J’ai promis à Bruno
Lardoux, doux foldingue membre actif du Modem, de mener une analyse critique de
cette traduction d’un livre de Lyndon H. LaRouche qui semble lui servir de
bible en matière d’économie, ainsi qu’à rien de moins que Jacques Cheminade,
autre illuminé à l’existence médiatique rythmée par nos rares élections présidentielles.
Devant à la
fois le volume du texte et la densité de ses erreurs conceptuelles, et aussi
pour optimiser mon temps, j’ai choisi de travailler par étape en commençant
ainsi par l’avant-propos, de la main de J.Cheminade lui-même, et qui déjà vaut
son pesant de sesterces. Le texte original est accessible ici.
Par souci d’objectivité,
j’opte pour ne rien enlever de l’article original, au risque d’un article trop
long. Le lecteur pourra constater ainsi que je n’en retire rien pour quelqu’éventuelle
manœuvre intellectuelle que ce soit. Je commenterai paragraphe(s) par
paragraphe(s) pour rester aussi proche de chaque idée que possible. C’est
parti.
« Mon ami Lyndon
LaRouche est l’homme politique américain le plus controversé et le plus diffamé
de notre temps et, sans doute, de tous les temps : ceux qui ne l’ont ni lu, ni
entendu, ni connu ne sont pas les moins acharnés. Ils répètent le plus souvent
des segments de phrase colportés par ses ennemis ou le contenu de rapports qui
leur ont été fournis par des « experts » toujours intéressés. »
Rien à dire
sur Lyndon LaRouche, ce n’est pas l’homme notre sujet. Ces commentaires font
penser à Ron Paul, autre extra-terrestre de la vie politique américaine, à la
différence que Ron Paul fait depuis 30 ans un diagnostic juste de la société et
de l’économie de son pays, en se référant à une théorie réaliste de l’économie,
dite « autrichienne ».
« Notre objectif,
ici, est de permettre aux lecteurs de langue française de juger sur pièces. En
même temps, ils se familiariseront avec une conception de l’économie qui permet
de faire face à l’horreur financière, par des actes et un engagement
politiques, non par des mots demeurant nécessairement vains. »
Premier faux
pas. La finance n’a rien d’horrifiant en elle-même. C’est même une fonction
sociale indispensable au développement économique et même social. Pas de
finance, pas de projet d’ampleur, pas d’homme sur la lune – un sujet cher à Bruno
Lardoux. Si la finance est en effet devenue corrompue et même mafieuse, ce n’est
en rien intrinsèque. La cause est à rechercher du côté de celui qui lui lâche la
bride, à savoir l’état supposé régulateur. On y reviendra sans doute.
Seconde fausse
note, l’engagement politique et l’économie. Comme tout politicien – n’en est-il
pas un ? – J.Cheminade (désormais ‘JC’) prétend que l’engagement politique
peut « faire face » à cette « horreur ». Or c’est en partie
vrai, mais c’est surtout en partie faux. Bien sûr, l’engagement permet au
peuple de prendre conscience de la vision déformée de ce qu’est l’économie,
vision qu’on lui sert en pâture chaque jour. Bravo à JC – et à Bruno Lardoux –
pour lutter contre cela.
Mais là s’arrête
le pouvoir de l’engagement politique, qui n’a certainement pas celui de changer
la réalité et ne l’aura jamais. L’économie est l’expression du fonctionnement
social naturel et spontané, elle vient du fond des âges et de la simple caractéristique
humaine qu’est la capacité à raisonner individuellement face à l’obligation de
choisir sa vie. De ce fait même, elle obéit à des lois – telle la loi de l’offre
et de la demande – intemporelles et indestructibles que nul ne sera jamais
capable d’infléchir – surtout pas un politicien isolé et irréfléchi.
« Il est en effet
particulièrement important qu’un homme prenne le parti de dénoncer toute
conception de la valeur fondée sur des critères étrangers à l’homme – terre,
profit financier ou marché, travail brut, information, etc. – et refonde du
même élan les éléments d’une économie physique basée, elle, sur les pouvoirs
créateurs propres aux êtres humains. »
Ce paragraphe
annonce deux concepts fondamentaux – valeur et économie physique – qui sont la
source même des errements des JC et BL. Mais il y a trop peu d’éléments ici
pour aider le lecteur à comprendre mon propos. Continuons.
