Friday, December 22, 2017

Subvention étatique des associations – Analyse critique – 3 : Par ministère – 3/3

Nous continuons la critique du « Jaune » budgétaire rapportant des subventions étatiques au profit des associations en 2015, en analysant comment les montants se répartissent selon les ministères. Dans cette dernière partie, on s’intéresse aux ministères de l’Intérieur, de la Justice, du Logement, aux « Services du Premier ministre » et à celui du Travail. Et commençons donc par voir ce que nous dit l’Intérieur, qui finance 424 entités avec 19,9 millions :

« Au travers des objectifs qui leur sont assignés et dans le cadre de la mise en œuvre des politiques publiques dont ils ont la charge, les programmes du ministère de l’intérieur concourent à la politique en faveur du secteur associatif. En 2015, pour le ministère de l’intérieur, les programmes contributeurs ont été : Police nationale (216), Sécurité civile (161), Sécurité et éducation routières (207), Immigration et asile (303), Intégration et accès à la nationalité française (104) et Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur (216). Au total, le ministère de l’intérieur a ainsi versé 19,93 M€ de subventions lesquelles ont bénéficié à 423 associations. » Il y a bien deux fois 216 dans le texte. Le 1er est en fait le 176.

Au moins, un peu comme la Défense, en voilà un qui opte pour une présentation succincte mais structurée selon ses six programmes. Mais pour autant, le texte est tellement creux et vide qu’on peut affirmer qu’il ne décrit aucune politique ni aucun argument pour motiver le financement associatif ni la structure thématique de ses programmes.

Comme par hasard vues les tendances de l’actualité, c’est P104 et son thème de l’intégration qui prend la plus grosse part (38,6%) du gâteau, avec 7 695 189 euros, mais pour un nombre assez limité (65) d’associations – plus de 118 mille euros en moyenne. Toujours la même remarque : la nationalité est un acte administratif, il n’est pas régalien de s’occuper de son « accès », pas plus qu’il ne l’est de financer des actions en lien avec l’intégration : à chacun de s’intégrer par soi-même, sinon ce n’est plus de l’intégration, mais de la garderie ou du maternage.

L’autre point qui a attiré mon regard est P176, celui mal numéroté dans le texte du Jaune. Pour la Police nationale, 3 887 757 euros profitent à une élite de 8 associations seulement, soit 486 mille euros en moyenne, plutôt très confortable. Voilà un autre groupe d’associations qui méritent d’être passées à la loupe plus tard.


Passons au ministère de la Justice, dont on attend moins de fantaisie. Avec un budget de 35,3 millions, elle est plutôt sobre comparée aux autres, et les 1 334 associations touchées le sont de manière plutôt plus homogène, comme le graphique suivant le montre. Comme d’habitude, reprenons le texte de présentation tel qu’il est dans le Jaune :

« Le ministère de la justice soutient, notamment moyennant des conventions d’objectifs, des associations dont l’activité est en rapport direct avec les missions du ministère de la justice : - associations réalisant des actions de préparation à la sortie, de lutte contre l'indigence et de réinsertion (P 107), - associations réalisant des actions qui visent à favoriser l’éducation et/ou l’insertion des mineurs sous protection judiciaire (P182), - associations socioculturelles et sportives dans le cadre de l’action sociale ministérielle (P 310). Le ministère de la justice subventionne également les associations d’aide aux victimes et d’accès au droit et de médiation familiale (P 101). Très impliqué dans la lutte contre le terrorisme, Il a bénéficié pour ce faire de moyens supplémentaires en 2015 et 2016 lui permettant de renforcer son soutien aux associations les plus engagées dans l’aide aux victimes d’attentat. Ces dernières offrent, le plus rapidement possible après les faits, un soutien matériel et psychologique renforcé aux victimes. »

Décidément, les régaliens aiment bien structurer leur présentation par programme, ce qui va dans le bon sens. Par contre, aucun et pas plus la Justice n’explique les raisons qui les ont poussés à distribuer plus de budget à tel programme plutôt que tel autre – surtout, ne pas dire les choix, faire mais sans jamais dire pourquoi… Dernière note générale, la phrase de la fin sur les victimes ne se retrouve nulle part dans le nom des programmes financés.

Toujours est-il que le programme le plus doté (19 435 658 euros, 55% du budget pour 465 cibles) est P101 « Accès au droit et à la justice » dont le nom mérite une reconnaissance particulière pour grand sens de l’humour. En effet, poser l’accès au droit et à la justice comme n’allant pas de soi et méritant ou justifiant des « investissements » de la part du ministère qui en est en charge, ce serait un peu comme un St Louis donnant justice sous son arbre qui financerait la pousse d’un arbre un peu partout pour être sûr que tout le monde puisse ainsi profiter de sa justice. Si des gens n’ont pas accès à la justice, peut-être que le ministère devrait se remettre un peu plus en cause dans son fonctionnement et ne pas attendre des associations qu’elles pallient ses insuffisances de fonctionnement ?

