Tuesday, January 9, 2018

Démocratie, Crime contre l’Humanité ?

Une discussion récente sur le Net me proposait d’envisager le « djihad » comme crime contre l’humanité, selon une idée similaire à ce qui a donné ce terme à l’apartheid et divers génocides. Peu importe qu’il s’agisse du djihad ou d’autre chose, c’est l’idée même de « Crime contre l’Humanité » (CCH) que je souhaite aborder ici, sous un angle libéral bien sûr. Je finirai en proposant un crime bien pire, si ce concept liberticide devait vraiment être retenu durablement par les lois des juristes.

Il y a deux aspects clés derrière un concept de CCH tel celui qui pourrait être donné à un phénomène comme le « djihad », ou l’apartheid de même, d’ailleurs. Le premier, le plus évident, porte sur l’ampleur du drame et des conséquences, que ce soit par l’horreur des motifs, l’horreur des faits, le nombre des victimes ou l’aveuglement arbitraire et sauvage aboutissant à leur choix. Le second est moins immédiat, il porte sur la collectivisation a priori des coupables, c’est-à-dire que le coupable peut être un phénomène de société plus ou moins de circonstance qui globalise l’ensemble des meurtriers impliqués comme acteurs de l’horreur. C’est bien ce qui se passe quand on parle des nazis ayant tenté de rayer du monde les juifs et que la Shoah est considérée comme le produit d’un CCH.

A cet égard, Hannah Arendt est célèbre pour avoir suivi et commenté le procès d’Adolf Eichmann, celui qui mena la fameuse « solution finale » d’extermination des juifs. Celui-ci avançait pour se défendre qu’il n’avait fait qu’obéir aux ordres, et H.Arendt est connue pour avoir insisté sur le caractère universellement irrecevable d’un tel argument : en toutes circonstances, l’individu reste responsable de ses actes, le soldat comme tout autre, et le participant à un génocide tout pareil. La globalisation d’un crime, fût-il « contre l’humanité », n’est donc pas recevable pour le libéral. Chacun doit pouvoir dire « non » et par l’absence du refus à commettre l’horreur porter une responsabilité.

Passons donc justement aux conséquences, à l’horreur, à la multitude des crimes élémentaires, que beaucoup voient comme justifiant pleinement le statut juridique exceptionnel. Je pense qu’il faut poser la réflexion en deux temps. Le traitement des cas d’espèce qui hélas existent, et le cas général vu par le libéral. Le cas d’espèce, c’est Eichmann et ses homologues, et la question de leur peine, qui clairement ne peut jamais être en proportion du mal fait, principe de base de la justice libérale. Il me semble que c’est aux familles des victimes de proposer la peine, mais peu importe. Je crois en effet que ce n’est pas vraiment important, même s’il faut être extrêmement sévère avec ces fous.

Pourquoi pas vraiment important ? Comment peut-on oser dire cela quand tant de victimes ont subi l’horreur ? Parce que ce qui importe à mon sens, c’est d’ouvrir les yeux sur la vraie nature du cas général. Justement, prenant le recul qui manque trop souvent, Christian Michel, immense auteur libertarien contemporain, nous fait remarquer dans son livre Vivre Ensemble que : « L’Etat est l’instrument qui permet le contrôle et l’exploitation des masses. Sans appareil d’Etat, l’exploitation économique d’êtres humains à grande échelle serait tout simplement impossible. »

Même si Christian fit ce rappel en réponse à l’argument socialiste éculé de la pseudo exploitation dont le capitalisme se rendrait coupable, c’est sa première phrase que je retiens ici pour faire toucher du doigt qu’un génocide, un apartheid ou un djihad, même un djihad, ce sont en fait des crimes étatiques, en ampleur comme en organisation : seul un état peut les commettre, jamais un ou même des individus une fois qu’on les projette au sein d’une société libre, donc libérée de tout appareil d’état. Poser la question du traitement libéral du CCH dans sa généralité est donc en réalité sans fondement ni objet.

Enfin, il faut je crois savoir mettre le doigt sur l’ironie abominable des tribunaux créés à ce titre. On a affaire à un crime de nature étatique, et les états trouvent le culot de monter un, et même plusieurs machins à l’indépendance très relative et compliquée pour juger lesdits crimes – avec des peines dont on se sait pas bien qui doit les exécuter et assurer de la bonne exécution. Au lieu d’être un exemple de limite de la justice libérale, c’est en réalité un exemple magnifique de l’impossibilité de toute forme de justice étatique, autre que d’apparat s’entend, par impossibilité d’indépendance.

Pour terminer, si on doit vraiment garder le concept de CCH et ses tribunaux, je verrais bien un crime bien plus meurtrier que le « djihad » ou même que le nazisme qui devrait mériter cette appellation : la démocratie représentative. Vous ne me croyez pas ? Faites donc le calcul du nombre total de morts pendant le XXe siècle qui sont le fait de régimes qualifiés de démocratiques, et on en reparle.

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