Wednesday, November 21, 2012

L’Occitan dans le métro toulousain


Le touriste ou nouvel arrivant dans la ville rose qui met pour la première fois le pied dans une des rames du métro automatique toulousain peut être surpris – je l’ai été pour ma part – d’entendre au fil des stations une voix féminine annoncer leurs noms, en Français bien sûr, mais aussi en Occitan.

Dans une métropole qui se veut de dimension européenne et à la pointe du progrès, où l’industrie locale a attiré de fortes communautés anglaises et allemandes et qui attire la recherche mondiale, cette mise en avant de notre – certes charmante – langue d’Oc à la place de la langue internationale qu’est de fait l’Anglais a de quoi interpeller.

Bien évidemment, nous avons là le résultat d’une pression politique locale, l’intérêt pour la masse des voyageurs étant sinon nul, tout au plus de l’ordre de la curiosité. Sans doute un élu désœuvré a-t-il pensé qu’il y avait là de quoi s’exprimer en faveur de la préservation des langues régionales.

Car annoncer Jean Jaurès ou Saouzelong en Occitan, il est bien évident que cela favorise grandement l’apprentissage de cette langue au quotidien, n’est-ce pas ? Nous voilà tout de suite équipés pour aller acheter notre baguette à la boulangerie – pardon, la fornariá – du quartier.

D’ailleurs, nous ne sommes pas à court d’autres paradoxes quant on élargit la question à celle de l’arabe. Comme dans de nombreuses villes en France, l’arabe est parlé par des milliers de personnes à Toulouse et dans sa banlieue. A quand des annonces en arabe dans le métro ? Et pourquoi pas aussi en Anglais, bien évidemment, et sans oublier l’Espagnol, si proche en géographie comme en histoire ? Voire l’Espéranto ?

L’air de rien, quelques milliers de nos précieux euros ont donc été savamment dépensés pour cette fantaisie rigoureusement inutile. Et personne ne trouve à redire, personne n’ose dénoncer ce genre d’inepties d’un pouvoir sortant largement de son registre et de sa mission. On a pris l’habitude de l’immixtion des pouvoirs publics dans un nombre toujours croissant de facettes de notre quotidien.

Le plus incroyable dans cette histoire, c’est qu’il faut se rappeler que si de nos jours personne ou presque ne parle plus l’Occitan, ce n’est rien d’autre qu’une des conséquences de la création de la Communale, l’école publique pour tous chère à Jules Ferry – homme de gauche – à la fin du XIXe. Pendant des décennies, en gros jusqu’à la vague post-soixante-huitarde, la chasse était faite à ceux qui parlaient Oc dans les écoles et autres organismes publics. Le Français était obligatoire.

Et maintenant, après avoir dépensé pour imposer la langue d’Oïl, nous voici face à de nouvelles dépenses en faveur de la langue d’Oc. Ridicule. Or parler telle ou telle langue, est-ce là matière à intervention politique ? Non bien sûr, c’est une affaire intimement privée. Il y a d’ailleurs fort à parier que notre langue régionale aurait mieux survécu si Ferry et ses héritiers n’avaient pas autant cherché à lui imposer le seul français – donnant ainsi la possibilité à tous les fonctionnaires de suivre les conversation privées des citoyens.

Ainsi donc, une anecdote d’apparence aussi banale que de bizarres annonces dans un métro porte pourtant en elle toute une histoire d’interventionnisme comme c’est hélas le cas pour tant d’autres domaines de notre société liberticide.

Apprenons à les reconnaître et à les dénoncer les unes après les autres afin d’espérer remettre à sa juste place ce pouvoir politique sinon toujours plus affamé.

Saturday, November 17, 2012

Une constitution, pourquoi faire ?


Bien souvent lors de débats avec des personnes n’ayant pas encore pris la complète mesure du caractère inique du droit sous lequel nous vivons, ou celui d’autres pays dits démocratiques, l’argument de l’existence et du rôle de la constitution m’est servi comme un couperet, un rideau de final après moult rappels des vedettes, une pirouette.

L’existence ou la mise en place d’une constitution dans un pays qui le plus souvent prend aussi des allures démocratiques serait une, si ce n’est la, garantie ultime que ledit pays est raisonnablement soucieux du bonheur et de la liberté de son peuple. Pourtant, si c’est aussi clair, aussi limpide, une question me tracasse depuis l’enseignement secondaire…

Pourquoi n’y a-t-il pas deux pays avec des constitutions identiques ? Ou même presque identiques ? La liberté n’est-elle donc pas la même partout ?

Les Etats-Unis, que je sache le pays à la plus ancienne constitution – le Royaume-Uni ne dispose pas d’une constitution à proprement parler – sont sans doute depuis le premier jour la référence en matière de constitution, directement inspirée des Lumières et présentant les critères théoriques de « bonne constitution ». Concise. Concentrée sur les fonctions d’un pouvoir régalien minimal. Au profit de la liberté du  peuple et de sa recherche du bonheur. Elle a la réputation d’un bijou, qui d’ailleurs est exposé comme tel.

A part les points spécifiques liés aux particularités géographiques et historiques américaines – les états et de manière générale l’organisation de la fédération – cette constitution semble a priori un modèle qu’on serait en droit d’espérer retrouver en tête du droit de toutes les démocraties du monde ou presque.

Pourtant la France elle-même est loin d’avoir suivi ce modèle. Depuis 1800 et l’après-révolution, nous avons quand même réussit à écluser neuf régimes avant l’actuelle Veme République ! (Consulat, Premier Empire, Restauration, Monarchie de Juillet, IIeme République, Second Empire, IIIeme République, Etat Français, IVeme République) Notre constitution actuelle fait d’infinies circonvolutions pour légitimer une continuité du droit remontant à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Mais ce ne sont pas tant les soubresauts historiques qui me choquent que leur impact sur le texte et sa logique. Je me bornerai à prendre l’exemple connu de la bascule de la IVeme à la Veme République. Comment peut-on ainsi passer d’un régime aussi parlementaire à un régime aussi « présidentiel » ? (Terme élégant pour ne pas dire « monarchique ».) D’autant que la Veme a depuis encore évolué vers une totale absence de séparation des pouvoirs et une assemblée nationale à la botte du gouvernement. La IVeme avait à mon avis un avantage essentiel qu’a  perdu la Veme. Son instabilité freinait sa capacité à légiférer à revers de bras, ce que par contre la Veme autorise, suite à la disparition des oppositions des pouvoirs.

Ce genre de dégénérescence lente du droit est inhérent à la démocratie. On y part sur une base relativement saine, et peu à peu la liberté est érodée par le peu d’état en place qui la grignote peu à peu. On finit deux siècles plus tard avec un féodalisme oligarque qui se cache derrière une constitution prétexte devenue feuille de vigne de l’état corrompu.

Les Etats-Unis sont d’ailleurs eux aussi un indice flagrant de cette tendance. Depuis sa publication en 1776, leur constitution a subit pas moins de 27 amendements. Dont un, le 21eme, qui n’a servi qu’à en abroger un précédent – le 18eme sur la prohibition. Le dernier date de 1992, bien que sa proposition d’origine remonte à 1789, et protège… la rémunération des membre du congrès. Ainsi, même aux Etats-Unis, la constitution évolue, assez souvent, et pas forcément en bien.

On est pourtant en droit de se demander ce qui peut faire que le droit et ses institutions, valables à un moment et assez longuement, ne le seraient soudain plus demain ? Pourquoi le droit fondamental devrait-il évoluer ? Et pourquoi les tentatives des différents pays ne convergent-elles pas vers un même modèle fruit des « meilleures pratiques » ?

Deux autres pays paraissent intéressant à considérer sur ce sujet car, même si on en a peu parlé dans la presse – c’est beaucoup moins intéressant qu’une bonne vieille coupe d’Europe – ils ont tous deux connu un changement récent de constitution.

En premier je prendrai le Maroc, qui, il y a environ 18 mois, a adopté par suffrage le texte publié ici.

