Saturday, November 17, 2012

Une constitution, pourquoi faire ?


Bien souvent lors de débats avec des personnes n’ayant pas encore pris la complète mesure du caractère inique du droit sous lequel nous vivons, ou celui d’autres pays dits démocratiques, l’argument de l’existence et du rôle de la constitution m’est servi comme un couperet, un rideau de final après moult rappels des vedettes, une pirouette.

L’existence ou la mise en place d’une constitution dans un pays qui le plus souvent prend aussi des allures démocratiques serait une, si ce n’est la, garantie ultime que ledit pays est raisonnablement soucieux du bonheur et de la liberté de son peuple. Pourtant, si c’est aussi clair, aussi limpide, une question me tracasse depuis l’enseignement secondaire…

Pourquoi n’y a-t-il pas deux pays avec des constitutions identiques ? Ou même presque identiques ? La liberté n’est-elle donc pas la même partout ?

Les Etats-Unis, que je sache le pays à la plus ancienne constitution – le Royaume-Uni ne dispose pas d’une constitution à proprement parler – sont sans doute depuis le premier jour la référence en matière de constitution, directement inspirée des Lumières et présentant les critères théoriques de « bonne constitution ». Concise. Concentrée sur les fonctions d’un pouvoir régalien minimal. Au profit de la liberté du  peuple et de sa recherche du bonheur. Elle a la réputation d’un bijou, qui d’ailleurs est exposé comme tel.

A part les points spécifiques liés aux particularités géographiques et historiques américaines – les états et de manière générale l’organisation de la fédération – cette constitution semble a priori un modèle qu’on serait en droit d’espérer retrouver en tête du droit de toutes les démocraties du monde ou presque.

Pourtant la France elle-même est loin d’avoir suivi ce modèle. Depuis 1800 et l’après-révolution, nous avons quand même réussit à écluser neuf régimes avant l’actuelle Veme République ! (Consulat, Premier Empire, Restauration, Monarchie de Juillet, IIeme République, Second Empire, IIIeme République, Etat Français, IVeme République) Notre constitution actuelle fait d’infinies circonvolutions pour légitimer une continuité du droit remontant à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Mais ce ne sont pas tant les soubresauts historiques qui me choquent que leur impact sur le texte et sa logique. Je me bornerai à prendre l’exemple connu de la bascule de la IVeme à la Veme République. Comment peut-on ainsi passer d’un régime aussi parlementaire à un régime aussi « présidentiel » ? (Terme élégant pour ne pas dire « monarchique ».) D’autant que la Veme a depuis encore évolué vers une totale absence de séparation des pouvoirs et une assemblée nationale à la botte du gouvernement. La IVeme avait à mon avis un avantage essentiel qu’a  perdu la Veme. Son instabilité freinait sa capacité à légiférer à revers de bras, ce que par contre la Veme autorise, suite à la disparition des oppositions des pouvoirs.

Ce genre de dégénérescence lente du droit est inhérent à la démocratie. On y part sur une base relativement saine, et peu à peu la liberté est érodée par le peu d’état en place qui la grignote peu à peu. On finit deux siècles plus tard avec un féodalisme oligarque qui se cache derrière une constitution prétexte devenue feuille de vigne de l’état corrompu.

Les Etats-Unis sont d’ailleurs eux aussi un indice flagrant de cette tendance. Depuis sa publication en 1776, leur constitution a subit pas moins de 27 amendements. Dont un, le 21eme, qui n’a servi qu’à en abroger un précédent – le 18eme sur la prohibition. Le dernier date de 1992, bien que sa proposition d’origine remonte à 1789, et protège… la rémunération des membre du congrès. Ainsi, même aux Etats-Unis, la constitution évolue, assez souvent, et pas forcément en bien.

On est pourtant en droit de se demander ce qui peut faire que le droit et ses institutions, valables à un moment et assez longuement, ne le seraient soudain plus demain ? Pourquoi le droit fondamental devrait-il évoluer ? Et pourquoi les tentatives des différents pays ne convergent-elles pas vers un même modèle fruit des « meilleures pratiques » ?

Deux autres pays paraissent intéressant à considérer sur ce sujet car, même si on en a peu parlé dans la presse – c’est beaucoup moins intéressant qu’une bonne vieille coupe d’Europe – ils ont tous deux connu un changement récent de constitution.

En premier je prendrai le Maroc, qui, il y a environ 18 mois, a adopté par suffrage le texte publié ici.

