Cette fois, il s'agit d'entrer dans le sujet de l'état lui-même et des questions qu'il pose. Elles sont nombreuses, j'en ai retenues cinq qui partent des rôles classiques qu'on lui attribue communément, abordent ensuite des sujets plus contemporains mais hautement trompeurs, pour finir avec une réflexion ouvrant sur la démocratie.
Tension entre sécurité et dictature
La DDHC nous le précise, le dit clairement dans son Article 12 ("La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée."), le rôle premier de l'état est tout d'abord d'assurer notre sécurité, au sens large de cette "force publique" qui se doit de veiller au respect de nos droits. L'état est donc traditionnellement justifié, posé comme nécessaire et légitime du fait de ce besoin de sécurité inhérent à toute société "civilisée".Il semble bien qu'une fois qu'on a dit cela, la question soit réglée une fois pour toutes : l'état serait donc indispensable, point final. Pourtant, on ne compte plus, dans l'histoire comme dans l'actualité, les exemples d'états devenus ou se comportant de manière dictatoriale, c'est-à-dire où sous prétexte de sécurité, les services de police ou de justice font violence a priori à des citoyens sans criminalité évidente. En théorie de la justice libérale, on exprime cela par la "violation du principe de non-agression", c'est-à-dire par "l'initiation de l'agression" envers une personne ne s'étend pas elle-même rendue coupable d'une telle initiative.
Il y a donc dans les faits une tension, une contradiction au minimum sous l'angle opérationnel, entre le besoin de sécurité auquel l'état est censé répondre et la non-sécurité que ce même état apporte souvent, sinon toujours, aux citoyens qu'il est réputé servir.
Cette tension n'est pas nouvelle, elle est connue depuis l'antiquité, où déjà Juvénal, satiriste romain, demandait il y a quelques 2000 ans "Quis custodiet ipsos custodes ?", c'est-à-dire "Mais qui gardera ces gardiens ?" Comment fait-on pour éviter que les gardiens à notre service finissent par nous mettre à leur service ?
Cela explique en partie l'existence de services que je dirai "élitistes" de sécurité, milices, gardes du corps, agents dans nos supermarchés, ou autres formes, dont la simple présence montre au moins que l'état tel que nous le connaissons ne suffit pas à régler cette question de la sécurité. Et que de plus, il ne le fait pas pour tous, puisque in fine ce sont ceux qui en ont le moins besoin (économiquement) qui finissent par trouver, opter pour des solutions alternatives.
Le but à ce stade de la présentation n'est pas encore d'apporter une réponse, j'y reviendrai plus loin, mais je vous glisse néanmoins une piste de réflexion : si la réponse ne peut venir d'une chaîne de gardiens des gardiens de gardiens, elle ne peut venir que d'une logique et d'une source complètement différentes, et qui se trouvent en nous tous.
Tension entre justice et injustice
Il s'agit bien sûr du même type de raisonnement que le point précédent, mais celui-ci était centré sur la police alors que je souhaite ici aborder la justice, l'autre pan du domaine de ce qu'on connaît sous le terme de "régalien", prétexte de l'état. Tous les paradoxes et biais identifiés pour la police se retrouvent pour la justice, avec par exemple l'infinie chaîne des appels et recours.L'indépendance de la justice est une autre tarte à la crème classique, puisque les juges, fonctionnaires, réputés bras du pouvoir judiciaire séparé du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, sont en réalité payés par ce dernier grâce aux impôts qu'il a collecté par exécution des lois du troisième. On comprend que le juge, s'il doit trancher entre vous et un bureaucrate assez bien placé, ne vous laissera en réalité que peu de chances, car il pourrait bien être pécuniairement dépendant du bureaucrate.
Mais il y a deux perversités spécifiques de la justice étatique qui méritent qu'on s'y arrête un moment. La première qui vient à l'esprit tient bien sûr à l'erreur judiciaire. Elle n'est pas un scandale en soi, car juger certains crimes est loin d'être aussi facile et comme mathématique qu'on pourrait le souhaiter et l'erreur étant humaine, l'erreur du juge est impossible à éviter totalement - même si bien évidemment il faut chercher à la rendre aussi rare que possible. Le scandale vient par contre de la (faible) qualité de ce processus d'amélioration et des conséquences des erreurs.
Pour que la justice actuelle cherche réellement à s'améliorer, à faire moins d'erreurs, il faudrait que ses agents en aient une motivation tangible, pas que cela dépende de leur seule bonne volonté, forcément aléatoire. Dans le monde normal, quand on se trompe et qu'on est responsable, on en paye le coût - c'est d'ailleurs le principe de base de la "justice" instinctive. Or quel est le juge qui paye ses erreurs de jugement ? Vous en connaissez beaucoup qui se sont faits virer suite à erreur manifeste ? Comment peut-on espérer qu'il soit aussi prudent dans ses décisions qu'humainement possible s'il n'est pas lui-même directement motivé à réduire les conséquences de ses décisions ?