La première chose qui frappe dans ce texte, c’est sa longueur : pas moins de 180 articles, là où l’américaine n’en compte que 25 (articles et sections). Une rapide sélection d’article montre que cette constitution est pour le moins contestable et donne tous les signes d’un texte qui va bien au-delà du rôle d’une constitution. Examinons-les rapidement.

Article 1er : « La nation s’appuie dans sa vie collective sur des constantes fédératrices, en l’occurrence la religion musulmane modérée, l’unité nationale aux affluents multiples, la monarchie constitutionnelle et le choix démocratique. L’organisation territoriale du Royaume est décentralisée, fondée sur une régionalisation avancée. »

Dans cet article et dans plusieurs autres, on parle de « nation », et non de « peuple ». Il est bien connu que la constitution américaine commence par « We, the People… ». Confondre ou amalgamer peuple et nation, ou plus simplement ne pas choisir « peuple », est une grave distorsion, à mon sens. Car évoquer le peuple montrerait une volonté, un rôle strictement juridique à cette constitution, traitant tous les individus du pays comme égaux devant le droit, par leur seule présence sur le sol du pays.

Mais prendre la « nation » comme référence est beaucoup plus biaisé. J’ai abondamment écrit, y compris dans « Libres ! », pour contester ce terme pour moi fallacieux car indéfinissable. Il est porteur de critères discriminants – on est de la nation ou en n’en est pas – et cela de manière indéfinie, ce qui ouvre la porte à l’arbitraire. Cette constitution sous-entend-elle qu’elle pourrait ne pas s’adresser aux habitants du Maroc qui ne feraient pas partie de sa « nation » – à commencer par ses immigrés ?

Article 2 : « La souveraineté appartient à la nation qui l’exerce directement par voie de référendum et indirectement par l’intermédiaire de ses représentants. La nation choisit ses représentants au sein des institutions élues par voie de suffrages libres, sincères et réguliers. »

Même remarque que précédemment sur la « nation ». Ce qui est choquant ici, c’est le besoin de préciser que les suffrages pourraient être autre chose que « libres, sincères et réguliers ». Car si le risque existe en effet de fraude en matière d’élections, n’est-ce pas justement le rôle de la constitution de prévoir les mécanismes pour assurer la maîtrise de ce risque ? Si ça va de soi, pourquoi un tel verbiage qui peut être lu dans l’autre sens ?

Article 15 : « Les citoyennes et les citoyens disposent du droit de présenter des pétitions aux pouvoirs publics. Une loi organique détermine les conditions et les modalités d’exercice de ce droit. »

Derrière un article qui pourrait sembler positif, trois choses pourtant. Tout d’abord, pourquoi parler des pétitions ? Ne seraient-elles sinon un droit naturel d’expression ? Ensuite, viennent-elles court-circuiter la démocratie représentative ? Une chose qui justement aurait été intéressante de prévoir ici touche aux principes des modalités. Pour par exemple poser ou pas le principe de garantir que les questions posées feraient l’objet d’une réponse systématique de la part du gouvernement dans les 3 mois après dépôt. Sans plus de corps, un tel article reste vide.

Article 20 : « Le droit à la vie est le droit premier de tout être humain. La loi protège ce droit. »

On pourrait se demander pourquoi un tel article ne vient pas en premier. Mais surtout, en quoi la loi peut-elle protéger la vie ? Pourra-t-on lire plus tard un tel article comme signifiant que se nourrir est un droit que le pouvoir doit garantir au peuple, qui est dès lors en droit d’attendre son pain quotidien des services publics ? On voit combien une phrase anodine peut-être rendue perverse…

Article 31 : « L’Etat, les établissements publics et les collectivités territoriales œuvrent à la mobilisation de tous les moyens à disposition pour faciliter l’égal accès des citoyennes et des citoyens aux conditions leur permettant de jouir des droits :
. aux soins de santé,
. à la protection sociale, à la couverture médicale et à la solidarité mutualiste ou organisée par l’Etat,
. à une éducation moderne, accessible et de qualité,
. à l’éducation sur l’attachement à l’identité marocaine et aux constantes nationales immuables
. à la formation professionnelle et à l’éducation physique et artistique,.
. à un logement décent,
. au travail et à l’appui des pouvoirs publics en matière de recherche d’emploi ou d’auto-emploi,
. à l’accès aux fonctions publiques selon le mérite,
. à l’accès à l’eau et à un environnement sain,
. au développement durable. »

Pour finir sur le Maroc, je vous propose ce bijou. Voilà que la constitution elle-même instaure la santé, la protection sociale et même le logement comme des droits, que le pouvoir doit assurer. Rappelons que tous ces domaines relèvent en réalité de la stricte économie et que donc la bureaucratie, comme on le constate amèrement en France, sera bien incapable d’assurer de tels services au peuple, du moins de manière « juste ». Ce sera au contraire une magnifique source de corruption.

On le voit – et il faudrait analyser les 180 articles pour l’illustrer jusqu’au bout, cette constitution marocaine est loin d’être sans défaut, et surtout, traite de sujets peu compatibles avec une réelle et simple garantie du droit et de la liberté. Pourquoi ne pas être simplement repartis de l’américaine ?

Un autre pays a fait parlé de lui il y a peu en matière de constitution : l’Islande – la vidéo ci-contre apporte un éclairage – non sans biais, il est vrai.

Dans cette histoire, ce qui me frappe, c’est ce processus de refonte de la constitution. On se gausse d’un soi-disant processus démocratique pour choisir un collège supposé compétent parce qu’élu pour promouvoir une constitution qui serait de ce fait bonne pour le peuple puisque conçue par lui.

Ce type de raisonnement est typique de ce que Hans-Hermann Hoppe appellerait le phénomène de décivilisation de la démocratie. (*) Aucune élection n’a jamais rendu quiconque compétent, surtout en matière juridique. Un tour de vote et hop ! voilà nos pauvres islandais soumis eux aussi à un texte qui n’a aucune chance d’être une constitution « idéale ».

Et cela n’a pas loupé. Le nouveau texte est accessible ici. Fort de 79 article, voilà à nouveau une approche verbeuse du droit fondamental. Il est vrai que le plus gros du texte décrit les processus législatif et exécutif, mais on trouve néanmoins quelques articles qui posent vraie question.

Article 59 : The organization of the judiciary can only be established by law.

C’est bien dommage. Les deux autres pouvoirs seraient ainsi assez important pour justifier d’être constitutionalisés, mais pas le pouvoir judiciaire ? C’est oublier que normalement, le seul rôle de « l’état de droit », c’est précisément la justice. Et que cet article la remet dans les mains des députés au lieu de le figer dans le marbre.

Article 62 : The Evangelical Lutheran Church shall be the State Church in Iceland and, as such, it shall be supported and protected by the State.

Tant pis pour la séparation de l’église et de l’état et surtout pour les impôts à payer pour l’entretien du clergé, y compris par les non-croyants…

Article 67 : No one may be deprived of his liberty except as permitted by law. Any person deprived of his liberty shall be entitled to be informed promptly of the reasons for this measure.

Oui, vous avez bien lu. En gros, on est libre, sauf quand la loi en décide autrement. C’est l’exemple parfait de clause contraire à l’esprit même, au rôle d’une constitution. Et ce n’est pas le seul article, il y a l’équivalent en matière de vie privée et d’intimité :

Article 71 : Everyone shall enjoy freedom from interference with privacy, home, and family life. […] Notwithstanding the provisions of the first paragraph above, freedom from interference with privacy, home and family life may be otherwise limited by statutory provisions if this is urgently necessary for the protection of the rights of others.

Alors, que conclure de ce rapide tour d’horizon ? Clairement qu’une constitution ne sert à rien, puisque de toute façon elle est dans les faits peu à peu érodée. Et je n’ai pas ici étudié le nombre d’exemples qu’on peut trouver où des lois inconstitutionnelles ont pourtant été validées – tel l’Obamacare il y a quelques mois aux Etats-Unis.

