«Ce n’est pas l’origine mais les limitations du pouvoir qui l’empêchent d’être arbitraire.» - Friedrich von HayekLe 7 décembre 2016, Libération titrait : « Quand la NSA espionnait les passagers d’Air France », et complétait ainsi : « Sur la foi de documents fournis par Edward Snowden, «Le Monde», en partenariat avec le site d'information the Intercept, publie de nouveaux éléments sur la surveillance de masse orchestrée les agences de renseignements américaines et anglaises. »
Le même jour, Le Monde confirmait : « Les compagnies aériennes dont Air France visées par les services secrets américains et britanniques », puis « La NSA et son homologue britannique peuvent capter toutes les données, y compris les codes secrets, des communications des passagers de la plupart des grandes compagnies aériennes. Ce programme a notamment visé Air France, qui affirme ne pas avoir finalement déployé cette technologie dans ses avions. »
Libération nous explique de quoi il s’agit : « Pour espionner un téléphone, il suffit qu’il soit à une altitude de croisière de 10 000 pieds. Le signal transitant par satellite, la technique d’interception se fait par des stations secrètes d’antennes au sol ».
« Ce programme, intitulé «pie voleuse» ou «pigeon voyageur», serait justifié, selon le service juridique de la NSA, par la nécessité d’éviter «un nouveau 11 septembre», jugé plausible par la CIA. Auraient particulièrement été visées Air Mexico et Air France, considérées comme des cibles potentielles d’attaques terroristes. La compagnie française, qui a expliqué faire des tests d’utilisation de smartphone en vol depuis 2007, est d’ailleurs citée dès 2005 dans un document sur le «projet de traque des avions civils dans le monde entier». «Le ciel pourrait appartenir à la NSA», s’enthousiasme l’agence dans un document. »
Donc la NSA nous a écoutés, ou nous écoute encore, même en vol. On ne peut plus voler tranquille. Cette information passée presque inaperçue est très révélatrice des nombreuses questions qui se posent désormais avec la conjonction d’une technologie omniprésente et de menaces croissantes sur la vie sociale.
Ce genre de prouesses techniques, qui repose comme on le comprend sur une profonde immixtion cachée dans les technologies de la chaîne du contrôle aérien, est donc justifié par la crainte de la menace terroriste, laquelle est pourtant devenue omniprésente depuis « 9/11 », au lieu de s’estomper comme espéré.
Tout d’abord, peu importe que ce soit la NSA ou une autre agence, car ce n’est pas le véritable sujet, Big Brother n’a pas de nationalité. On trouve en France, ainsi qu’en Europe et de nombreux autres pays, une mode qui tend à faire de la NSA l’ultime méchant. Et pour s’en protéger, il faudrait recourir à quelque agence nationale, seule à même de concourir en termes de moyens.
Nous serions pourtant mal inspirés de suivre cette analyse. Non pas que la NSA mérite de revendiquer le Nobel de la Paix, évidemment. Mais parce que cela nous conduit à nourrir et engraisser encore plus Big Brother, au lieu de le réduire.
En effet, selon cette logique, les agences des différents pays entreraient dans une course aux écoutes ou surveillances où chacune se sert des autres pour justifier encore plus de « cyber-défense » et donc plus d’écoutes ou de réglementations.
Un cycle infernal dont on ne voit pas bien l’intérêt pour le citoyen de base. Un cycle qui doit donc être rompu avant d’arriver au niveau fantasmé par de nombreux films d’espionnage ou plus prosaïquement avant que les budgets s’effondrent – car ils finiront de toute manière par s’effondrer.
Par ailleurs, pour rester dans le cinéma, quiconque a vu Minority Report et sa brigade Pre-Crime sait qu’il n’est pas possible d’anticiper sur les intentions et les actes pour éviter les crimes ou méfaits. Il ne sert à rien de nous surveiller, même avec le plus puissant des big data. C’est pour cela que le droit a depuis toujours eu comme principe de base de ne juger que les actes et non les intentions.
Le paradoxe devient même que la menace se retourne en ce sens que comme cette Jeep arrêtée à distance, celui qui peut écouter un avion peut ou pourra sans doute en prendre le contrôle à distance, devenant du même coup le bon ou le méchant, selon ses intentions. Mais quelles sont les intentions des agences ?
Sous l’angle du droit, ou du moins de la compréhension commune que chacun en a, la seule qui compte, écouter les passagers d’un avion en vol constitue une triple violation de propriété (l’espace aérien, l’enceinte de l’avion, l’espace privé du passager) et autant d’abus de pouvoir à l’insu des compagnies et des passagers.
Cet épisode révèle l’enjeu de l’équilibre essentiel à trouver entre liberté et sécurité dans la société numérique : si l’argument sécuritaire se transforme en ce qui serait perçu comme totalitaire, on peut faire le pari qu’Internet sera boudé et déserté au profit de nouvelles formes – on voit ainsi déjà le dark net se former.
La question des écoutes n’est pas juste un détail d’éthique dans la société digitale. C’est surtout une condition essentielle de confiance accordée par chacun de nous et donc de développement et de succès de la société numérique. Imaginer qu’on puisse voler tranquille sans se faire voler ses confidences n’est pas envisageable.
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