Sunday, September 23, 2012

L'Anonymat sur Internet vu par un Liberal


Mon métier et mon domaine de compétence professionnel, c’est le risque dans le domaine informatique. Domaine très étroit et peu médiatisé, à part via les anecdotes anxiogènes faisant régulièrement la une des médias sur le thème de (l’absence de) sécurité informatique et de « cybercriminalité ».

Pourtant, le rôle désormais universel, et toujours croissant, que joue l’informatique dans notre société fait que de plus en plus, notre liberté au quotidien découle de celle que les systèmes nous accordent effectivement. Ou, exprimé dans l’autre sens, le risque de voir notre liberté, dans ses diverses formes, réduite dans les faits croît avec l’élargissement du périmètre d’une informatique conçue sans égard pour le droit fondamental – ou passant sous des logiques incohérentes avec le droit et sous domination étatique croissante.

Le sujet de la liberté dans une société à l’informatisation galopante devrait en théorie être un non-sujet. Les règles des contrats et du marché, la responsabilité individuelle et contractuelle, assureraient comme dans tout autre domaine que les systèmes respectent le droit naturel et donc notre liberté individuelle.

Mais c’est hélas oublier que l’état, comme dans tout domaine là encore, vient mettre son nez dans nos affaires et tord le droit de manière erratique et biaisée, conduisant à des domaines de non liberté qui n’auraient pas existé autrement. C’est notamment le cas dans l’informatique, et malheureusement, cet impact négatif sur nos libertés ne va que grandissant chaque jour.

On connaît et on parle beaucoup ces derniers temps de Hadopi, MegaUpload, la Cnil, le fichier des empreintes, celui du permis à points, Schengen, et bien d’autres avanies plus ou moins médiatisées. Mais il y a bien d’autres domaines informatiques, souvent plus pernicieux, où la liberté est bafouée.

Dans ce premier article, je propose d’aborder la question de l’anonymat sur le Net, question souvent prise à l’envers. J’espère trouver le temps de produire d’autres articles par la suite sur les autres facettes de cette liberté informatique en constante érosion.

L’anonymat sur le Net est une revendication forte de tous les défenseurs de la liberté, ou presque. Mais à mon avis, elle est l’expression d’une erreur de combat, voire la manifestation d’un libéralisme mal digéré. Pour autant, dans les conditions actuelles, ce combat n’est pas totalement sans légitimité.

Lorsqu’on se connecte à Facebook, ou autres sites où l’individu peut s’exprimer ou s’exposer plus ou moins ouvertement – on pense aux blogs, aux sites de vente en ligne, de presse ou bien d’autres – on constate qu’il y a deux catégories d’utilisateurs : ceux qui s’inscrivent sous leur nom (du moins, sous un nom qui semble être le leur) et ceux qui adoptent un pseudonyme ou sobriquet. Pour ma part, je fais partie de la première catégorie, sauf en matière commerciale, on verra pourquoi. Certains ‘facebookers’ ou bloggers tirent de cet anonymat une liberté de parole qui est la base même de leur revendication en faveur de leur anonymat, qui dès lors semble donc une revendication évidente. Pas si simple pourtant.

Changeons de référentiel et revenons à notre vie courante un instant. Les tchadors et autres niqabs font depuis quelques années l’objet de débats passionnés – et nous connaissons une recrudescence en ce moment même. Au-delà de l’outrage envers les femmes qui acceptent cette humiliation, une des raisons du refus de cette pratique par notre société occidentale encore un peu soucieuse de liberté tient à l’anonymat qui en résulte. Le fait qu’on ne sache pas, visuellement, à qui on a affaire du fait d’un visage couvert empêche d’établir la confiance minimale qui est nécessaire à toute relation sociale. Comment être assuré que l’interlocuteur assumera ses actes ? Telle est la question.

Car pour que la société libérale fonctionne, il faut que la liberté soit rééquilibrée par la responsabilité. Et l’anonymat, quelle que soit sa forme, gomme l’assurance de cette dernière.

L’anonymat dans la société civile, n’est pas un mécanisme naturel, c’est au contraire une déviance des mécanismes normaux de confiance que la société libre met spontanément en place. En particulier, l’anonymat déresponsabilise l’individu, puisqu’il devient impossible de se retourner contre lui en cas de méfait ou simplement d’erreur. Et sans responsabilité, il ne peut plus y avoir de relation sociale, ni de liberté.

Sur Facebook ou autres sites dits sociaux, cela se traduit parfois par une « netiquette » déliquescente où sous couvert d’un pseudo et de liberté de parole, tout peut être dit sans risque d’atteinte à sa propre image. On peut alors vomir sur les uns ou encenser les autres sans risque de subir de conséquence dans ses affaires quotidiennes. Lâcheté et minablerie.