Voire même qu’une constitution peut être la porte ouverte à l’inverse du droit tel que le bon sens nous le fait percevoir – ce que tout libertarien reconnaît dans le « droit naturel ». On a vu les exemples marocain et islandais, mais les régimes présidentiels français et américain nous illustrent chaque jour combien eux aussi sont éloignés du droit naturel.

Tout libéral devrait le reconnaître, se l’avouer à soi-même avant de le rappeler autour de lui. La liberté n’est pas protégée par la constitution, c’est même tout le contraire. La liberté passe par l’adoption d’un régime où ce concept vide n’aura enfin plus sa place, pas plus que celui de démocratie…

 (*) Dans son essai « On the Impossibilityof Limited Government and the Prospects for a Second American Revolution », « Sur l’impossibilité d’une administration limitée et les perspectives d’une seconde révolution américaine », au chapitre III, H-H.Hoppe critique le concept même de la constitution américaine, constatant son échec à résister à la dérive de l’état.

Sunday, November 11, 2012

Critique de LaRouche - Détails


Cet article est la suite d’un premier papier de cette série que je lance sur l’analyse du livre de J.Cheminade traduit de Lyndon LaRouche, supposé être sa bible en matière d’économie, qu’on peut trouver ici.

On verra plus bas que la théorie développée passe par un modèle qui considère l’homme comme une ressource comme une autre et se focalise sur la recherche de l’optimum industriel, comme si c’est cet optimum là qui comptait dans la vraie vie. On reproche souvent au libéralisme d’être matérialiste, ce qui faux car il est justement centré sur l’action et les besoins de l’individu, et par contre on vient modéliser l’économie de manière totalement physique, matérielle, comme s’il était possible de ne voir en l’homme ou en la société qu’une machine thermodynamique. Ridicule marque d’absence du plus simple bon sens.

Ce premier chapitre est censé établir les bases théoriques de la vision économique de JC – et de son ami Bruno Lardoux. Comme pour le premier article, et je pense toute la suite à venir, je vais commenter point à point, paragraphe par paragraphe – ou blocs – avec l’original dans le texte, de manière à permettre au lecteur de juger et de suivre.

Je présente a l’avance mes excuses au lecteur, c’est très long, mais bon….. On y va…

« Le trait caractéristique de la machine à combustion est la relation fonctionnelle existant entre l’accroissement de puissance fournie à de telles machines et l’accroissement du pouvoir des ouvriers à accomplir un travail. A partir de l’examen de cette relation fonctionnelle, Gottfried Leibniz (1646-1716) a défini les notions de puissance, de travail et de technologie au sein même de la Science Physique. »

Cela commence fort, et déjà nous sommes face à une mécompréhension. L’accroissement de la puissance des machines n’a pas accru le « pouvoir » des ouvriers. Aucune technologie apparue depuis n’a accru le « pouvoir » de quiconque.
Il est d’ailleurs tentant de se demander si ce n’est pas une mauvaise traduction de « power » qui ici signifierait « puissance » (au sens physique) et non « pouvoir » (sens politique). La technologie n’a aucun impact politique. Elle n’a qu’une seule conséquence immédiate et économique : elle accroît le rendement et donc la productivité de la main d’œuvre. A plus long terme, elle contribue à voir les salaires augmenter – et non pas baisser, comme on le croit souvent.

« L’étude de cette relation fonctionnelle, étendue à partir du cas spécifique de la machine à combustion à tous les autres aspects du processus de production, constitue le sujet de l’économie physique. L’économie physique est une partie intégrante de la Science Physique prise dans son ensemble ; l’étude de l’économie politique, constamment gouvernée par les principes de l’Economie Physique, est la science économique. »

Là, nous entrons dans le vif du sujet, mais pour accoucher d’un monstre. La notion d’économie « physique » est en effet vide de sens. Il n’y a pas une économie X et une autre Y. L’économie est la science de l’action humaine – on parle aussi de praxéologie – et il n’y a pas d’un côté l’économie physique et l’économie politique, car elles n’auraient alors aucun sens. L’auteur se garde d’ailleurs bien de les définir.

L’économie n’est pas non plus une partie de la science physique. La science physique est expérimentale et s’intéresse aux lois de la matière. L’économie ne traite que de l’homme, en action, et celui-ci, même s’il est bien sûr soumis à la physique, ne décide pas de ses actions selon la gravitation ou le magnétisme, mais selon sa volonté, son libre-arbitre. De plus, alors que la physique repose sur des expériences reproductibles, il n’en est pas de même en économie. La vie bouge, change, constamment. On n’est jamais deux fois exactement dans la même situation dans une société. Espérer bâtir la science économique par l’expérimentation est donc sans espoir. L’économie est pourtant une science, mais grâce à la logique.

« Le contexte pratique du développement par Leibniz de la science économique était son intention de révolutionner l’exploitation minière, les manufactures et le transport fluvial par l’emploi généralisé de machines à vapeur au charbon. Le collaborateur de Leibniz, Denis Papin (1647-1714), a été le premier à développer une machine à vapeur efficace, qui a propulsé efficacement un bateau sur une rivière [1]. Leibniz expliquait que le développement de la production industrielle par des machines à vapeur alimentées au charbon exigeait une amélioration qualitative dans l’exploitation des mines de charbon et de fer. Cette amélioration impliquait l’application de la machine à vapeur à des exploitations minières, telles le pompage de l’eau, comme condition préalable à l’application des potentialités du charbon à la production industrielle. Cela a été le cœur du programme économique que Leibniz a fourni à la Russie de Pierre 1er ; c’est pourquoi la Russie a progressé au point que son rythme de développement minier et manufacturier au cours du XVIIIe siècle a surpassé celui de la Grande-Bretagne. La révolution dans l’exploitation minière inspirée par l’influence de Leibniz s’est étendue depuis les centres caméralistes de l’Allemagne jusqu’en Amérique du Nord et du Sud et même jusqu’au Japon [2]. »

Ce texte de nature historique, bien que contestable, n’est pas notre sujet – l’économie – et ne nécessite donc aucun commentaire.

« Bien que le premier écrit de Leibniz au sujet de l’économie politique Société et Economie date de 1671, ses travaux sur les machines à vapeur ont véritablement commencé à Paris au cours de la période 1672-1676, pendant laquelle il se trouvait auprès de l’Académie des Sciences, institution fondée par Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), l’associé et le successeur de Mazarin. Parmi les collaborateurs de Leibniz les plus remarquables au cours de cette période, on trouve un autre protégé de Colbert, Christiaan Huyghens (1629-1695), dont la conception des machines à combustion est à l’origine des principes des moteurs à explosion à essence et à diesel. »

Hors sujet également. Pour néanmoins compléter cet éclairage historique, très partiel – partial ? – il convient de rappeler que plus d’un siècle auparavant, Francisco de Vitoria, érudit espagnol du XVIe siècle, fut l’inspirateur des penseurs scolastiques connus sous le nom d’école de Salamanque, dont les recherches en théologie, en droit naturel et en économie reposent sur les travaux de Thomas d’Aquin et ont anticipé bien des thèmes retrouvés plus tard dans les travaux d’Adam Smith et de l’école autrichienne d’économie (EAE). Indiquons au passage un site en Français qui introduit de manière abordable au principaux concepts de l’EAE, ici.

« Le développement des machines à vapeur modernes date des travaux de Léonard de Vinci (1452-1519) à la fin du XVe siècle. L’effort pour développer le charbon comme combustible industriel fut entamé à la fin du XVIe siècle par les cercles anglais associés au grand scientifique William Gilbert (1544-1603) [3]. Plus fondamentalement encore, au regard du développement par Leibniz de la science économique, Léonard a aussi élaboré les principes de la conception de machines, jetant la base des travaux de Huyghens, de Leibniz et, plus tard, de l’Ecole Polytechnique de Lazare Carnot (1753-1823) et de Gaspard Monge (1746-1818). Le principe de moindre action de Leibniz, qui se trouve au centre de sa définition du concept de « technologie » (ou de « polytechnique », selon l’expression française d’alors), est dérivé des principes géométriques de la conception de machines employés par Léonard. »

Encore un bout d’histoire de la recherche en physique, sans intérêt donc, mais où on voit poindre le « principe de moindre action », dont on verra qu’il est au cœur de la théorie cheminesque mais pourtant sans rapport aucun avec l’économie. Selon Wikipedia : « le principe de moindre action affirme qu’un corps prend la direction qui lui permet de dépenser le moins d’énergie dans l’immédiat (ou d’acquérir le plus d’énergie dans l’immédiat), en tenant compte qu’il doit y avoir continuité du mouvement (positions et vitesses) s’il y a continuité des conditions physiques. ».