Cette perversion quant aux conséquences a historiquement conduit la justice (organe) à ne plus assurer la justice (service) dans sa démarche même. En effet, la justice moderne est ce qu'on appelle une justice punitive, elle sanctionne, par exemple par des peines de prison. Or une vraie justice, celle des cours d'école et des contrats que nous passons tous entre nous chaque jour est une justice réparatrice. C'est-à-dire une justice où celui qui cause des dommages à l'autre doit réparer - en payant ou en travaillant - ces dommages, éventuellement en ajoutant une compensation pour les torts causés. Dans une société juste, on ne cherche pas à mettre en prison, on cherche d'abord à dédommager les victimes. Où est passée cette justice-là ?
Recherche vs dogme
La recherche, bien que n'étant pas un domaine régalien, est considérée par beaucoup comme une des autres raisons de faire appel à un état. En France, cela se concrétise par l'existence du CNRS et de sa foule de laboratoires touchant aux domaines les plus variés et souvent insolites. Certains avancent ainsi que sans fonds "publics", sans bien préciser ce que cela couvre, il serait impossible de voir les travaux en recherche "fondamentale" financés, sans trop savoir ce que "fondamental" recouvre.Je réponds que des gens comme Isaac Newton ou Albert Einstein ne se sont pas vus financés par un CNRS quelconque et que de nos jours, la masse de recherche mondiale dans des domaines aussi prometteurs que l'intelligence artificielle, la robotique ou les monnaies alternatives, parmi tant d'autres, doit l'essentiel de ses fonds à l'initiative et aux entreprises privées. Et que contrairement à cette image souvent idéalisée, le financement de la recherche par l'état conduit dans les faits à de nombreuses dérives qui ouvrent la porte au dogme et au politiquement correct. Je prendrai deux exemples pour l'illustrer.
Le dernier Nobel d'économie est allé à "deux Américains précurseurs de la croissance verte, Paul Romer et William Nordhaus". L'Académie justifie son choix par leur supposée mise au point de "méthodes qui répondent à des défis parmi les plus fondamentaux et pressants de notre temps : conjuguer croissance durable à long terme de l’économie mondiale et bien-être de la planète." On admire la neutralité journalistique. Sujet que j'ai pu aborder par le passé, je ne suis personnellement absolument pas d'accord sur la pertinence de tels travaux, mais ce n'est pas mon propos ici. Il s'agit plutôt de voir que le sujet écologique et climatique est clairement de mode. Et que ces travaux et ce prix n'auraient probablement pas été financés ni accordés si leur travaux n'avaient porté cette thématique en bannière. Autrement dit, il ne s'agit pas vraiment de travaux de recherche "fondamentale", mais de recherche "orientée". Un Nobel récompensant des travaux de recherche fondamentale en économie aurait dû depuis longtemps récompenser l'inventeur du BitCoin, plutôt.
L'autre image ne semble n'avoir rien à voir avec la recherche. On y voit ma fille devant une énorme pierre au sein d'un mur ancien - nous sommes à Sacsayhuamán au Pérou. Le dogme archéologique officiel affirme que ce site, et beaucoup d'autres, serait Inca. Pourtant, personne ne sait expliquer comment les Incas ont pu hisser des pierres de quelques 100 tonnes à 3.700 mètres. Et les recherches dans ce domaine sont en train de connaître une vigueur grandissante, largement sous l'initiatives d'individus hors des circuits de recherche officielle. Certes, dans la masse du "buzz" on trouve à boire et à manger et les charlatans abondent. Mais il reste in fine qu'on est en présence, au Pérou comme en Egypte ou au Cambodge, d'un refus des officiels de reconsidérer leurs thèses face à des privés qui prouvent chaque jour un peu plus que ces thèses n'ont aucune solidité. Recherche contre dogme.