Il y a plusieurs exemples de cette tradition universelle de confiance résultant d’un visage dévoilé, ou l’inverse. Les voleurs qui font le casse d’une banque sous cagoule cherchent à ne pas être reconnus, et pas seulement par la police, mais aussi par les clients, car ils savent bien que ceux-ci sauraient sinon les retrouver. Le carnaval de Venise et ses masques est apparu comme une soupape libertaire – et non libérale – envers la contrainte permanente de se fondre dans le moule de la société et d’être vilipendé dans le cas contraire. Les agents de nombreuses forces « spéciales » sont cagoulés, soi-disant pour les protéger d’éventuelles représailles, preuve de la honte associée trop souvent à leur fonction. Plus d’actualité, les Anonymous communiquent et se reconnaissent via le masque désormais célèbre qui les caractérise, et qui les cachent des autorités qu’ils narguent.

Le besoin d’anonymat n’est donc pas un mécanisme social naturel, sauf pour déviance libertaire temporaire – et généralement conventionnelle. Alors, pourquoi est-ce devenu un sujet de telle importance sur le Net ? Grâce à l’état, bien sûr. Voilà peut-être bien la clé. Car si ce n’est de l’état, de qui l’anonymat protège-t-il ? Pourquoi un vrai libéral ne pourrait-il pas assumer ses actes comme ses dires ? A part l’état, aucune bonne raison.

Il y en a probablement bien d’autres, mais trois domaines viennent à l’esprit où l’anonymat spontané se pratique sur Internet : le commerce, les relations amoureuses et la discussion politique. Ils sont probablement représentatifs – qu’il y a-t-il d’autre au monde que l’argent, l’amour et les idées ?

Outre mes activités professionnelles et politiques, je pratique depuis quelques années la vente d’articles sur Internet, comme beaucoup je suppose. Deux cas de figure, soit les articles vendus peuvent être expédiés par la poste – timbres, cartes postales, petits objets – soit au contraire l’échange doit in fine se faire physiquement de par la taille de l’objet – meubles, collections encombrantes…

Dans une société normale – traduire, libre – il n’y aurait là aucune raison de prendre un sobriquet. Mais dans la région toulousaine, où la densité de malveillants s’accroît constamment, on ne peut pas simplement inviter les gens chez soi pour y venir prendre possession de l’objet vendu. Je n’ai guère envie que ma maison soit connue de tous les casseurs des environs comme un repère à visiter. Ne nous y trompons pas, cette crainte vient bien d’une méfiance envers l’état, car si celui-ci faisait correctement son travail régalien, ma maison serait en sécurité, quoi qu’il advienne.

Les sites de rencontre – je n’en suis pas spécialiste, je précise – sont un autre domaine où on peut choisir de masquer son identité. Avant de se dévoiler, on cherche à connaître l’autre sans risque d’engagement, ni risque de le – ou la – voir rappliquer à sa porte et nous harceler, voire agresser. Mais ce risque d’agression, n’est-ce pas là encore une déficience régalienne ? Quant au risque d’engagement, notamment lorsqu’on est déjà marié, n’est-il pas accru par un cadre juridique du mariage loin de satisfaire toutes les situations ? Ou à l’inverse, une forme de lâcheté face à ses engagements ?

Bien sûr, pour les deux cas précédents, on pourra m’objecter qu’on peut trouver mille autres bonnes raisons pour cacher son identité – après tout, un libéral ne peut guère contredire l’argument tant que cette pratique est acceptée par les deux parties et ne nuit à aucune. Certes. Mais il me semble qu’oublier que tout laisse des traces envers les tiers aussi serait un peu naïf.

Reste la pratique de l’anonymat en matière de discussion politique, sur les blogs et autres réseaux sociaux typiquement. En première analyse, il n’y a aucune raison de se cacher derrière un pseudo plus ou moins cryptique pour s’exprimer. Nous ne sommes pas encore en totale tyrannie stalinienne. Pourtant, certains grands libéraux le font – on pense à l’immense H16 que je salue et félicite au passage. Il me semble qu’ils ont peur de la sourde vengeance que le pouvoir en place peut leur administrer à tout moment, et cela probablement à juste titre pour ceux qui sont particulièrement acerbes comme c’est le cas de H16 encore une fois.

Mais pour la plupart des gens, comme vous et moi, il me semble que c’est une erreur tactique. Etre libéral et vouloir faire avancer ses idées, cela passe à mon sens  par la démonstration des idées revendiquées. Et celles-ci supposent la responsabilité, donc assumer ses dires. Or je ne vois pas comment on peut assumer ses dires caché derrière un pseudo. Sinon, c’est de la calomnie ou autre formes honteuses.

Que ceux qui pensent que c’est facile à dire se rendent compte des risques que je prends moi-même au quotidien. Travaillant dans la sécurité informatique, j’ai régulièrement à gérer des questions en rapport à la supposée « sécurité de la nation / de l’état ». Et m’afficher ouvertement anti-étatiste n’est rien de moins que de nature à me priver de job à tout moment. Je prends le risque chaque jour.

Pour être complet sur le sujet de l’anonymat sur le net, il faudrait traiter de la technologie, de l’arsenal de la violation de l’anonymat – en fait, de la liberté – sur Internet de même que de l’arsenal de la protection de l’anonymat sous l’angle technologique. Cet article étant déjà assez long, je propose d’en faire le sujet d’une prochaine publication – et d’autres à suivre peut-être sur d’autres formes de risque informatique vs la liberté dans la vie courante.