« Le principe de moindre action est si central à la science économique qu’il faut ajouter ici quelques mots sur le développement de ces principes géométriques. »

Cela se confirme, ce principe est mis en avant. Prenons donc le temps d’anticiper car il n’y a rien d’économique dans tout cela, pas plus que dans les paragraphes à suivre, que je sauterai pour plusieurs, tant ils sont hors sujet.

Cette vision d’optimisation énergétique n’a rien à voir avec le problème que l’économie aborde, et le mur d’incompréhension vient sans doute de cet écart d’objectif. On l’a vu lors de l’étude de l’avant-propos, l’économie s’intéresse au fonctionnement social en présence d’une rareté fondamentale et éternelle, celles des ressources disponibles pour assouvir l’infinité des besoins et envies des hommes – on parle de « préférences » en EAE et, à tort, « d’utilité » chez les autres écoles.

L’économie est donc tout d’abord une science sociale et non purement technologico-physique. Il est tout à fait vrai que la technologie et son étude sont de nature à apporter des moyens aux hommes pour mieux ou plus assouvir ces « préférences », mais là s’arrête la pertinence du sujet traité par JC-LaRouche ici.

Le principe de moindre action pourrait être rapproché de ce mécanisme de « préférence » en ce sens que le premier guide le mouvement mécanique et thermodynamique là où la seconde conditionne le choix continu des actions humaines. Mais là s’arrête l’analogie. La « moindre action » exprimée par les physicien est une grandeur mesurable en toutes circonstances. Elle ne dépend en rien de l’affect humain. Alors que ce n’est absolument pas le cas des « préférences », toujours individuelles, constamment révisées, influençables et fugaces. Le libre-arbitre fait qu’il n’est jamais possible de les connaître – ce qui rend toute prévision de l’avenir impossible et même inconcevable.

Le texte qui suit est inquiétant. Non seulement il ne traite pas d’économie, mais il laisse entrevoir un ésotérisme qui ne dit pas son nom…

« Relativement à toute période connue de l’Histoire, la rapidité du développement de la science physique en Europe, du XVe au milieu du XIXe siècle, est supérieure de plusieurs ordres de grandeur à celle de toute autre période ou de toute autre branche de la culture humaine. Dans la mesure où ce développement puisse être porté au crédit des contributions d’un seul savant, l’on peut dire qu’aucune des découvertes de la physique mathématique moderne, en particulier, n’aurait pu être possible sans l’œuvre du Cardinal Nicolas de Cues (1401-1463) que ses écrits comme De la docte ignorance, firent connaître dans toute l’Europe et au-delà. Le Cusain émit une hypothèse héliocentrique qui, dans une version modifiée, a été employée et prouvée par Johannes Kepler (1571-1630), le fondateur de la physique mathématique moderne [4]. Plus directement encore aux origines du principe de moindre action de Leibniz, Nicolas de Cues opéra une révolution dans la géométrie, en reconsidérant dans son intégralité le problème de la quadrature du cercle posé par Archimède (environ 287-212 av. J-C). Il annonça qu’il avait découvert une méthode supérieure à celle d’Archimède, découverte connue aujourd’hui sous l’appellation de théorème isopérimétrique en topologie, appelé par le Cusain le principe du minimum-maximum [ Appendice 1 ]. Cette découverte est à la base du principe de moindre action de Leibniz, la clé pour la mesure de toute technologie (polytechnique). La même découverte, sous sa forme plus avancée employée par Karl Gauss (1777-1855), Lejeune-Dirichlet (1805-1859) et Bernhard Riemann (1826-1866), est à la base de la méthode LaRouche-Riemann d’analyse économique, le sujet de ce livre. »

« Avant la production en Egypte de ce que l’on connaît aujourd’hui sous le nom des treize livres d’Euclide, Les éléments, la géométrie grecque classique était, suivant notre terminologie contemporaine, une géométrie synthétique. Il s’agit d’une forme de géométrie qui exclut tous les axiomes, les postulats et les méthodes déductives formelles d’obtention des preuves associés aux théorèmes d’Euclide. La seule forme d’existence auto-évidente [self-evident], en géométrie synthétique, est l’action circulaire ; les définitions de la ligne droite et du point sont dérivées du pliage d’un cercle sur lui-même. En géométrie, toute figure doit être construite en n’utilisant rien d’autre que la seule action circulaire, plus la droite et le point ainsi définis. La redécouverte par Nicolas de Cues que l’action circulaire est une forme d’existence soi-évidente dans l’espace visible, la preuve isopérimétrique, a révolutionné la géométrie européenne parmi les successeurs du Cusain tels Luca Pacioli (1450-1520) et le collaborateur de Pacioli, Léonard de Vinci. Les travaux du Cusain, de Pacioli, de Léonard et des successeurs de Léonard, tels Albrecht Dürer (1471-1528) et l’Ecole de Raphaël (Raffaelo Sanzio, 1483-1520), ont constitué la base des travaux de Kepler, de Gérard Desargues (1591-1661), de Pierre Fermat (1601-1665) et de Blaise Pascal (1623-1662), tous contributeurs à l’œuvre de Leibniz, directs ou indirects mais essentiels. Les travaux de Gauss, Dirichlet et Riemann sont basés sur cette même méthode géométrique [5]. »

« Le sujet principal des travaux sur la géométrie de Pacioli et de Léonard, a porté sur la maîtrise du principe des cinq solides platoniciens extrait du Timée [6] de Platon (environ 427-347 av. J-C). C’est la preuve que dans l’espace visible (« Euclidien »), seules cinq espèces de polyèdres réguliers peuvent être construites par les méthodes de la géométrie synthétique. Ces cinq espèces sont
1. le tétraèdre régulier ;
2. le cube ;
3. l’octaèdre ;
4. le dodécaèdre à douze faces ;
5. l’icosaèdre à vingt faces. »

« (1), (3) et (5) ont pour faces des triangles équilatéraux égaux ; les faces du dodécaèdre sont des pentagones réguliers égaux. Pacioli a construit une preuve de ce théorème dans ses Proportions divines (Divine Proportione, 1494). Une preuve plus rigoureuse a été donnée par Leonhard Euler (1707-1783), preuve qui est au centre du développement par Euler de la topologie sur la base de l’analysis situs de Leibniz. On prouve facilement que chacun des quatre autres solides platoniciens est dérivé du dodécaèdre ; à ce propos, on montre également que la Section d’Or, méthode géométrique synthétique employée pour la construction d’un pentagone régulier ou d’un dodécaèdre, est le trait caractéristique de l’unicité des cinq solides platoniciens. »

« La conception de l’Acropole d’Athènes est l’éclatante démonstration du fait que les contemporains de Platon et ses prédécesseurs de la Grèce Classique utilisaient une géométrie synthétique construite à partir de la Section d’Or. Aussi, en comparant l’œuvre d’Albrecht Dürer avec les rapports harmoniques employés pour la conception de l’Acropole, on peut montrer que les Grecs classiques comprenaient le principe redécouvert par Pacioli et Léonard de Vinci suivant lequel tous les processus vivants se distinguent géométriquement des processus non vivants par le fait essentiel que la morphologie de la croissance des processus vivants et des fonctions déterminées par cette croissance est celle d’un modèle soi-similaire de croissance, tel que la soi-similarité est dans un rapport harmonique congruent avec la Section d’Or. »