« Alors, vous
voulez tout savoir sur l’économie ? nous interpelle à l’américaine, sans façons
ni manières inutiles. Celui qui vous parle a payé de cinq ans de prison sa
hardiesse qui le fit défier, aux Etats-Unis, les modernes « dieux de l’Olympe
». Ces tristes dieux, au moment où ce livre a été écrit, se nommaient Margaret
Thatcher, François Mitterrand, et George Bush. L’Olympe était – et demeure – la
grande maison de l’oligarchie financière. »
Il est intéressant
de constater que JC se positionne un peu comme les Libéraux, en opposition
frontale avec la Gauche comme avec la Droite. Il est dommage que ses idées ne
soient pourtant pas aussi différentes que les leurs (G et D) qu’il le prétend,
comme on le verra.
« Il s’agit donc
ici d’un effort pour faire face, au nom de la passion de comprendre, de créer
et d’entreprendre, et de la volonté de faire partager ce qu’elle permet de
découvrir. »
Même remarque.
Un libéral aurait pu écrire cela. Sauf peut-être que pour un libéral, il n’y a pas
tant à « découvrir » de la réalité des phénomènes sociaux que dans l’innovation
et la liberté qui en résulte.
« Encore un mot.
Une immense majorité de Français tiennent leur formation « économique » du
manuel de Raymond Barre. Certes, chacun affirme ses positions de « droite » ou
de « gauche », mais le plus grand nombre, dans notre nomenklatura, admet les
principes de base dont part ce manuel, auxquels il a été soumis et qu’il a dû
répéter pour réussir ses examens et ses concours, c’est-à-dire sa carrière. »
Ce texte a dû être
écrit dans les années 70 ou 80, vu la référence à Raymond Barre qui fut
professeur d’économie avant de devenir, en 1976, Premier ministre de VGE. Il
est frappant de lire que JC imagine les français en majorité formés à l’économie,
alors que de nos jours, l’immense majorité de nos concitoyens n’ont strictement
aucune notion en la matière – et quand il en ont, ces notions sont généralement fausses.
Ce commentaire
conjoncturel mis de côté, constatons que JC suppose R.Barre comme référence et s’apprête
donc à dénoncer la théorie économique qu’il représentait. Dont acte. Sauf que
la seule théorie économique qui donne une description exacte de la réalité est
celle de l’école autrichienne et que Barre n’est pas connu pour en être un
adepte. Nous allons donc vers quelques différends dans ce domaine…
« Or M. Barre,
qui n’est pas une exception mais a le mérite d’être le plus cohérent de son
espèce, part d’une conception selon laquelle « l’activité humaine présente un
aspect économique lorsqu’il y a lutte contre la rareté ». Dans L’objet de la
science économique, il décrit l’homme comme une somme algébrique de plaisirs et
de douleurs : « Tout homme a des besoins, c’est-à-dire des désirs de
disposer de moyens capables de prévenir ou de faire cesser des sensations de
peine ou d’insatisfaction, ou de moyens aptes à provoquer et à accroître des
sensations agréables. »
Il y a deux
niveau de lecture ici : Barre et Cheminade. Tout ce qui est dit au nom de
Barre n’est pas faux, sans être tout à fait exact. Et on ne sait pas vraiment
ce que JC lui reproche. Barre a une vision classique de l’économie, centrée sur
la rareté. Pour un « autrichien » cependant, il y a deux niveaux. La
praxéologie est la science de l’analyse de l’action humaine, évoquée par Barre.
L’économie est le sous-espace de l’action humaine en rapport avec la rareté des
ressources, une définition donc assez proche de celle de Barre.
Il semble que
JC soit plus gêné par la vision algébrique de Barre, elle aussi classique mais
cette fois totalement erronée selon un œil « autrichien ». Les actions humaines
sont guidées par les choix instantanés de chacun selon ses préférences de l’instant.
A ce titre, elles sont propres à chacun, varient constamment, n’ont rien de numérique,
elles ne peuvent pas être quantifiées et ne peuvent pas non plus être ajoutées
ou soustraites ni comparées. Toute tentative de mise en équation de l’économie
est de ce fait vouée à l’échec, c’est-à-dire sans espoir de représenter quoi que
ce soit de réel. La critique de JC fait donc mouche sur ce point, bravo.
« Dans cet
univers fragmenté en individus hétérogènes (« le besoin varie d’un individu à
l’autre »), les « désirs » précèdent la raison, les connaissances humaines et
leurs créations. L’homme se trouve ainsi réduit à un animal domestiqué qui ne
respecte les règles de la vie sociale que par intérêt. Les ressources, n’étant
que celles de l’univers matériel, sont nécessairement rares et la « science
économique » est donc la science de l’administration de cette rareté. Cette
science est ainsi par définition amorale : « La science économique étudie les
relations entre les fins de l’activité humaine et les moyens utilisés, mais
elle est neutre à l’égard des fins. »
Ici par
contre, JC perd tout bon sens. Car oui, nous sommes des individus chacun doué
du libre arbitre et donc chacun est différent et a des besoins différents,
pourquoi le contester ? Et pourquoi avancer que le désir précéderait la
raison ? Il est bien évident que la raison joue une large part dans le
processus cognitif continu de choix des actions humaines.
