Wednesday, September 28, 2011

Réponse a un logicien du dimanche


Stéphane Laborde, l'auteur farfelu de la "Théorie Relative de la Monnaie" et en rapport, du site http://www.creationmonetaire.info/, croit, dans son post "Philosophie Politique", avoir trouvé l'idée géniale et consensuelle permettant d'expliquer à la fois aux socialos et aux libertariens, mais aussi au passage au détracteur de sa 'TRM' que je suis, qu'ils ont tous un problème de logique et qu'en fait ils ne sont pas tant en opposition qu'on veut bien le dire - et surtout sans que eux, ces idiots, s'en rendent compte.

Il nous livre ainsi un de ces articles dont il a le secret, où comme pour la monnaie dont il aurait refondé la théorie, sous couvert de rigueur scientifico-logique, il est affligeant d'ineptie et de manque de lucidité. Voyons donc ce qu'il en est de cette prose philo-politique...

M.Laborde nous explique que : "Le problème vient de l'incompréhension de la nature des modèles logiques ou mathématiques. Une profonde incompréhension de la nature de ce que signifie "vrai" ou "faux", système logique cohérent ou incohérent. Mais que par ailleurs les jusnaturalistes font eux mêmes vis à vis des autres courants libéraux comme le géolibertarianisme et d'autres variations du libartarianisme dont le le libéralisme de gauche. Il faut donc éclaircir ce point d'abord d'un point de vue théorique général sur la nature d'un modèle et la logique, puis plus particulièrement sur les différences particulières entre ces courants libéraux.

En substance, les libertariens comme tout le monde n'ont pas compris qu'il y a plusieurs "univers logiques", que même vrai-ou-faux est une question de point de vue et donc que tout le monde a raison - ce qui au passage lui permet de justifier les soi-disant géolibertariens dont il se revendique. Nous verrons que c'est plutôt lui qui a un problème de fantaisie et de manque de rigueur...

Il continue ainsi en donnant comme exemple, classique, les conséquence de la découverte que la géométrie que nous connaissons tous, dite "euclidienne", n'est pas vraiment contradictoire avec la "non-euclidienne" : "En effet on a donc la géométrie euclidienne qui pose pour axiome (vérité posée "à priori" et base d'un système logique), (a) "deux droites parallèles ne se coupent pas". Quand Gauss affirme qu'il peut bâtir un système logique tout à fait cohérent qui pose (b) "deux droites parallèles peuvent se couper" le débat est lancé, et il est violent car on voit immédiatement que (a) et (b) s'opposent frontalement."

Il développe pour bien être sûr que les ignares que nous sommes comprennent et sont marqués à vie par le fer blanc de son génie, puis à partir de là, il en conclut que tout est possible, on peut dire tout et son contraire, car en fait il s'agit de choisir le bon référentiel, le bon univers logique : "Et donc on peut de façon très libre définir toute sorte de modèles, cohérents ou incohérents les uns par rapport aux autres, la cohérence étant une notion parfaitement relative, et donc la "vérité", le "vrai" ou le "faux", n'existent pas hors du modèle de référence qui permet de s'assurer que les assertions vraies ou fausses sont conformes ou non conformes au processus d'inférence (démonstrations à partir des axiomes). Sans donc préciser à quel modèle vous faites référence pour affirmer ou infirmer une affirmation vous êtes dans la liberté de choix de ce que vous définissez comme vrai ou faux. Mieux, vous proposez une définition conceptuelle qui peut n'avoir aucun référent dans un autre modèle. Il est donc vain d'affirmer que tel ou tel modèle est "absurde" ou "extrême" ou quoi que ce soit d'autre, si vous ne précisez pas le modèle de référence à partir duquel vous inférez ce résultat." (on ne s'attachera pas à noter les fautes d'orthograve...)

Soyons clairs, Stéphane Laborde ne dit pas que des bêtises - c'est d'ailleurs ce qui le rend dangereux pour la liberté. Il est tout à fait vrai que raisonner sur la base d'hypothèses aussi différentes que les axiomes euclidiens ou gaussiens conduit à des conclusions sans aucun rapports entre elles. Mais là s'arrête sa pertinence.

Car il commet dans cet exercice deux erreurs fondamentales : il croit que dans la vraie vie on peut librement choisir son univers logique et il croit qu'on peut être dans plusieurs univers en même temps. Hélas, on ne choisit pas la nature humaine, elle s'impose à nous.