« Reconnaissons que, pour ces raisons, diverses sectes ont tenté de lire de mystérieuses propriétés dans le Pentagone et la Section d’Or. Il n’y a rien de mystique dans tout cela, pour quelqu’un qui connaît l’œuvre de Gauss et de Riemann s’y rapportant. Avant d’arriver au terme de ce texte, le lecteur, libéré de toute mystification, aura compris les rudiments de ce sujet et leur indispensable fonction dans la science économique. Pour les besoins de ce chapitre, il nous suffira d’effleurer ici quelques points directement à l’origine des découvertes de Leibniz en science économique. »

« Premièrement, la signification de la relation de la Section d’Or à la morphologie des processus vivants commence à prendre sens une fois que l’on a reconnu pourquoi ce que l’on appelle une série de Fibonacci (Léonard de Pise, probablement âgé de 30 ans environ, quand il écrit son Liber Abaci en 1202) converge vers une valeur déterminée par la Section d’Or. Une série de Fibonacci est une série géométrique (série de nombres entiers déterminés géométriquement) qui estime avec précision la croissance des populations, y compris celle des populations de cellules. Quand les nombres dans la série deviennent modérément grands, le rapport de deux nombres successifs dans la série converge rapidement vers la valeur de la Section d’Or. Avec une simple observation des plantes, on peut ainsi retrouver la découverte de Pacioli et de Vinci en ce qui concerne la vie végétale. Les travaux de Léonard sur l’anatomie des hommes, des chevaux, et d’autres organismes vivants consistaient principalement en une étude scientifique du même principe de la Section d’Or [7]. Non seulement les formes du corps humain, par exemple, sont déterminées par le principe de la Section d’Or, mais la dynamique de la morphologie des fonctions corporelles aussi. »

« Parmi les nombreuses branches de la science moderne fondées par lui, principalement sur la base de ces principes géométriques, Léonard de Vinci a appliqué ses études de la dynamique anatomique à la conception des armes, des outils et des machines. En ce qui concerne les armes, par exemple, la connaissance de la dynamique de l’anatomie a été utilisée pour les concevoir et les développer, comme s’il s’agissait d’outils, en tirant avantage des potentialités optimales des mouvements vigoureux du corps du combattant, de manière à ce qu’il porte le plus efficacement possible l’attaque contre l’adversaire en le mutilant ou en le tuant. C’est en partant du même point de vue, qu’il a développé les principes de la conception de machines. »

 « Pour la simple conception des machines actionnées mécaniquement, on étudie les mouvements de l’ouvrier fabriquant un type de produit. L’observateur en déduit quels aspects de ces mouvements sont essentiels au travail effectué. Ces mouvements essentiels sont incorporés dans une machine à laquelle on fournit de l’énergie : énergie animale, énergie hydraulique, énergie éolienne, énergie calorifique... Ainsi, l’ouvrier utilisant cette machine a un plus grand pouvoir de production que le même ouvrier sans la machine. »

Non, pas plus de « pouvoir » pour l’ouvrier, on l’a vu plus haut.

« Cependant, en général, la puissance appliquée au travail par une machine n’est pas la même que celle fournie à la machine en tant que telle. Une machine très simple, une lame de couteau, illustre ce point : la pression exercée par l’arête aiguisée de la lame est bien supérieure à la pression exercée sur le manche du couteau. La puissance est davantage concentrée. Nous mesurons une telle concentration de puissance comme accroissement de la densité du flux énergétique. Ceci mesure la concentration de puissance par centimètre de mouvement ou par mètre carré de la section d’action ou par mètre cube du volume d’action. Si on imprime une impulsion instantanée d’une tonne-poids à une machine, et si cette poussée est concentrée mille fois sur une surface de travail donné, on applique une impulsion instantanée à cette surface de travail au maximum égale à mille tonnes-poids. Dans notre texte, nous mesurerons fréquemment notre flux énergétique en kilowatts et notre densité de flux énergétique en kilowatts par kilomètre carré ou par mètre carré. »

« La première mesure des effets de la conception de machines est la comparaison entre l’effort humain requis pour faire fonctionner la machine, et la quantité de travail fournie par l’opérateur employant la machine. Si la machine est actionnée par autre chose que l’effort musculaire humain, nous devons mesurer le coût de production de l’énergie animale, de l’énergie hydraulique, de l’énergie éolienne ou de l’énergie calorifique en considérant l’effort humain consenti par la société pour s’organiser et fournir cette énergie à la machine. Nous pouvons le considérer comme le coût en capital nécessaire à la fourniture de cette énergie. Nous devons ensuite comparer les variations du coût en capital par opérateur utilisant telle ou telle classe particulière de machines avec les variations de son débit correspondant à cette utilisation. »

Nous revoilà devant une tentative de faire de l’économie, puisqu’apparaît soudain un « coût en capital » sorti on ne sait trop d’où. Répondons par une question simple pour faire écho au charabia : Comment se mesure l’effort humain ?

L’effort en physique se mesure avec  la notion fort malheureusement dénommée « travail ». Mais en économie, les watts n’ont pas lieu d’être car on ne peut guère les échanger entre humains – demain, payerons-nous en « piles » au lieu d’euros ? Ce qu’on peut tenter d’apprécier, c’est le coût de cet effort. En nourriture, en temps passé et donc pas passé à autre chose, par exemple. Toute cela finit par avoir un prix, le prix exprimé en monnaie, seule manière possible d’estimer la valeur des choses. Donc faire fonctionner une machine aurait un prix. La belle affaire, grande nouveauté.

« Cette comparaison conduit à une fonction mathématique. Imaginez un graphe sur lequel on porte en ordonnées l’accroissement du débit de production par opérateur et en abscisses l’accroissement du coût en capital de l’énergie à fournir par opérateur. Maintenant, étendez le champ de cette fonction mathématique en ajoutant un axe des Z. Sur celui-ci, on porte l’accroissement de la densité du flux énergétique correspondant à l’effort consenti par la machine. Jusqu’à la fin du livre, nos références à une fonction mathématique de ce type désigneront la fonction tridimensionnelle identifiée ici. »

Ahhh le fantasme de la fonction mathématique, il en aura fait faire des bêtises en économie… Ici, l’erreur ne semble pas immédiate. En effet, il paraît logique de penser qu’implicitement, il y a une courbe, une relation continue entre « débit de production » et « coût » humain. Ce n’est pourtant pas vrai, et là s’écroule ce genre de théorie.

En effet, ce coût humain n’a pas d’unité propre, absolue. La notion de coût est un ressenti propre à chaque individu. Pour certains ce travail sera plus ou moins facile, pour d’autres il sera plus ou moins agréable. Et surtout, à partir d’un certain niveau, ce coût sera rédhibitoire par rapport à d’autres tâches ou travaux ou plaisirs possibles. Les hommes ne sont pas des machines, leur travail a un prix et ce prix n’est pas une fonction continue. A partir de là, le reste de cette théorie tombe.

« Dans la transmission au travail, à travers la machine, de la puissance fournie à son entrée, une partie de cette puissance est perdue sous forme de « chaleur » ou autre. Le taux de perte est particulièrement intéressant quand nous accroissons significativement la concentration de puissance, la densité du flux énergétique de l’effort appliqué au travail. Nous rencontrons à ce point une considération curieuse, amusante. Nous tendons à accomplir de bien plus grands débits de travail avec une fraction de la puissance fournie à la machine à un niveau élevé de densité de flux énergétique, qu’avec toute la puissance fournie à la machine à un niveau de densité de flux énergétique relativement moins élevé. Il apparaît ainsi que moins de puissance accomplit plus de travail qu’une plus grande quantité de puissance : c’est là l’un des aspects curieux de la science économique qui touche plus ou moins directement à ses fondements. »

« L’autre aspect général de la fonction mathématique qui nous intéresse au plus haut point est le phénomène de la « diminution des taux de retour sur investissements ». A partir de quel moment les accroissements du coût en capital par opérateur, ou de la densité de flux énergétique ne nous permettent-ils plus le même taux de croissance de la production que lors des précédentes augmentations de l’intensité du coût en capital, ou de la densité du flux énergétique, ou des deux combinées ? »

Bonne question. Mais il n’y a aucun moyen de le savoir. Chaque homme étant différent, ce seuil de bascule varie avec chacun de nous et aucune loi n’est capable de le décrire, ni ne le sera jamais.

