Les campagnes électorales font rage. Au-delà de la création éventuelle
d’une liste clairement libérale à présenter au vote, la question inverse se
pose : en tant que libéral, dois-je, puis-je aller voter ?
Et voter pour qui ? La Gauche ? La Droite ? Ou
nul ? Ou blanc ? Pour Bastiat ? Désormais, le code électoral
reconnaît le vote blanc. Tout vote blanc, en augmentant un peu le nombre de
suffrages à rassembler sur son nom, réduit les chances de chaque candidat de se
faire élire. Une bonne chose. A l’inverse, voter peut être vu comme un acte de
soumission. Alors, le vote ? L’acte d’un libéral digne ?
Il y a essentiellement deux façons de considérer le vote
dans notre monde. Le vote est tout d’abord un instrument quasi-universel de
prise de décision collective, que ce soit pour des associations ou des conseils
d’administration ou encore des concours de beauté, ou tant d’autres décisions
libres. Ce vote-là n’est pas un problème pour la liberté, puisqu’il s’intègre
dans un contexte où le votant a l’entière maîtrise de sa participation et donc
d’accepter ou pas le système pour lequel il vote.
Mais depuis une centaine d’années, le vote est surtout
culturellement associé à la démocratie et par ce biais à l’expression de ce qui
formerait le mode d’organisation sociale garant de la liberté. A la mode, il est
supposé être l’instrument ultime de la souveraineté individuelle dans le
contexte des institutions, ceci dans de très nombreux pays, y compris des
tyrannies comme la Corée du Nord.
Ce vote à valeur politique est bien plus contestable et contesté
par le libéral. Précisément parce que politique. Un vote « politique »,
c’est un vote non pas pour un projet où on est partie prenante, mais pour
donner du pouvoir à un homme politique censé ensuite s’imposer en notre nom.
Intolérable.
Si on accepte une position « à la Rothbard », on
dira que le vote ne nous engage en aucune façon puisqu’on niera tout système
politique. Mais on peut aussi voir au contraire le vote comme une
reconnaissance implicite du système et dans ce cas, aucun vote n’est moralement
justifiable.
Les Libertariens laissent chacun choisir ad hoc, mais contestent la démocratie
dans son ensemble, justement parce que la démocratie repose sur un pouvoir
délégué au lieu d’une absence de pouvoir.
On nous oppose bien des fois qu’il faudrait voter pour espérer
changer le système.
N’est-ce pas en réalité paradoxal ? Voter suppose la
reconnaissance du système, voter c’est lui donner du crédit. Et puis, pour
changer de système, autant le prendre de l’extérieur, par exemple en le
contestant dans son ensemble et en convainquant le peuple de ses dangers. Voter,
c’est s’imposer.
Bien sûr, il peut être astucieux de participer au processus
électoral, notamment en présentant un candidat pour espérer tirer profit de
l’exposition médiatique qui va souvent de pair. Mais c’est là une question
différente. On peut profiter du système sans entrer dans sa logique, sans
reconnaître le système. Par contre, le vote en tant qu’acte n’a rien à voir
avec la participation fictive à une élection comme candidat. Voter, c’est faire
allégeance au Dieu Démocratie, c’est accepter le fait du pouvoir.
D’autres avancent que la meilleure option consiste à voter
blanc, maintenant il est pris en compte.
Certes, voter blanc va désormais permettre de réduire les
chances des candidats d’atteindre la majorité (beaucoup ne sont pas vraiment adultes…)
– à condition que le nombre de votes blancs devienne soudain très significatif,
ce qui est peu probable à court terme. Mais un tel geste reste un signe de
reconnaissance du système et de la démocratie, ce qui n’exprime pas une opposition
forte.
Il vaut mieux tabler sur un taux de participation toujours
plus bas : un jour, la légitimité des élus sera si basse que de ce simple
fait elle sera mise en cause, quand plus personne ne votera plus pour eux.
Certains libéraux « pragmatiques » pensent que ne
pas voter laisserait la porte ouverte aux étatistes.
En réalité, la porte n’est pas plus ouverte maintenant
qu’hier. De toutes façons, de facto, il
n’existe de parti qu’étatiste, donc que ce soit Les Républicains ou de Front de
Gauche, le FN ou le PS, les différences sont mineures dans la pratique. Alors
autant ne pas se salir les doigts en allant voter, surtout si c’est pour voter
le « moins pire ». Voter, c’est dire « j’accepte de réduire ma
liberté ».
Enfin, les plus vifs démocrates nous donnent des noms d’oiseaux
du fait qu’on refuserait tout vote.
Ce qui n’est absolument pas vrai. Le vote peut être un
excellent mécanisme de prise de décision collective, là où il est pertinent :
le vote est adapté aux associations, aux réunions ou groupes non-politiques. Il
ne peut être un blanc-seing pour perte de souveraineté sans contrôle ni
recours.
Citations
« Il n’est pas
exagéré de dire que la démocratie est devenue une religion – une religion
moderne, séculière. » -- Frank Karsten.
« Car la
démocratie politique n’est pas une promesse de liberté, malgré ce que peuvent
en dire les politiciens : ce n’est qu’une façon de désigner qui exerce le
pouvoir suprême et comment ce pouvoir doit être exercé. » -- Thierry
Falissard