Nous connaissons tous ce précepte qui nous est inculqué pendant notre endoctrinement scolaire : nul n’est censé ignorer la loi, nous dit-on. Il s’agit d’un principe essentiel de l’échafaudage juridique du pays, puisqu’il permet à tout policier, bureaucrate ou autre officier de l’état de pouvoir s’appuyer sur nos nombreux « codes » et autres textes législatifs pour exiger notre obéissance et nos impôts.
Le choix du terme de « loi » a son importance. On ne dirait pas « nul n’est censé ignorer le droit », et on ne dirait pas non plus « nul n’est censé ignorer la législation ». La « loi » est essentiellement la même chose que l’ensemble de la « législation », mais avec deux nuances fortes. Elle embarque avec elle tout l’appareil des institutions et du fonctionnement de l’état : on ne peut prétendre ignorer qu’il faut obéir à un policier ou passer devant un notaire pour vendre un bien immobilier, par exemple. Plus psychologique, le concept de « loi » est plus abstrait et englobant, c’est un fourre-tout couvert d’une aura presque religieuse qui permet au précepte d’avoir bien plus de force envers le citoyen.
Pour le « droit », c’est très différent. Tout le monde sait plus ou moins consciemment ce qu’est son droit – et non « ses droits » : chacun sait qu’il ne doit ni voler, ni agresser, ni tuer et s’attend sans plus de question à ce qu’autrui fasse de même. C’est là la base éternelle de la justice humaine.
Au quotidien, chacun de nous – du moins les gens honnêtes – interagit avec les autres en respectant ce droit. Parfois, on échange, on monte des affaires, on fait des projets qui nous conduisent à passer des contrats avec d’autres, qui font de même pour leurs affaires. À tout moment donc, chacun de nous sait très bien à quoi il est engagé et donc quel est l’ensemble des obligations qu’il a prises et qui déterminent ce qu’il est « censé savoir » en matière de « droit » et de devoirs envers ce monde.
Mais alors, puisque nous savons toujours et à tout moment ce qui fait notre « loi » propre, et que peu ou prou nous connaissons les bases des règles générales de fonctionnement de ce pays, pourquoi ce besoin de nous asséner avec conviction ce précepte de connaissance de la « loi » ?
La réponse est évidente, hélas : parce que nous sommes dans un pays où une foule, des générations de députés et autres bureaucrates ont produit tant de textes qu’il est dans la pratique impossible de tous les connaître – et en plus, ils le font sans nous demander la permission ni nous en informer.
Et ce n’est pas là un phénomène accidentel, mais volontaire : il est très utile pour les hommes de l’état que la masse de la législation nous déborde : cela leur permet d’être sûr qu’aucun de nous n’est jamais sans tache et parfaitement en règle vis-à-vis de l’ensemble infini des lois en vigueur, ce qui permet d’être sûr de trouver une faille qui permette d’arrêter les récalcitrants ou rebelles.
Ainsi, contrairement à ce qu’on veut nous faire croire à l’école, on peut être sûr que tout pays où « nul n’est censé ignorer la loi » est un pays où en réalité « nul n’est à l’abri de l’arbitraire de la loi ». Dans un pays libre, il n’y a pas de loi, mais il y a le droit et des contrats : nul n’a de mauvaise surprise.
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