« Les mêmes principes s’appliquent à l’agriculture. Nous mesurons la production de l’agriculture de deux manières :
1. la production par tête ;
2. la production par hectare ou par kilomètre carré.

En première approximation, nous mesurons la production elle-même en termes tels que boisseaux de blé, tonnes de production animale comestible... Finalement, en économie, nous devons mesurer ces produits comme des composants d’un « panier de biens ». Il y a deux « paniers » :
1. les biens d’équipement par opérateur employé dans l’agriculture, l’industrie, la construction, l’industrie minière et les transports ;
2. les biens de consommation exigés par tête pour l’entretien des ménages. »

Voilà qu’est réinventée la notion de PIB, avec bien sûr les mêmes erreurs fondamentales. On ne peut rien mesurer de valable avec un « panier ». Qui choisit le panier ? Pourquoi est-ce le même pour tous alors que chacun a des goûts et des capacités différents ? Comment évolue ce panier ? Nous sommes dans l’approximation, pas dans la mesure et certainement pas dans la science. La mesure par « panier » n’est pas une mesure valable, elle ne peut pas exprimer une caractéristique scientifique objective, encore moins subjective – propre à chaque individu.

« En utilisant les « paniers de biens » comme étalons de mesure, la production se trouve comparée aux apports nécessaires à la société qui effectue cette production. La production doit être mise en corrélation avec le nombre total de kilomètres carré occupés par cette société ; c’est une mesure du taux d’activité productive par kilomètre carré, une mesure associée à la notion de densité du flux énergétique. Les deux mesures, par kilomètre carré et par tête (par opérateur) sont combinées par le biais de la densité démographique. »

Ah, voilà qu’en plus on introduit et l’occupation de la surface par les hommes, et leur démographie, bien sûr soi-disant pour tenir compte de leurs besoins en effort-machine. Mais un tel modèle lui non plus ne représente en rien la réalité dans sa complexité. Car il y a des hommes qui aiment et recherchent l’isolement, d’autres qui au contraire aiment les cages à poules. Les hommes sont tous différents, c’est ce qui fait leur force. Et c’est aussi ce qui fait que la problématique économique, celle du « juste » accès aux ressources, se pose.

Car si nous étions tous physiquement et psychologiquement égaux, eh bien cette théorie le montre, on pourrait nous modéliser et l’économie serait un sujet clos depuis longtemps. Mais cela n’est pas le reflet de la nature humaine. Nous ne sommes pas modélisables.

En fait ce genre de modèle considère l’homme comme une ressource comme une autre et se focalise sur la recherche de l’optimum industriel, comme si c’est cet optimum là qui comptait dans la vraie vie. Dans la vraie vie, on se fout de la densité démographique tout comme de la densité de flux énergétique. Les contraintes de surface et de procréation et d’accès à la nourriture sont traitées comme des besoins parmi d’autres sur lesquels chacun de nous fait des arbitrages continuellement en fonction de ses préférences instantanées. Aucune mathématique dans cette vraie vie-là et surtout à l’inverse, un tel modèle purement physique ne peut pas rendre compte de tels arbitrages.

De plus, ce genre de modèle suppose implicitement – ce n’est pas dit dans ce texte – un supra-humain qui modélise et surtout qui optimise les paramètres du modèle pour maximiser son rendu. Il faut donc un dominant, une bureaucratie, un état, peut importent les termes, un expert, pour organiser la vie économique et ordonner ensuite, sous prétexte de leur bonheur ainsi optimisé, aux hommes de se conduire en moutons qui suivent les ordres de production donnés. Voilà exactement ce qui caractérise une économie planifiée. Le socialisme et son grand frère le communisme sont juste derrière la porte.

« Le cas de l’agriculture illustre la manière dont les principes déterminant la conception des machines à combustion s’appliquent à l’ensemble des processus économiques. »

Eh bien non justement, on a vu que l’approche de Leibnitz-Cheminade-LaRouchene marche ni pour les machines, ni pour l’agriculture. Elle ne modélise pas l’homme, mais une machine humaine. Rien d’humaniste là-dedans.

« L’importance de la machine à combustion, dans le processus économique pris dans son ensemble, est mesurée à l’aune de l’économie d’effort humain total (et moyen). L’image de cette mesure est transmise par l’idée de fournir le même panier de biens par tête à l’aide d’un moindre effort de la société tout entière, et par le fait que le contenu de ce panier puisse être élargi, en quantité et en qualité, sans accroître l’effort engagé à cet effet par la société. Autrement dit, les méthodes d’économie du travail constituent l’essentiel du résultat à mesurer en économie politique. C’est le meilleur étalon pour mesurer le revenu national dans la comptabilité publique [8]. »

On avait bien compris l’idée déjà plus haut. On croit pouvoir ramener l’économie à un problème de recherche opérationnelle, celui de trouver le moindre « coût » pour assurer à tous le même « panier », sujet bêtement différentiel.

Il convient de rappeler ici que dans l’avant-propos de ce livre (article précédent), JC tape sur la tête de R.Barre qui ose employer des équations algébriques dans son économie à lui. Mais que fait donc JC (ou LaRouche pour être plus exact) si ce n’est la même chose ? La seule différence tient dans l’approche de modélisation, mais cela ne change rien de fondamental, cela reste de la mise en équations.

Car les deux commettent la même erreur profonde : croire qu’on peut mettre la dynamique de l’action individuelle et sa myriade d’échanges libres sur le marché en une simple série d’équations. Ludwig von Mises a depuis longtemps réglé cette question en rappelant qu’un système d’équations suppose une unité de mesure, de référence, qui elle-même suppose une constante. En physique, le mètre est défini à partir d’une longueur d’onde atomique, immuable. Mais en économie, rien n’est immuable, il n’existe aucun aspect constant dans la vie sociale, et donc rien de social ne peut être mesuré. Même les prix ne sont pas des valeurs absolues, mais des ratios. La mise en équation est vouée à l’échec, quelle que soit la démarche de modélisation adoptée.

« Nous avons déjà rapporté que l’utilisation générale de la combustion du charbon pour faire fonctionner les machines — en vue de supprimer la dépendance vis-à -vis de la combustion du bois ou de la puissance hydraulique ou éolienne — a été le critère adopté par Leibniz pour fonder la science économique. Nous avons déjà identifié les principales caractéristiques de la fonction mathématique exigée. Le coût de la production du charbon doit être comparé au bénéfice obtenu en brûlant le charbon pour faire fonctionner les machines. La fonction de la machine à vapeur, selon Leibniz, est de permettre à un opérateur utilisant cette machine, de parvenir à une production de travail égale à celle « d’une centaine d’autres » opérateurs ne disposant pas d’une telle machine. L’économie de travail (travail épargné) représentée doit être comparée au prix de la machine et à celui de la consommation de charbon. Le prix de la consommation de charbon inclut celui de son extraction minière et son transport de, ainsi que les coûts de la combustion requise pour le transformer en une source d’énergie pour la machine.

Dans notre description initiale de la fonction mathématique requise, donnée quelques paragraphes plus haut, nous avons défini la fonction dans les termes de référence appropriés à la comparaison de machines entre elles. Nous devons maintenant redéfinir cette fonction. Posons d’abord A, l’économie de travail obtenue par les améliorations des pouvoirs producteurs du travail apportées par les machines à combustion, et posons ensuite B, les coûts additionnels encourus par la société pour la production, la maintenance et l’entraînement de ces machines ; c’est la valeur de (A - B = C) ramenée par tête, C désignant la marge nette du gain de la société, qui doit être considérée dans la définition des termes portés sur l’axe des ordonnées. Ce gain C définit un nouveau niveau de production (et de consommation) par tête de la société, impliquant un élargissement du panier de biens estimé par tête. A quels niveaux d’augmentation d’intensité capitalistique et de densité du flux énergétique cette fonction indique-t-elle des retours sur investissements « en diminution » ?

