils lui envoient un signal : tu es trop cher, ou trop loin, ou pas assez sympa, ou que sais-je.

Mais continuons : « Avec cette monnaie alternative, nous voulons ouvrir une réflexion sur ce que peut être l’argent en terme d’échange et ancrer l’économie sur le territoire », a déclaré Pierre Cohen […] en compagnie de Jean-Paul Pla, conseiller municipal délégué à l’économie sociale et solidaire.» Cela se confirme, le verbe « vouloir » est à nouveau au rendez-vous, la démocratie est partie en vacances avant l’été. De plus, cela montre que nos chers (très chers même) élus ne comprennent pas ce qu’est vraiment l’argent, la monnaie et peuvent retourner à leurs cours d’économie. « Les deux élus ont présenté trois billets de 1, 5 et 10 sols réalisés par l’artiste Yann Normand. La mairie a mis 27.000 sols en circulation pour les Toulousains dans un premier temps et un bilan sera fait après six mois d’expérimentation.» C’est vrai que ça valait bien la peine de faire appel à un artiste et d’engager des dépenses pour 27 mille euros de monnaie – le prix de deux petites voitures – comme si cela pouvait avoir un quelconque impact. On est dans l’événementiel et la propagande purs ici, mais aucunement dans l’économie. Passons aussi sur le risque de copie et de fausse monnaie, si les beaux billets artistiques sont trop aisément copiables, ce qui est probable. Que le journaliste ne pose pas une telle question est déjà une surprise en soi.

« L’objectif est de créer un circuit d’échange court et un réseau suffisant pour que le commerçant qui reçoit le sol puisse à son tour le dépenser chez des partenaires professant les mêmes aspirations. On compte parmi les partenaires des commerces d’alimentation spécialisés dans le bio ou le commerce équitable les entreprises d’autopartage ou de promotion du vélo, la médiathèque, des bibliothèques, des cinémas alternatifs et musées. Un partenariat est envisagé avec la régie de transports en commun Tisseo.» On passera sur le charabia pseudo-économiste – la notion de circuit d’échange n’a aucune réalité économique – pour constater que les ‘partenaires’, à part le bio, dont l’actualité nous montre en ce moment même les limites, on ne trouve guère que  des services publics ou subventionnés. Belle aventure économique en effet. Ah mais c’est vrai, ces salauds de capitalistes ne voient pas leur intérêt, il va donc falloir les enrôler de force, leur rappeler « notre volonté.»