Quel rapport avec la géométrie ? Dans la vie quotidienne, on se place le plus souvent dans l'hypothèse que les axiomes euclidiens s'appliquent. Ainsi l'architecte qui conçoit une tour immense suppose que ses parois verticales sont parallèles, qu'elles ne se se coupent pas. Est-ce un acte libre et gratuit de sa part, pouvait-il choisir autrement ? Non point, la géométrie euclidienne est utilisée simplement parce qu'elle modélise au plus près notre réalité et permet de ce fait d'obtenir des résultats fiables, c'est-à-dire en accord avec la réalité de ce monde où les parallèles sont... parallèles. Faites autrement, et votre tour s'écroule, comme l'euro de nos jours.

A l'inverse, mais selon la même logique, le marin - ou l'aviateur - choisit quant à lui la géométrie sphérique, une de celles où il existe des droites parallèles qui se coupent - les méridiens. Grâce à la géométrie sphérique, il peut calculer son itinéraire ou sa position en tenant au mieux compte de la rondeur de notre planète - problème que n'a pas l'architecte. Là encore, son choix, quoi que différent de celui de l'architecte, n'est pas un choix arbitraire, mais un choix de raison : il choisit le modèle, la théorie qui est la plus adaptée.

Certes, l'un comme l'autre pourrait décider d'utiliser une autre géométrie encore, mais leur liberté apparente serait alors "payée" par des résultats totalement farfelus ou par une complexité de calcul démesurée. On ne retiendra donc pas cette hypothèse car elle ne correspond à aucune réalité : dans la réalité, c'est la réalité justement qui détermine la théorie applicable, le choix de théorie est une pure illusion ou une fantaisie sans consistance. On ne modélise pas par plaisir ou par idéologie, mais par efficacité.

On en conclut donc que la soi-disant solution proposée par M.Laborde n'en est pas une, nous ne pouvons pas sauter d'une théorie à l'autre à notre gré pour valider toutes les incohérences du monde, simplement parce qu'il n'y a pas plusieurs théories - mais une seule - applicable à notre réalité physique et socio-économique. Et s'il devait en exister plusieurs, il faudrait qu'elles soient compatibles sans être incohérentes. L'incohérence théorique en matière sociale, ce n'est pas la liberté de l'observateur, mais c'est l'incompatibilité avec la nature humaine.

Enfonçons le clou, je vois venir l'objection : oui mais votre exemple ne parle que d'individus, donc d'un individu à un autre on pourrait parfaitement accepter de telles différences de référentiels et d'hypothèses. Non, cela ne marche pas non plus, simplement parce que la réalité est la même pour tout le monde. Il n'y a pas une réalité et un modèle pour la prof de philo de l'article et une autre pour l'économiste ou le "libéral de gauche". Tous sont condamnés à adopter la théorie qui colle le mieux à la réalité unique - celle promue par les libertariens - sauf à rester dans leur rêves idéologiques.

Revenons à la suite de l'article et exposé de Stéphane Laborde : "Passons donc maintenant à nos philosophies politiques. Il semble que dans cette vidéo cette enseignante a pour modèle de référence un modèle de type "autoritarisme socialiste" qui postule que l'Etat est central, fondamental. A partir de ce modèle, il est tout à fait justifié de déclarer qu'une position qui postule que l'Etat n'a pas de sens, que seuls existent des individus qui doivent se prendre en charge, est absurde et que par ailleurs la démocratie n'est pas forcément un modèle de société idéal. Mais l'inverse est vrai. A partir du modèle qui pose pour axiome la négation de la pertinence de l'Etat et qui pose la propriété comme devant être conforme à un autre axiome qui est le droit naturel (jusnaturalisme), bien évidemment, les modèles logiques qui réfutent ces assertions de façon axiomatique ou inférentielle apparaissent absurdes.
Il s'agit donc d'un dialogue de sourds, si chacune des parties ne fait qu'asséner de façon péremptoire des "vérités" qui ne sont que les conséquences de propositions axiomatiques particulières."

Son raisonnement se confirme et illustre bien mon propos : la vision politique de chacun dépend de son modèle de référence et ceci explique les malentendus entre personnes ne se référant pas au même modèle. Certes. Mais son erreur se confirme, il ne voit pas qu'on n'a pas cette liberté de pouvoir choisir >avec pertinence< le modèle de référence. Autrement dit, la prof de philosophie s'appuie peut-être sur une vision étatiste du monde, cela explique son discours, mais il n'en demeure pas moins qu'elle raconte des conneries justement parce qu'elle se réfère à un modèle totalement déconnecté de la réalité.