« On obtient la valeur approximative de l’intensité capitalistique en établissant le rapport entre travail total consommé (par opérateur de machine), en tant que capital, et travail moyen de l’opérateur sur la machine. Les coûts en capital à retenir pour établir ce rapport comprennent le travail requis pour produire et maintenir la machine, pour lui fournir son énergie, mais pas les postes constituants des « frais généraux » comme l’administration, les divers types de services non-scientifiques, les coûts de vente, les charges financières, etc. »

Il faut reconnaître à JC-LaRouche une certaine honnêteté puisque par exemple ci-dessus – et à d’autres reprises – il admet faire des approximations. C’est bien tout le problème de ce genre d’approche, qui pourtant se prétend scientifique.

A titre de comparaison, rappelons que l’EAE repose sur une approche entièrement construite sur la déduction logique, à partir d’un noyau très limité d’axiomes incontestables. De ce fait, tout ce que l’EAE peut tirer comme lois de l’exposition des phénomènes de choix et d’interrelation sociale est strictement exact. Il n’y a pas la moindre approximation. Par contre, l’EAE repose sur de nombreuses inconnues et qui le restent, à commencer par les préférences individuelles, ce qui lui rend impossible toute prédiction autre que très générale.

« Lorsque l’intensité capitalistique augmente, quel est le taux correspondant d’accroissement de la productivité moyenne du travail dans la société toute entière ? Nous pouvons encore prendre pour base de comparaison l’accroissement des pouvoirs producteurs de cette seule composante de la force de travail totale que sont les opérateurs actifs. En fait, ces deux mesures de l’accroissement de la productivité par tête devraient se recouper. »

« La « courbe » de notre fonction mathématique, définie par la mise en corrélation des accroissements de l’intensité capitalistique avec ceux de la productivité moyenne du travail, est une courbe décrivant l’accroissement de la capacité à accomplir du travail. Nous devons procéder à la même extension de cette fonction que celle à laquelle nous avons procédé pour définir le fonctionnement de la machine quelques paragraphes plus haut ; nous devons ajouter l’axe des Z, l’accroissement de la densité de flux énergétique. Nous obtenons alors une « courbe » qui décrit la diminution des retours sur investissements à partir d’un certain point d’accroissement de l’intensité capitalistique, si la densité de flux énergétique demeure constante. Nous obtenons aussi une courbe qui rentre dans une région de retours sur investissements en diminution si la densité de flux énergétique augmente à intensité capitalistique constante. Nous obtenons une courbe différente quand les deux s’accroissent simultanément. Les courbes intéressantes sont celles pour lesquelles l’intensité capitalistique et la densité de flux énergétique augmentent simultanément, mais avec des taux d’accroissement différents. Les plus intéressantes parmi celles-ci sont celles pour lesquelles les taux d’accroissement relatifs de chacune d’entre elles varient, linéairement ou non, et pour lesquelles les taux de variation de l’accroissement relatif des deux sont eux-mêmes décrits par une fonction mathématique. Cette fonction est une fonction du niveau d’intensité capitalistique et de la densité du flux énergétique. »

« En d’autres termes, dans les cas les plus intéressants, il est impossible de faire progresser efficacement l’intensité capitalistique sans agir, en même temps et aussi peu que ce soit sur la densité du flux énergétique. Il est impossible d’accroître efficacement la densité du flux énergétique sans agir un minimum sur l’intensité capitalistique. Ce cas intéressant est celui que l’on rencontre dans les processus économiques réels. »

« Imaginez le cas hypothétique de deux machines à combustion consommant la même quantité horaire d’énergie générée à partir du charbon, mais dans lequel un opérateur utilisant un de ces deux types de machines a un taux de production supérieur à celui d’un autre opérateur utilisant l’autre type. La différence entre ces deux types de machines est une différence tenant à l’organisation interne des machines. C’est sur cette différence que repose la définition donnée par Leibniz de la technologie (historiquement connue, en France, sous le nom de « polytechnique »). »

« L’économie physique est l’étude des types indiqués des fonctions mathématiques du point de vue de la polytechnique (ou technologie). »

Et bien non, justement, ce n’est pas cela l’économie. L’économie n’est pas un champ mathématique désincarné. L’économie, c’est avant tout des hommes et l’homme ne se met pas en équations.

« En première approximation, la polytechnique (ou technologie) est définie par la quantité équivalente d’action circulaire nécessaire à la transformation par la machine de la puissance appliquée en travail. »

« Comme en astronomie, par exemple, les processus internes de la machine sont étudiés en tant que cycles d’évolutions dans la direction de l’action appliquée, et tout cycle correspondant à ce changement est défini en englobant les moindres cycles. Avec l’aide de ce que Nicolas de Cues appelait le principe du minimum-maximum, le principe isopérimétrique, on détermine l’action circulaire équivalente à l’action accomplie par la machine. Ceci est l’application du principe de moindre action à l’analyse de la polytechnique (« technologie ») du cycle de la machine. »

« Ce n’est pas parce que beaucoup de machines sont associées à l’action de rotation que l’on adopte cette façon de faire ; les machines sont dominées par l’action rotative car cela est requis par le principe physique de la nature correspondant au principe de moindre action de Leibniz. »

« Pour ajouter la fonction de l’axe des Z de notre fonction mathématique générale, nous devons refléter l’accroissement de la densité du flux énergétique au sein de l’interprétation par l’action circulaire. Ceci conduit à un ordre supérieur d’action circulaire, l’action conique spirale. Les implications les plus profondes de ce résultat sont clarifiées en examinant cette caractéristique de la fonction à partir des remarquables travaux effectués par Gauss et Riemann sur les fonctions coniques spirales soi-similaires. »

La suite vaut son pesant de cacahuètes :

« Il faut reconnaître qu’aucune institution dans le monde, en dehors de l’auteur et de ses collaborateurs, ne pratique aujourd’hui la science économique telle que Leibniz l’a définie ; en dehors des cercles entourant l’auteur, aucune université quelconque, à notre connaissance, ne traite la science économique comme Economie Physique, ou ne reconnaît que l’Economie Physique et la Physique Mathématique, se recoupent et constituent des sujets de recherche inséparables. A la suite du Congrès de Vienne de 1815, aucun nouveau travail dans le domaine de l’Economie Physique n’a été effectué. En dehors des programmes caméralistes établis ou poursuivis sous l’influence de Leibniz, le principal centre pratiquant l’Economie Physique au début du XIXe siècle a été l’Ecole Polytechnique de 1794 à 1815, sous la direction de Lazare Carnot et de son professeur Gaspard Monge. A partir de 1816, avec l’exil de Carnot en Allemagne, l’institution a été reprise et ruinée par Pierre-Simon Laplace (1749-1827), une destruction épistémologique et morale poursuivie sous la direction d’Augustin Cauchy (1789-1857) [9]. »

Il ne fait pas de doute que si aucune autre ligne de pensée n’a suivi et développé la théorie abordée ici, c’est qu’elle ne résout pas le problème posé, autrement dit qu’elle ne traite pas d’économie. Je ne me permettrai pas de dénoncer cette théorie comme totalement inutile et sans fondement, ce n’est pas mon propos et je n’ai vraiment aucun avis – même si tout cela sent fort l’approximatif. Mais par contre, je suis sûr d’une chose : il ne s’agit pas d’une théorie permettant de décrire les phénomènes humains qui interviennent dans la société à titre « économique ».