Ressources vs famine
Notre époque très écologique attire notre attention sur le besoin de "protéger" nos "ressources naturelles". Certaines seraient proche de l'épuisement. Et cela justifierait pour bien des écologistes la prise de contrôle étatique, peu importe la forme, de ces ressources. Seul l'état saurait protéger et seul l'état saurait qu'en faire. Lui seul saurait trouver ce point d'équilibre si complexe entre nourrir le peuple, le voir prospérer et protéger les ressources. Il faut se rendre compte que de tels raisonnement ont déjà existé il n'y a pas si longtemps qui ont conduit à des catastrophes écologiques et surtout humanitaires sans guère de précédents.Pour ceux qui ne connaissent pas cette tranche de l'histoire récente, et qu'il soit clair que je prends cet exemple sans biais idéologique particulier, les années 1958-62 ont vu en Chine se former une famine épouvantable, aboutissant à quelques 25 millions de morts et à une quasi disparition de certaines espèces animales. Le livre mis en référence - Mao's Great Famine, Frank Dikötter - donne un récit et des faits d'une rare précision et je vous le recommande, même si sa lecture est déchirante au possible.
Peu m'importe que cette famine ait été le résultat de la dictature de Mao, de Staline ou de Hitler, ou même de Louis XIV ou de la Mère Michel ; la seule chose qui m'importe tient au fait qu'il ait pu exister - et donc qu'il peut exister - un état central qui impose sa motivation propre et forcément égoïste à tout un peuple au point de négliger la survie de celui-ci, et même de le décimer.
Il est important au passage de revenir sur la complexité de l'équilibre évoqué ci-dessus. Bien évidemment, même si Mao et ses sbires se sont révélés par cette famine être des monstres absolus, on peut supposer qu'ils ne l'avaient pas imaginée au départ et qu'elle est arrivée sans qu'il l'aient désirée explicitement. Ils imaginaient pouvoir forcer le destin, forcer l'équilibre en leur faveur, obtenir en claquant des doigts à la fois production et prospérité, par simple décision politique centrale.
Ils ont comme bien d'autres jacobins et grands planificateurs découvert que les hommes et l'économie ne se dirigent pas aussi simplement. La complexité de la société humaine est immense, notamment à l'échelle de centaines de millions d'hommes, comme à l'époque en Chine. Il est tout simplement hors de portée de quelque gouvernement que ce soit de trouver et d'imposer un équilibre qui en réalité ne peut qu'émerger des choix combinés et entrelacés des individus eux-mêmes. C'est une des raisons majeures qui me portent à faire la promotion de la société libre, sans état.
Démocratie vs tyrannie
Après le régalien qui le légitimerait, deux exemples de travers sociaux obtenus quand on élargit son champ, je me dois de jeter un rapide regard sur l'argument démocratique qui est à la mode pour justifier la généralisation de l'état en toutes choses.L'idée de base est bien connue, elle est évidente : la majorité (électorale) serait plus importante à satisfaire que toute minorité, le choix de la majorité doit donc être privilégié. Et cela devrait s'appliquer au domaine politique comme à tout domaine où il s'agit de satisfaire les gens : la majorité l'emporte. Les deux images que j'ai retenues parlent d'elles-mêmes. La démocratie, celle de la majorité aveugle, cela donne un président qui a comme seule compétence d'avoir osé dire 'oui' à tout le monde, et ça donne aussi un dictateur digne des pires caricatures, qui sait lui comment ne laisser le choix à personne - un parmi tant d'autres, je précise.
Mais comment cela se fait-il ? N'est-il pas légitime de chercher à résoudre l'impossible choix de celui qui nous gouvernera par l'arbitrage laissé au plus grand nombre ? Manifestement, non. Sinon, depuis les quelques deux siècles que la démocratie se déploie, et surtout depuis le début de sa généralisation il y a exactement un siècle, si la démocratie était facteur de paix et de prospérité, nous n'aurions pas connu autant de guerres, de morts et, il faut oser le dire, de déchéance sociale généralisée.
Le problème de la démocratie est dans son concept même. Comme le dit Popper, la majorité n'a en fait que rarement raison en matière politique. Car la politique, c'est compliqué, la famine chinoise nous en a donné une idée, bien sombre. Et quand pour arriver au pouvoir, il suffit de promettre, de dire 'oui' à tout le monde, le premier imbécile et surtout le premier des tyrans a vite fait de comprendre la combine. Ce cher Georges Frêche ne nous a-t-il pas enseigné que ce sont les "cons" qui votaient pour lui ?
La solution n'est dès lors plus dans "plus de démocratie", la démocratie ne peut en effet que précipiter notre chute et notre appauvrissement. La seule option consiste au contraire à en sortir, à réduire l'état pour éviter tout dictateur et tyran, et de rechercher une autre forme de satisfaction du plus grand nombre, de "démocratie non-tyrannique". Pour moi, c'est celle qui vient du libre marché, du choix que nous faisons tous librement, celui du commerce. La démocratie non-tyrannique, c'est celle où les services assurés classiquement par l'état nous viennent tous du commerce. Je vais y venir dans une partie à suivre...
À suivre...
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