Notre ami en vient peu à peu à son sujet véritable - tout ceci jusqu'ici n'était qu'artifice et poudre aux yeux, son véritable objectif c'est bien sûr de nous expliquer qu'on peut être libéral et de gauche et que sa théorie de la monnaie est la seule valable. Pauvre garçon.

Voyons ce qu'il nous dit : "Quelle est la position du libéralisme de gauche dans ce débat ? Le libéralisme de gauche pose comme principe fondateur, comme axiome, ni le droit naturel, ni l'existence ou l'absence d'Etat ni l'autoritarisme, mais les libertés. Conformément au fondement du libéralisme liberté signifie non-nuisance. Aussi si droit il y a il doit être librement établi et donc modifiable par les individus par des moyens acceptables (exemple : pouvoir modifier la Constitution par une initiative démocratique), si Etat il y a il doit respecter les individus avant toute chose et ne doit en avantager ou désavantager aucun à commencer par ceux qui travaillent pour lui, donc appliquer un principe général de symétrie envers tous, permettre par exemple la subsidiarité etc... Si autoritarisme il y a ce ne peut être que pour s'assurer de la défense des droits de tous etc..."

La phrase importante, c'est la seconde : il prend comme axiome les libertés. Diantre. On l'a vu, on ne choisit pas son ou ses axiomes comme on choisit une chemise dans un dressing, il s'agit qu'il y ait de la pertinence à modéliser la réalité. Mais pire, "les libertés" ne sont tout simplement pas des axiomes, cela n'a aucun sens. Pour un libertarien la liberté - au singulier s'il vous plait - résulte de l'organisation sociale, c'est un aboutissement et non un point de départ. Pour être dans une société libre, et disposer de "libertés", il faut - et il suffit - que la société soit organisée en cohérence avec certains principes, autrement dit ces fameux "axiomes" réalistes.

Le reste de ce paragraphe est tout à fait acceptable et de bon sens. Il continue cependant avec : 
"A partir de là, le libéralisme de gauche ne se prononce pas sur les propriétés individuelles ou le rôle de l'Etat autrement qu'en affirmant que leur existence n'est cohérente avec les libertés que s'ils respectent la non-nuisance vis à vis d'autrui au sein du territoire où s'applique le droit modifiable, donc l'espace-temps qu'il définit. La non-nuisance n'étant par ailleurs aucunement définie de façon absolue mais procéde d'un droit librement établi, modifiable dans le temps selon les générations successives qui le façonnent par accords mutuels, selon des processus de type démocratiques."

Cependant, sa définition du "droit" est malpropre, il oublie que le droit est par définition l'instrument de la liberté, il ne peut donc être modifié que dans cette seule hypothèse, mais c'est un autre sujet qui va au-delà de cette réponse.

Il continue hardiment avec : "On comprendra donc pourquoi le libéralisme de gauche englobe le jusnaturalisme, car tout comme la géométrie euclidienne n'est qu'un cas particulier de géométrie non-euclidienne, il ne s'agit que d'un cas particulier de droit. Mais comme le droit réellement respectueux des libertés de chaque individu ne peut être aucunement un droit "absolu" posé axiomatiquement et qui n'évoluerait pas selon les générations qui l'acceptent librement, le libéralisme de gauche ne peut-être cohérent vis à vis du jusnaturalisme qui ne peut l'intégrer, puisque ayant posé le droit naturel comme base, et pas les libertés."

Dès à présent, plus de doute, il dérape et s'enfonce, l'abîme est proche. Poser que le jusnaturalisme (mot savant pour le libertarianisme de l'école autrichienne) peut être englobé par quoi que ce soit et surtout par un libéralisme de gauche imaginaire, il fallait oser. Dans ce paragraphe, à nouveau, Stéphane Laborde se trompe deux fois.

Il parle du droit naturel, sous-jacent au libertarianisme, comme un "cas particulier", comme si on pouvait faire varier le droit dans ses fondamentaux. On retrouve l'erreur précédente du décalage avec la réalité. Le droit naturel, comme son nom l'indique, est un droit minimal, minimaliste même, qui ne pose guère que deux principes : la responsabilité individuelle et la propriété individuelle et de soi-même. Comment peut-on imaginer, en tant que libéral, que ce minimum puisse être un cas particulier et surtout que les "générations" puissent ne pas "l'accepter librement" ? Un libéral envisagerait ainsi que l'irresponsabilité individuelle puisse être un droit valable ?