« L’application des principes de l’Economie Physique aux progrès de l’économie politique fut poursuivie avec succès au-delà de 1815 par les représentants du Système Américain d’Economie Politique tels que Friedrich List (1789-1846), Henry C. Carey (1793-1879) et E. Peshine Smith (1814-1882). Carey, avec Henry Clay, fut un dirigeant des Whigs et le conseiller en économie du Président Abraham Lincoln. L’ami de Carey, E. Peshine Smith, fut, à partir de 1872, le conseiller de la Restauration Meïji au Japon, et a assisté le Japon dans sa marche vers une industrialisation aujourd’hui admirée et enviée dans maintes parties du monde. Ainsi, leur travail a eu un impact majeur sur l’histoire mondiale durant et au-delà de leur vie, mais ils n’ont apporté qu’une contribution marginale au corps des connaissances de la science économique telle qu’elle fut développée par Leibniz et ses successeurs de 1671 à 1815. »

« La méthode et le courant de Leibniz ont été par ailleurs vigoureusement maintenus en Allemagne par quelques institutions phare jusqu’à la mort de Gauss (1855), de son successeur immédiat, Lejeune-Dirichlet (1859) et du collaborateur et successeur de Gauss et Dirichlet, Riemann (1866). Bien que Dirichlet, un protégé de Alexander von Humboldt, ait étudié à l’Ecole Polytechnique en collaboration avec Humboldt et que Humboldt lui-même ait été en relation étroite avec Carnot jusqu’à la mort de ce dernier en 1823, le cercle de Humboldt à l’Université de Berlin et leurs alliés Gauss et les cercles de Göttingen n’ont pas étendu leurs remarquables découvertes en physique mathématique au domaine de l’Economie Physique en tant que telle. Il est singulier que l’auteur ait dû être le premier à reconnaître, en 1952, l’adéquation de l’œuvre de Riemann aux problèmes fondamentaux non encore résolus de la science économique. »

« Henry C. Carey était au moins quelque peu conscient de ce problème et de sa signification. L’Unité de la Loi de Carey (1872) est de ce point de vue exemplaire. Dans les grandes lignes, l’objectif de Carey est correct et nombre de ses arguments relèvent de conceptions qu’aucun étudiant sérieux en économie ne devrait négliger. L’aspect malheureux de ce livre réside dans le fait que Carey était à cette époque sous l’emprise d’une admiration déplacée pour le Professeur Eugen Dühring [10] de l’Université de Göttingen, une célébrité éphémère de l’époque. Sous cette influence, les références de Carey aux principes physiques reflètent l’autorité de personnalités et de thèses directement opposées à celles de Riemann et de Gauss. Aussi, bien que Carey insiste correctement sur la nécessité de la prise en compte de la thermodynamique en science économique, il s’appuie sur la mauvaise doctrine de la thermodynamique. »

Pour finir, un peut de mythomanie, il faut ce qu’il faut, l’auteur est très fier de lui :

« Les propres contributions de l’auteur à la science économique sont centrées sur une découverte faite d’abord en 1952. Dans le fil de son effort, pour réfuter la thèse de la « théorie de l’information » de Wiener-Shannon, il fut amené (au cours de la période 1948-1952), à étudier les travaux que Georg Cantor avait effectué sur les ordonnancements transfinis au cours de la période 1871-1883. Ceci le conduisit à corriger et à renouveler sa perspective sur les travaux effectués par Riemann dans la période 1852-1859 [11]. Il reconnut alors que la physique mathématique riemannienne résout implicitement le problème de la mesure de la relation existant entre une certaine quantité de progrès technologique et l’accroissement du taux de croissance économique en résultant. Aussi, la méthode développée à partir de ce point de départ est ici appelée méthode LaRouche-Riemann. »

« Nombre de mathématiciens et autres spécialistes de physique mathématique, ainsi que de disciplines associées, se sont joints aux étudiants des classes de science économique de l’auteur. Avec leur collaboration, à partir de 1970, la forme originale de la méthode LaRouche-Riemann a été développée et appliquée à l’analyse et aux prévisions économiques. Ce travail en science économique est inséparable des travaux qui se poursuivent sur la fusion thermonucléaire contrôlée et sur d’autres secteurs-frontières de la physique des plasmas. Dans cette mesure, la tradition de Leibniz et de l’Ecole Polytechnique put renaître. »

Voilà maintenant que l’économie serait proche non seulement de la thermodynamique, mais aussi de la thermonucléaire. Cela me rappelle certains commentaires sur Facebook que Bruno Lardoux me fait à propos du libéralisme, qui serait « intrinsèquement entropique ». Je n’avais jamais compris comment il pouvait faire un quelconque lien entre liberté et thermodynamique, je comprends mieux désormais.

Pour lui, la liberté est une perturbation, en effet, puisque des hommes qui auraient un comportement « brownien » ne permettraient pas à « la Machine » de passer par la « ligne de moindre action » si chère à notre ami. Donc oui, avec une vision thermodynamique du monde, la liberté est source d’entropie. Le seul problème, c’est que la réalité est têtue et les hommes sont tout sauf des moutons et c’est la théorie de l’homme-machine qui est dans l’illusion. Pas la liberté ni le libéral.

Cheminade, LaRouche et Lardoux prennent le problème de l’économie à l’envers. Ils veulent faire entrer l’humanité dans leur jolie boîte, au lieu de tenter de trouver une boîte adaptée à l’humanité. Seule l’EAE a trouvé la bonne boîte.

« L’importance d’un tel recouvrement d’activité est illustrée par les faits suivants. »

« Supposons que, dans certains cas, nous perdions 80% de la puissance fournie à une machine, ou à un processus, dans le cadre d’un effort visant à accroître la densité du flux énergétique de plusieurs ordres de grandeur ou plus encore. Cependant, dans quelques uns de ces cas, nous accomplissons plus de travail qu’il ne pourrait en être obtenu en utilisant 100% de la puissance fournie à des niveaux moins élevés de densité de flux énergétique. Nous avons souligné plus haut ce curieux phénomène : la simple conversion d’énergie en travail est une notion fallacieuse. Ce curieux phénomène est la caractéristique centrale des processus vivants, mais nous le rencontrons aussi en considérant d’autres aspects du travail scientifique. »

Noter la « notion fallacieuse » des « processus vivants ». Elle consiste à s’étonner, voire s’offusquer que le vivant ne puisse pas obéir à la loi du « toujours plus ». On voit à quel point on a ici oublié que l’économie est un mécanisme humain et non physique.

« Comme nous le démontrerons plus loin, la science économique considérée du point de vue de la physique mathématique riemannienne nous oblige à définir les termes de travail et d’énergie d’une certaine manière, une manière opposée à celle que Clausius (1822-1888), Helmholtz (1821-1894), Maxwell (1831-1879) et Boltzmann (1844-1906) ont popularisée. Pour des raisons établies avec certitude par Kepler, et par les compléments apportés par Gauss aux travaux de Kepler s’y rapportant, les notions de travail et d’énergie dérivées de la science économique sont nécessairement celles qui sont correctes, et se trouvent en conformité avec les notions de la physique mathématique riemannienne en tant que physique. L’économiste scientifique est par conséquent obligé de rechercher dans les travaux des physiciens et des biologistes les cas expérimentaux exigeant le recours aux mêmes notions de travail et d’énergie, que celles relevant de l’économie. L’objet principal de telles recherches est de dégager les aspects des processus physiques qui sont par nature les plus féconds pour le progrès de la technologie. »

JC-LaRouche nous réserve une conclusion digne d’un chef d’œuvre trotskiste ou hitlérien : les notions de la « science économique sont nécessairement celles qui sont correctes, et se trouvent en conformité avec les notions de la physique mathématique riemannienne en tant que physique ». Rien que ça. Autrement dit, j’ai modélisé le monde, et oui, le monde a bien l’humilité d’être conforme à la vision que j’ai de lui. Nous sommes face à un cas aigu de mythomanie de haute volée.

Nous voilà à la fin de ce long texte, merci aux courageux qui sont arrivés ici. On a vu que nous avons affaire à une théorie encore plus fumeuse que ces pourtant nombreuses théories dites économiques qui reposent sur la mise de l’homme en équations. Celle-ci repose en plus sur une vision purement mécanique et utilitaire de l’homme et ne prend nulle part en compte ni l’affect ni la dimension interactive de la vie sociale. Et dire que certains y croit dur comme fer.

Je pense qu’il n’est pas nécessaire que je continue de  travailler sur ce livre, il n’en vaut pas la peine.