La première chose qui frappe dans ce texte, c’est sa longueur : pas moins de 180 articles, là où l’américaine n’en compte que 25 (articles et sections). Une rapide sélection d’article montre que cette constitution est pour le moins contestable et donne tous les signes d’un texte qui va bien au-delà du rôle d’une constitution. Examinons-les rapidement.

Article 1er : « La nation s’appuie dans sa vie collective sur des constantes fédératrices, en l’occurrence la religion musulmane modérée, l’unité nationale aux affluents multiples, la monarchie constitutionnelle et le choix démocratique. L’organisation territoriale du Royaume est décentralisée, fondée sur une régionalisation avancée. »

Dans cet article et dans plusieurs autres, on parle de « nation », et non de « peuple ». Il est bien connu que la constitution américaine commence par « We, the People… ». Confondre ou amalgamer peuple et nation, ou plus simplement ne pas choisir « peuple », est une grave distorsion, à mon sens. Car évoquer le peuple montrerait une volonté, un rôle strictement juridique à cette constitution, traitant tous les individus du pays comme égaux devant le droit, par leur seule présence sur le sol du pays.

Mais prendre la « nation » comme référence est beaucoup plus biaisé. J’ai abondamment écrit, y compris dans « Libres ! », pour contester ce terme pour moi fallacieux car indéfinissable. Il est porteur de critères discriminants – on est de la nation ou en n’en est pas – et cela de manière indéfinie, ce qui ouvre la porte à l’arbitraire. Cette constitution sous-entend-elle qu’elle pourrait ne pas s’adresser aux habitants du Maroc qui ne feraient pas partie de sa « nation » – à commencer par ses immigrés ?

Article 2 : « La souveraineté appartient à la nation qui l’exerce directement par voie de référendum et indirectement par l’intermédiaire de ses représentants. La nation choisit ses représentants au sein des institutions élues par voie de suffrages libres, sincères et réguliers. »

Même remarque que précédemment sur la « nation ». Ce qui est choquant ici, c’est le besoin de préciser que les suffrages pourraient être autre chose que « libres, sincères et réguliers ». Car si le risque existe en effet de fraude en matière d’élections, n’est-ce pas justement le rôle de la constitution de prévoir les mécanismes pour assurer la maîtrise de ce risque ? Si ça va de soi, pourquoi un tel verbiage qui peut être lu dans l’autre sens ?

Article 15 : « Les citoyennes et les citoyens disposent du droit de présenter des pétitions aux pouvoirs publics. Une loi organique détermine les conditions et les modalités d’exercice de ce droit. »

Derrière un article qui pourrait sembler positif, trois choses pourtant. Tout d’abord, pourquoi parler des pétitions ? Ne seraient-elles sinon un droit naturel d’expression ? Ensuite, viennent-elles court-circuiter la démocratie représentative ? Une chose qui justement aurait été intéressante de prévoir ici touche aux principes des modalités. Pour par exemple poser ou pas le principe de garantir que les questions posées feraient l’objet d’une réponse systématique de la part du gouvernement dans les 3 mois après dépôt. Sans plus de corps, un tel article reste vide.

Article 20 : « Le droit à la vie est le droit premier de tout être humain. La loi protège ce droit. »

On pourrait se demander pourquoi un tel article ne vient pas en premier. Mais surtout, en quoi la loi peut-elle protéger la vie ? Pourra-t-on lire plus tard un tel article comme signifiant que se nourrir est un droit que le pouvoir doit garantir au peuple, qui est dès lors en droit d’attendre son pain quotidien des services publics ? On voit combien une phrase anodine peut-être rendue perverse…

Article 31 : « L’Etat, les établissements publics et les collectivités territoriales œuvrent à la mobilisation de tous les moyens à disposition pour faciliter l’égal accès des citoyennes et des citoyens aux conditions leur permettant de jouir des droits :
. aux soins de santé,
. à la protection sociale, à la couverture médicale et à la solidarité mutualiste ou organisée par l’Etat,
. à une éducation moderne, accessible et de qualité,
. à l’éducation sur l’attachement à l’identité marocaine et aux constantes nationales immuables
. à la formation professionnelle et à l’éducation physique et artistique,.
. à un logement décent,
. au travail et à l’appui des pouvoirs publics en matière de recherche d’emploi ou d’auto-emploi,
. à l’accès aux fonctions publiques selon le mérite,
. à l’accès à l’eau et à un environnement sain,
. au développement durable. »

Pour finir sur le Maroc, je vous propose ce bijou. Voilà que la constitution elle-même instaure la santé, la protection sociale et même le logement comme des droits, que le pouvoir doit assurer. Rappelons que tous ces domaines relèvent en réalité de la stricte économie et que donc la bureaucratie, comme on le constate amèrement en France, sera bien incapable d’assurer de tels services au peuple, du moins de manière « juste ». Ce sera au contraire une magnifique source de corruption.