Seconde erreur, le droit naturel pourrait ne pas être un "droit absolu posé axiomatiquement". Hans-Herman Hoppe, un des grands libertariens vivants, a clairement montré (http://en.wikipedia.org/wiki/Self-ownership) notamment dans "The Economics and Ethics of Private Property" que c'est exactement l'inverse, en clair que la propriété de soi, base du droit naturel, est un axiome car elle ne peut être contredite sans supposer qu'elle existe. Cela démontre une fois de plus le caractère réaliste du droit naturel, qui dès lors peut difficilement être posé comme non-absolu sans partir dans un univers qui n'est pas celui de l'espèce humaine.

Toutefois, il se rattrape - il faut lui en rendre justice - dans ce qui suit puisqu'il reconnait la cohérence des libertariens :  "Mais il est un fait que le jusnaturalisme étant une théorie non-contradictoire, tout comme l'est la géométrie euclidienne il reprend du point de vue des libertés des argumentaires logiques dont beaucoup de points sont conformes au libéralisme de gauche, et sur beaucoup de ces points il y a des accords inférentiels."

Mais nous repartons dans des délires dès la phrase suivante qui croit qu'il pourrait y avoir des libertés que le droit naturel rendrait impossibles : "Mais le droit naturel étant posé comme base, seuls s'expriment les libertés conformes à ce droit dans ce modèle là, produisant un certain type de nuisances par absence des autres libertés (non-nuisances). Et cela les libéraux de gauche le considère comme incorrect, car définit comme étant un droit non librement établi. Puisque ce sont bien les libertés qui sont base axiomatique du libéralisme de gauche et pas le droit naturel."

Mais quelles seraient donc ces libertés que les méchants "jusnaturalistes" brideraient de par leur horrible droit naturel ? Un des chevaux de bataille des "libéraux mal dégauchis" tient au "revenu universel" (RU), ou "allocation universelle". Il serait juste, moral et efficace, selon eux, que chacun, de sa naissance à sa mort, touche une somme S chaque mois, somme identique pour tous les citoyens et qui assurerait ainsi un minimum vital pour tous, dont les handicapés et autres "incapables" de s'auto-subsister. Et ainsi, il y aurait là une liberté, celle de subsister au sein de la société.

Un des problèmes classiques que pose cette idée qui semble alléchante et équitable à première vue, c'est celui du financement - ah ces libertariens, il faut toujours qu'ils parlent d'argent... Une idée comme le RU, séduisante, suppose de disposer de la somme avant de la verser à chacun. Il n'y a pas 36 solutions, on ne peut que : attendre des dons, prélever cet argent ou créer de la monnaie. On ignorera les dons, car s'ils existaient en nombre et volume suffisant, le RU serait inutile. Pour prélever les sommes, il n'y a guère que le vol ou les taxes - ce qui est la même chose d'un point de vue moral. Enfin, la création monétaire, credo de notre auteur, relève elle aussi du vol - ce qui est probablement plus surprenant pour beaucoup de lecteurs. En effet, la création monétaire engendre toujours de l'inflation, laquelle érode et le pouvoir d'achat et la valeur de l'épargne de tout le monde - notamment des moins bien lotis. Il s'agit donc d'un mécanisme de vol réel mais très insidieux - et donc très prisé des gouvernements.

Comment peut-on donc considérer qu'un "mécanisme social" tel que le RU, dont la nature même ne saurait être éthiquement valable, on vient de le voir, peut relever d'une liberté légitime quelconque ? Je vois à l'avance M.Laborde arriver avec ses gros sabots en disant : "Mais c'est normal, vous vous servez de concepts de droit naturel pour montrer que le RU n'est pas moral, vous devriez partir des libertés et non du droit naturel." Ou quelque chose comme ça.

Ah bon ? Mais expliquez moi donc comment vous pourriez bâtir une liberté ou une morale où la création monétaire ou la taxation pourrait être autre chose que néfaste ? Si vous y arrivez, Stéphane Laborde, alors votre article vous donnerait tort, car le libéralisme de gauche qui serait bâti sur une telle morale ne saurait "englober" le libertarianisme de Rohbard, Hoppe, Salin ou Hülsmann, qui lui n'accorde que de l’immoralité a la creation monétaire.

Pour ma part, je reste cohérent et maintiens qu'il n'y a pas d'autre droit réaliste que le droit naturel. Bonne chance.