Revenons sur le site de sol-violette pour y admirer la propagande qui y est faite pour cette invention révolutionnaire (http://www.sol-violette.fr/le-reseau/pourquoi-accepter-le-sol)
Selon le site, « le Sol-violette : »
-          « 1. FIDELISE les clients d'un réseau d'acteurs solidaires et respectueux de l'environnement. "Avec le SOL, je fidélise de nouveaux clients"» : Peut-être. Ou peut-être pas. Si les commerçants concernés fournissent de mauvais produits, on peut douter qu’ils fidélisent quiconque. Mais inversement, si leurs produits ont un bon rapport qualité-prix, à quoi bon le sol ? La vérité, c’est qu’il est probable que les personnes bénéficiant du sol, supposées dans le besoin, auront ainsi accès à des produits dont personne d’autre ne veut.
-          « 2. RECONNAIT vos pratiques responsables et éthiques. "Je fais partie d'un réseau d'acteurs qui portent les même valeurs que moi"» : Mais qu’est-ce donc qu’être responsable ? Ou éthique ? Si être éthique c’est prélever des taxes sur certains citoyens pour permettre à d’autres, choisis sur des critères obscurs, de bénéficier de services exclusifs, alors on peut penser que beaucoup seront fiers de ne pas être « éthiques.»
-          « 3. VALORISE votre image, votre réputation par son caractère innovant et médiatique. "Le SOL ? tout le monde en parle !"» : Voilà bien un argument inattendu et paradoxal ! Quoi ? On critique la culture du paraître, du superficiel, des fausses valeurs et parmi les premiers arguments vient celui de la mode ? Mais en quoi cela peut-il donner une quelconque légitimité ?
-          « 4. AFFECTE la monnaie à un circuit local en la retirant des marchés financiers. "le Sol c'est de l'argent pour chez nous et pas pour Wall Street"» : Cela n’a aucun sens et montre une totale incompréhension de la réalité économique – ou une belle mauvaise foi. Les sols ne seront pas sortis de l’économie ni des finances. La preuve, il faudra les reconvertir en euros pour payer ses taxes, belle ironie. Les commerçant devront aussi les convertir pour payer leur essence, leurs salariés, leur farine pour les boulangers. On n’échappe pas à l’économie.
-          « 5. DESENDETTE les acteurs économiques car ils ne payent plus d'intérêt pour sa création. "Utilisez le SOL, c'est s'engager"» : Mais de quoi parle-t-on ? Si l’allusion vise l’euro, alors il y a là encore une idée reçue fausse. Le paiement d’intérêts monétaires est une conséquence de la mauvaise gestion des gouvernements et collectivités, cela n’a rien à voir avec la monnaie.
-          « 6.  CIRCULE plus rapidement et donc favorise  les échanges. "Avec le SOL je vends plus de produits qui respectent la vie !"» : Cela a toutes les chances d’être faux. Soit j’ai confiance en ce sol et dans ce cas j’ai intérêt à le conserver pour économiser par rapport à l’euro. Soit il me brûle les doigts au contraire et dans ce cas personne n’en voudra. Lorsque deux monnaies coexistent, ils y a toujours concurrence entre elles et leurs valeurs respectives évoluent en fonction de la confiance dont elles font l’objet. L’euro et le sol ont la même valeur ? Dans ce cas, pourquoi s’embêter avec des sols ? Le sol n’a d’intérêt que s’il apporte quelque chose en plus. S’il le fait, la demande explosera et le marché noir s’en emparera. Ou les faux-monnayeurs.
-          « 7. EST COMPLEMENTAIRE à l'euro car il compense sa rareté dans l'économie réelle. "Ah ! Le SOL ne remplace pas l'euro !"» : Mais de quelle rareté parle-t-on ? Celle de l’euro ? Foutaises, puisqu’on explique que pour avoir des sols, il faut avoir cédé l’équivalent en euros, c’est donc le sol qui rend les euros plus rares puisqu’il les laisse à la banque.
-          « 8. EST CONVERTIBLE et garanti en euro. "Un SOL = Un euro"» : On en reparlera. Si, comme c’est probable, de la fausse monnaie circule, cette équivalence ne durera pas longtemps. Et les porteurs de sols seront sinon ruinés du moins volés.
-          « 9. EST DEMOCRATIQUE car ses acteurs (acheteurs, vendeurs, financiers et institutions) gèrent collectivement son fonctionnement. "Dans les réunions du sol, mon avis est pris en compte !"» : Ah voilà un argument bien caractéristique de la perversion démocratique ambiante. Cela veut dire que seule la minorité présente aux conseils d’administration – ou équivalents – du sol aura le pouvoir d’accorder ou pas le privilège de l’accès au sol. Belle démocratie en effet, qui ouvre toutes grandes les portes de la corruption, du marché noir et de l’arbitraire. Vous voulez faire de l’économie éthique ? Commencez donc par laisser faire le commerce traditionnel sans intervenir. Dans l’économie traditionnelle et libre, ce sont les consommateurs qui votent à chaque instant pour élire – en achetant – les produits et les commerçants qui leur conviennent le mieux.
-          « 10. INVESTI dans le réseau par une contribution à l'épargne solidaire. "J'ai reçu un prêt et une subvention en SOL !"» : Ne dit-on pas plus haut qu’on veut sortir de Wall-Street ?
-          « Nous participons tous activement à une solution locale d'une crise mondiale.» : Le meilleur pour la fin. Quel est donc le rapport entre la crise et le sol ? La crise mondiale est uniquement due à l’endettement excessif des états et collectivités depuis trente ans et n’a rien, mais alors rien à voir avec le bio ou le cinéma de quartier. Cessons de tout mélanger pour nous faire avaler des couleuvres toujours plus grosses.

En conclusion ? Le sol fait montre d’une ignorance crasse en matière économique dont on peut se demander si elle ne relève pas plutôt de la pure mauvaise foi. On ne peut guère qu’y voir une idée fausse de plus exploitée par une classe dirigeant locale démagogique et qui ne cherche qu’à pervertir un peu plus le système pour continuer à le féodaliser et y imposer une mafia très profitable et d’autant plus obscène qu’elle est masquée par des tonnes de bon sentiments.