L’erreur habituelle
est commise ici qui consiste à chercher à comprendre et juger des facteurs qui
conditionnent le choix de l’action, au lieu de se borner à constater qu’il y a
action. Le choix lui même ne relève pas de l’économie, mais de la psychologie
voire de la psychanalyse, et cela n’a rien à faire dans le domaine politico-économique.
Et donc en
effet, l’économie est « amorale », elle n’est ni morale ni immorale,
la moralité n’est tout simplement pas de son domaine, cela ne regarde ni l’économiste
ni encore moins le politique.
« Tout LaRouche
est une insurrection contre cette conception pessimiste de l’homme qui, en ne
partant pas de ses pouvoirs créateurs, le réduit à un pion comptable. »
Pessimiste ?
Pourquoi pessimiste ? Où est l’argument, l’explication ? Le pion
comptable ? On vient de voir qu’à condition de prendre la bonne théorie,
il n’en est rien. Reste cette évocation énigmatique, déjà vue plus haut, des « pouvoir
créateurs ». JC verrait donc l’économie comme basée sur ce concept jusque
là mal défini ? A suivre, mais cela semble déjà peu logique puisque la
capacité créatrice n’est jamais qu’une expression comme une autre de l’action
humaine.
« La conception
du Barre et de ses épigones – de « droite » ou de « gauche » – ne peut pas
rendre compte de l’histoire de l’homme, marquée d’inventions, de percées
technologiques qui lui ont toujours permis de briser les limites d’un « état de
choses » existant et d’accroître son potentiel de densité démographique, de
croître et de se multiplier. »
Pour Barre je
ne me prononcerai pas, mais la théorie autrichienne prend parfaitement ces
aspects en compte. A l’inverse, croire que l’économie n’est faite que de cela,
c’est tout aussi réducteur et inexact. JC nous glisse au passage ce qui semble être
un autre indicateur clé de sa vision économique, le « potentiel de densité
démographique ». Mais qu’est-ce donc que cela, mystère pour l’instant.
Remarquons simplement que c’est néanmoins indicateur d’une vision erronée, et même
« barriste » d’une certaine façon, ce qui est une belle ironie. En
effet, cet indicateur, vu son nom, est condamné à être quantifié, ce qui
implique qu’il soit le résultat d’un calcul et donc d’un jeu d’équations.
Mais comment ?
N’est-ce pas cette mise en équation, cette « somme algébrique », que
JC critiquait plus haut ? Quoi qu’il en soit, pour un autrichien, la
question ne se pose pas : il n’est pas possible de résumer l’économie à un
seul indicateur, quel qu’il soit, et celui-là pas plus que tout autre ne peut rendre
compte de la complexité sociale et humaine.
« Pire encore,
cette conception est en accord avec un monde de ressources fixes, limitées, que
les hommes se disputent, et conduit donc fatalement au chaos ou à la lutte de
tous contre tous, à l’effondrement et, finalement, aux crimes des idéologies du
sol, du sang et de la race. »
Là encore,
Barre peut-être, mais aucunement la vision économique dite autrichienne – dorénavant
« EAE », école autrichienne d’économie.
« Certes, M.
Barre ne peut en aucun cas être soupçonné de le vouloir, mais force est de
reconnaître que sa conception du monde et de l’économie n’est pas de nature à
l’empêcher. Hélas, cette conception du monde rencontre l’adhésion, consciente
ou inconsciente, de l’immense majorité de nos élites et de celles qui partout
promeuvent la mondialisation, à Davos ou ailleurs. »
No comment.
« Alors, vous
voulez tout savoir sur l’économie ? nous pose sa question insistante et
irritante. Il est temps de commencer, de partir du bon pas de la création
humaine partagée, en sachant que lire ce texte, c’est prendre le risque de
changer, de se transformer, de passer à un autre ordre de compréhension.
C’est-à-dire de faire quelque chose d’interdit et d’impossible dans l’univers
de M. Barre ou de tous ceux qui portent aujourd’hui livrée d’« économistes ».
Lisez, circulez, il y
a quelque chose à voir. »
On a vu, en
effet. On a vu que prendre Barre n’était pas prendre le bon cheval, et que déjà
JC montre des signes de mécompréhension de la réalité économique. Mais continuons
sur le prochain chapitre… à suivre…
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