On le voit – et il faudrait analyser les 180 articles pour l’illustrer jusqu’au bout, cette constitution marocaine est loin d’être sans défaut, et surtout, traite de sujets peu compatibles avec une réelle et simple garantie du droit et de la liberté. Pourquoi ne pas être simplement repartis de l’américaine ?

Un autre pays a fait parlé de lui il y a peu en matière de constitution : l’Islande – la vidéo ci-contre apporte un éclairage – non sans biais, il est vrai.

Dans cette histoire, ce qui me frappe, c’est ce processus de refonte de la constitution. On se gausse d’un soi-disant processus démocratique pour choisir un collège supposé compétent parce qu’élu pour promouvoir une constitution qui serait de ce fait bonne pour le peuple puisque conçue par lui.

Ce type de raisonnement est typique de ce que Hans-Hermann Hoppe appellerait le phénomène de décivilisation de la démocratie. (*) Aucune élection n’a jamais rendu quiconque compétent, surtout en matière juridique. Un tour de vote et hop ! voilà nos pauvres islandais soumis eux aussi à un texte qui n’a aucune chance d’être une constitution « idéale ».

Et cela n’a pas loupé. Le nouveau texte est accessible ici. Fort de 79 article, voilà à nouveau une approche verbeuse du droit fondamental. Il est vrai que le plus gros du texte décrit les processus législatif et exécutif, mais on trouve néanmoins quelques articles qui posent vraie question.

Article 59 : The organization of the judiciary can only be established by law.

C’est bien dommage. Les deux autres pouvoirs seraient ainsi assez important pour justifier d’être constitutionalisés, mais pas le pouvoir judiciaire ? C’est oublier que normalement, le seul rôle de « l’état de droit », c’est précisément la justice. Et que cet article la remet dans les mains des députés au lieu de le figer dans le marbre.

Article 62 : The Evangelical Lutheran Church shall be the State Church in Iceland and, as such, it shall be supported and protected by the State.

Tant pis pour la séparation de l’église et de l’état et surtout pour les impôts à payer pour l’entretien du clergé, y compris par les non-croyants…

Article 67 : No one may be deprived of his liberty except as permitted by law. Any person deprived of his liberty shall be entitled to be informed promptly of the reasons for this measure.

Oui, vous avez bien lu. En gros, on est libre, sauf quand la loi en décide autrement. C’est l’exemple parfait de clause contraire à l’esprit même, au rôle d’une constitution. Et ce n’est pas le seul article, il y a l’équivalent en matière de vie privée et d’intimité :

Article 71 : Everyone shall enjoy freedom from interference with privacy, home, and family life. […] Notwithstanding the provisions of the first paragraph above, freedom from interference with privacy, home and family life may be otherwise limited by statutory provisions if this is urgently necessary for the protection of the rights of others.

Alors, que conclure de ce rapide tour d’horizon ? Clairement qu’une constitution ne sert à rien, puisque de toute façon elle est dans les faits peu à peu érodée. Et je n’ai pas ici étudié le nombre d’exemples qu’on peut trouver où des lois inconstitutionnelles ont pourtant été validées – tel l’Obamacare il y a quelques mois aux Etats-Unis.

Voire même qu’une constitution peut être la porte ouverte à l’inverse du droit tel que le bon sens nous le fait percevoir – ce que tout libertarien reconnaît dans le « droit naturel ». On a vu les exemples marocain et islandais, mais les régimes présidentiels français et américain nous illustrent chaque jour combien eux aussi sont éloignés du droit naturel.

Tout libéral devrait le reconnaître, se l’avouer à soi-même avant de le rappeler autour de lui. La liberté n’est pas protégée par la constitution, c’est même tout le contraire. La liberté passe par l’adoption d’un régime où ce concept vide n’aura enfin plus sa place, pas plus que celui de démocratie…

 (*) Dans son essai « On the Impossibilityof Limited Government and the Prospects for a Second American Revolution », « Sur l’impossibilité d’une administration limitée et les perspectives d’une seconde révolution américaine », au chapitre III, H-H.Hoppe critique le concept même de la constitution américaine, constatant son échec à résister à la dérive de l’état.

1 comment:

Yul said...

l'article 20 est en fait une disposition anti-avortement et anti-euthanasie/suicide assisté, à mon avis. c'est en tout cas dans ce sens là que l'expression est le plus souvent comprise