Sinon et dans la même veine, à l’inverse, P182 « Protection judiciaire de la jeunesse » semble par son faible budget de 937 438 euros accorder vingt fois moins d’importance à la protection de la jeunesse qu’à « l’accès à la justice » par on ne sait trop qui – les migrants, on présume, c’est bien plus important.


Prochain sur la liste, le ministère du Logement, de « l’égalité des territoires » et de la « ruralité ». Rien que le nom est un voyage conceptuel, tant l’égalité des territoires va à l’inverse total de la réalité de notre monde et ce qui en fait la richesse. Mais voyons ce que le ministère nous dit justifier ses 37 millions de budget pour 662 associations :

« Le ministère du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité apporte un soutien financier aux associations porteuses d'initiatives de nature à compléter, voire enrichir l'action des services dans leurs domaines de compétence. Pour l'essentiel, il s'agit d'associations dont l'activité principale concerne un ou plusieurs des champs d'action suivants : l'information sur le logement, l'accompagnement dans le logement, l'hébergement et l'insertion sociale. »

Alors cette fois, non seulement c’est très court, peu informatif – pour être neutre – sans aucune valeur ajoutée ni explication, mais en plus ils trouvent le moyen de suivre une décomposition thématique qui ne suit pas de manière évidente leur propre décomposition en programmes. Décidément, les ministères n’aiment pas rendre des comptes.

Le programme le plus gourmand est le P135, « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat », avec un budget de 19 217 767 versées à 281 associations, soit 51,6% de l’ensemble. Difficile de savoir de quoi il s’agit concrètement et en fait c’est là la principale critique envers ce ministère : il ne fait rien pour que le citoyen sache pourquoi il finance des associations, il refuse d’entrer dans une logique de transparence effective – comme les autres, soit dit.


Avant-dernier de la liste, le ministère qui n’en est pas un puisqu’il s’agit des « Services du Premier ministre », donc tout ce qui touche l’interministériel. Ses 17,2 millions sont distribués sur 6 programmes, voyons pourquoi :

« Les subventions accordées par le Premier ministre sur le programme 129 sont destinées aux fondations et associations oeuvrant en faveur des droits de l'homme ou du développement de la citoyenneté. Les subventions octroyées sur le programme 162 sont destinées aux associations intervenant dans les domaines du développement agricole et de la protection de l'environnement. Les subventions octroyées sur le programme 112 visent des associations oeuvrant dans les domaines de l'aménagement des territoires, du développement de l'attractivité économique et du soutien à la gestion durable. Les subventions octroyées sur le programme 147 visent des associations intervenant dans les domaines de la prévention, du développement social, de l'emploi et du développement économique. »

Eh bien voilà au moins une présentation qui présente une certaine logique, comme quoi quand on veut on peut et ce sont plutôt les ministères les moins dépensiers et les plus « ordinaires » qui présentent avec le plus de cohérence. Cela étant dit, ce ne sont pas des explications, tout au plus des paraphrases des noms des programmes, ce qui ne nous donne aucun élément d’intérêt ni aucune matière quant aux raisons de l’arbitrage entres les programmes.

Il demeure que le programme qui consomme 84% du budget est le P129 dont le titre vaut la peine qu’on s’y arrête : « Coordination du travail gouvernemental », pourvu de 14 516 257 versés à 72 entités. Donc en gros, le travail du « gouvernement » a besoin d’être coordonné – soit – et pour cette coordination il y a besoin d’aller chercher des associations qui sont subventionnées à ce titre ? Je voudrais croire à une plaisanterie, mais nous sommes en France.

L’autre aspect très « optimal » des programmes du Premier s’exprime via les deux programmes P165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » qui fait l’objet de 1 200 euros et du P308 « Protection des droits et libertés » riche quant à lui de 1 500 euros. Ce sont les deux records des programmes les moins financés, et même si le libéral en est heureux, il est nécessaire de souligner le ridicule qu’il y a à mobiliser la machinerie d’un « programme » pour des sommes pareilles, qui signifient que probablement 100 fois plus aura été consommé dans leur administration.


Terminons cette série avec le ministère du Travail, qui est aussi celui qui aura le plus dépensé en subventions de tous les ministères, avec 456 millions, 22% des 2 milliards, décomposés en quatre programmes très contrastés.

Pour rester dans la ligne de « c’est celui le moins régalien qui explique le moins ses dépenses », le ministère du Travail n’a même pas pris la peine de donner une seule ligne d’explication de sa politique de subvention.

Néanmoins, on constate que quatre programmes sont financés et le graphique montre qu’ils sont soit énormes, soit minuscules – et on aime les programmes plutôt minuscules, en toute logique. Le plus conséquent est P102 « Accès et retour à l'emploi » avec pas moins de 243 687 910 euros (53,3%) pour 993 associations, puis vient P103 « Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi » bénéficiant de 172 778 036 (37,8%) pour 962 entités. Que dire sans plus d’éléments ? Sinon que les noms des programmes laissent transpirer une fois encore des objectifs qui ne relèvent en rien du rôle étatique, puisque bien plus du domaine de l’entreprise, seule à même d’apprécier les besoins de l’emploi et les « mutations » économiques, s’ils devaient y en avoir.


No comments: