Sur l’invitation d’un jeune ami talentueux, j’ai
entrepris de lire et démonter une autre critique des libertariens faite par un
pseudo-libéral mal informé qui, comme il fallait s’y attendre, le prend de haut
alors qu’il n’a pas même compris les bases du sujet.
Les pseudo-libéraux sont décidément une plaie, un frein à la liberté, car ils croient la détenir quand elle leur échappe et nous empêchent d’autant d’avancer. L’ignorance et la faible réflexion ne sont hélas pas les attributs des seuls socialistes, comme je l’ai longtemps cru. On ne se déclare pas libéral, on apprend à le devenir en tirant profit des réflexions des visionnaires.
Les pseudo-libéraux sont décidément une plaie, un frein à la liberté, car ils croient la détenir quand elle leur échappe et nous empêchent d’autant d’avancer. L’ignorance et la faible réflexion ne sont hélas pas les attributs des seuls socialistes, comme je l’ai longtemps cru. On ne se déclare pas libéral, on apprend à le devenir en tirant profit des réflexions des visionnaires.
Le texte
original est ici, je vous invite à le lire pour mieux vous délecter…
Rien
qu’à lire l’introduction, plusieurs erreurs ou incompréhensions se font jour,
c’est donc «prometteur» comme texte.
Premier
point : «visant à la suppression pure et simple
de toute espèce de structure étatique.» :
Ici,
l’erreur vient de l’ambiguïté portée par le mot «état» qu’il convient de
désosser pour comprendre la véritable problématique. L’état signifie trois
choses très différentes, hélas. Les fonctions, régaliennes ou au-delà, ce qu’il
fait, police, justice etc. Les organes ou institutions qui réalisent ces
fonctions. Les agents humains qui décident au titre de ces organes. Les
anarcaps ne souhaitent pas la suppression de l’état, mais la suppression de
toute forme de monopole sur ces 3 niveaux, c’est très différent. Une anarcapie
possède fonctions régaliennes, organes et agents pour les réaliser. Mais les
trois sont confiés au libre marché. Et c’est de ce fait que disparaît la
coercition étatique, elle disparaît parce que le choix des agents et des
organes pour réaliser les fonctions est restitué au consommateur, le citoyen.
D’ailleurs lire Hoppe lève toute ambiguïté. L’état pour lui ne pose problème
que de par son monopole.
L’introduction
continue avec de nombreux mots posés ça et là qui témoignent d’une ironie si ce
n’est d’une mauvaise foi malencontreuse : fable,
«droits réputés appartenir à l’homme», «justice publique», «le vice
rédhibitoire de toute pensée anarchique cohérente» - avant un plan
qui nous promets bien du plaisir.
La
justice publique mérite quelques instants, car ce n’est absolument pas un
concept anarcap et le fait même qu’il soit évoqué ici témoigne de la pensée de
l’auteur. Comme tout en société libre, la justice traite des individus, elle
n’est publique que dans la mesure ou chacun y a accès comme chacun peut acheter
son pain. Il n’y a pas de ‘suprême’ justice. Bien plus grave encore, dire que «l’élaboration des normes reviendrait aux seuls juges»
est une preuve d’incompréhension bien plus profonde. On le verra plus bas, le
juge en anarcapie ne fait pas le droit, il ne fait que le dire et régler les
différends dans un souci d’équilibre et de dédommagement.
Le droit
est fait par le propriétaire, et lui seul. Ne pas le voir, c’est ne pas avoir
compris que le droit n’existe que pour régler ou éviter les conflits, que les
conflits ne peuvent être que des conflits de propriété et que donc le
propriétaire fait le droit chez lui – en respect du droit naturel, bien
évidemment. Et personne d’autre. La propriété, c’est le droit, le droit vient
de la propriété.
On
commence le corps du texte avec la question «Quelles
sont leurs institutions ?». La question elle-même est biaisée. Car
ce ne sont pas les institutions qui importent au premier chef, elles ne sont
que des organes, des moyens, mais les fonctions. Poser la question des organes,
c’est occulter le sujet.
Ainsi il
avance que :
- «Force est de constater que les institutions
libertariennes n’existent pas» :
On
reproche souvent aux anarcaps de vouloir le désordre puisqu’ils souhaitent
l’anarchie. C’est confondre anarchie et anomie. L’anarchie refuse l’autorité
unique et imposée, d’où le rejet de l’état dans son caractère monopolistique et
coercitif, mais pas dans son caractère fonctionnel. C’est la grande erreur, ou
plutôt confusion, des minarchistes et autres « libéraux ». Il est
évident que l’anarcapie a, comme toute société, besoin des fonctions
régaliennes. Elles y existent donc bien, elles viennent des services de
sociétés privées soumises à la concurrence du marché libre. Mais attaquer par
l’absence d’institutions comme témoin d’absence de fonction régalienne, c’est
une erreur encore plus primitive.
- «les libertariens s’en remettent au pouvoir créateur de
la « main invisible « d’Adam Smith, c’est-à-dire au marché, ce qui n’est certes
pas risible» :
En
effet. Mais ne faut-il pas distinguer une pointe de condescendance dans ce
mots ? L’auteur serait-il un libéral sans confiance dans le marché libre,
qui pourtant n’est autre que l’expression pure des actes et échanges des hommes
libres ?
- «mais ne présente aucune garantie du maintien des droits
les plus élémentaires.» :
C’est
bien ce qu’il se profilait. L’auteur ne voit pas, ou ne croit pas, comment
le marché libre peut assurer les fonctions régaliennes. Ce n’est pas ici la
place de l’expliquer, mais on s’arrêtera au mot « garantie », juste
pour lui demander comment il nous explique que l’état « garantit »
quoi que ce soit quand on constate les crimes commis et impunis au quotidien,
sous ses auspices.
- «Leur position interdit logiquement aux libertariens de
raisonner en termes d’institutions.» :
Et donc ? Ne voit-il pas que c’est justement ce
qui fait la force et la stabilité de la société libre ? Car lorsque les
institutions ne sont pas figées – on rappelle qu’elle ne sont que des moyens,
pas la fin que sont les fonctions régaliennes, ie l’état de droit – on a
justement la possibilité de les changer facilement et régulièrement afin de
toujours les adapter pour le meilleurs rendu, la meilleure « garantie ».
C’est précisément ce que le recours au marché permet de faire. Ainsi, là où les
constitutionnalistes endolorissent les drosophiles à rechercher sur le papier
les meilleures institutions qu’ils ne pourront jamais trouver – sinon on les
auraient déjà, non ? – l’anarcap est sur ce point plus pragmatique et
confie la chose au marché, comme n’importe quel problème d’optimisation
sociale.
- «Le programme libertarien est essentiellement négatif,
consistant à supprimer l’État.» :
On a vu
que cela est faux. L’anarcap vise à supprimer la bureaucratie et les élus,
fruits du monopole, mais rien d’autre. Quant au caractère négatif, il n’est que
le reflet du caractère négatif de la Liberté, c’est-à-dire en réalité ouvert à
l’opportunité positive.
Plus loin on trouve une critique de Randy Barnett. Il
faut dire que prendre cette personnalité comme fer de lance libertarienne est
déjà un choix très contestable, car Barnett, pour être libertarien, est d’un
courant plutôt hayekien et minarchiste, donc rien d’aussi « dur » que
des Rothbard ou Hoppe.
- « Au moment précis où l’on s’attend à ce que ce
juriste distingué, ancien procureur, nous livre le fruit de ses réflexions
juridiques sur le devenir institutionnel d’une communauté libertarienne
désétatisée, quelque chose de sophistiqué, d’un peu aride même, R. Barnett nous
gratifie superbement d’un chapitre intitulé « une courte fable » :
Ici, on
a l’impression d’un argument d’autorité contrarié : l’auteur avait eu
envie de pouvoir lire un argument de juriste, car il semble s’en prendre pour
un et avoir la caste en haute estime. Il se semble pas voir que les juristes ne
sont souvent que de vains gratte-papiers qui croient pouvoir figer l’infinité
de l’imagination humaine dans des codes sans cesse recommencés.
- « Tel est l’inexorable destin de toute pensée
anarchiste cohérente avec elle-même : la négativité, la condamnation
épistémologique à l’absence d’alternative, le vertige du pari. » :
Le
paradoxe utilisé comme défense de dernier recours ? Cohérence ?
Comment peut-on reprocher la cohérence de la pensée lorsqu’on se revendique
libéral et donc irrémédiablement rationnel ? Négativité ? Comment ne
pas voir que la liberté elle-même est négative pour laisser à l’homme tout le
champ du possible et qu’il en est ainsi de même pour la société libre ?
Alternative ? Condamnation ? Qui condamne qui ici ?
Mais
surtout, c’est montrer une fois de plus son incapacité à se projeter dans la
société libre. Car celle-ci repose sur deux strates fondamentales qui en font
la seule société alliant liberté et universalité. La strate du bas, c’est le
respect du droit naturel. Au-dessus, chaque propriétaire ou communauté de
propriétaires construit son droit à sa guise, tant qu’il respecte le droit
naturel. Il est donc possible de voir surgir une infinité de mini sociétés au
sein de l’anarcapie, tant qu’elles se respectent et que l’individu y est libre.
L’alternative dont l’auteur parle est donc en réalité native de l’anarcapie.
L’anarcapie porte en son sein l’infinité des organisations sociales respectant
le droit naturel. Qui dit mieux ? Enfin, le vertige du pari ? En quoi
est-ce un argument ? En quoi est-il opposable pour un libéral de parier
sur la liberté ?
- « Mais soyons de bonne guerre, acceptons de faire
l’impasse quelques instants sur cette carence rédhibitoire, et voyons ce qu’un
monde libertarien aurait à offrir aux partisans de la liberté. » :
Je pense
avoir montré juste au-dessus qu’il n’est de carence au sein de l’anarcapie que
dans la limite intellectuelle que manifeste l’auteur à son encontre.
Dans la
seconde partie, l’auteur croit malin de revenir sur la question de la garantie
et de plus de déformer la vision de Rothbard :
- « qu'est-ce qui garantit que le droit en vigueur dans l'utopie libertarienne sera fidèle aux valeurs de liberté ? À cette question, celui qui reste la référence majeure des libertariens, M. Rothbard, répond que les différentes agences devraient adhérer à un « Code de base » consacrant les droits naturels fondamentaux . En l'absence d'institutions spécifiques garantissant ce respect, ce code relève du wishful thinking. » :
- « qu'est-ce qui garantit que le droit en vigueur dans l'utopie libertarienne sera fidèle aux valeurs de liberté ? À cette question, celui qui reste la référence majeure des libertariens, M. Rothbard, répond que les différentes agences devraient adhérer à un « Code de base » consacrant les droits naturels fondamentaux . En l'absence d'institutions spécifiques garantissant ce respect, ce code relève du wishful thinking. » :
Cela
relève de la déformation de la pensée de Rothbard, ni plus ni moins. Le code en
question n’est autre que celui des Droits naturels bien sûr, mais ce n’est en
aucun cas le mécanisme qui ici assure le droit en vigueur. On le sait, les
fonctions régaliennes sont confiées au marché et aux services privés, ce sont
eux la réponse. Et comme n’importe qui, ces entreprises doivent respecter le
droit naturel, bien évidemment. Mais la question de la garantie n’est pas issue
du code, ni d’un autre. Elle découle, elle est le fruit de la concurrence.
Simple : une entreprise dont les services de sécurité ou de justice ne
satisferait pas ses clients n’aurait le choix que de s’améliorer ou fermer. La
concurrence tire donc le marché en permanence vers cette supposée utopie de
« garantie », et cela bien mieux que n’importe quelle
« institution » immuable et fonctionnarisée.
Mais mon
analyse a dû être erronée, car l’auteur montre ensuite qu’il a compris le
caractère multiple, multitude même de la société libre :
- « En réalité, il n'y aura pas un ordre résultant,
mais une multitude d'ordres (juridiques) résultants, exactement autant que
d'individus qui se seront institués juges. » :
C’est
assez vrai, il se trompe sur le rôle du juge, mais il semblerait qu’il ait vu
la multiplicité du droit, celui des propriétaires. Bravo ! Mais alors, où
est le problème ?
- « Car c'est bien de cela qu'il s'agit : lors qu'on
institue les juges sources unique du droit et que quiconque peut s'instituer
juge, naissent autant d'ordres juridiques que d'individus qui décident de créer
du droit. » :
Encore
une fois, vrai et faux. On l’a vu, les juges ne sont pas sources du droit,
ce sont les propriétaires. Mais en effet, la société libre est caractérisée par
la multiplicité du droit. Mais pas n’importe quel droit, contrairement à ce que
l’auteur implique sans le dire. On l’a vu, la société libérale a deux couches.
Et où qu’on se trouve, en toutes circonstances, le Droit Naturel a cours. Il ne
peut être qu’interprété par le droit local. Et c’est cela qui
« garantit » la Liberté malgré la multitudes des sources de droit.
- « Comment imaginer que ces myriades d'ordres
juridiques concurrents cultiveront toutes les valeurs de liberté ? Comment ne
pas voir qu'adviendront nécessairement, outre des ordres libéraux, une petite
Allemagne hitlérienne, un petit Cambodge de Pol Pot, une petite société
moyenâgeuse où brûlent les hérétiques, bref toutes les tyrannies connues et une
infinité d'autres ? » :
C’est
ici que l’auteur dérape et nous montre une fois de plus qu’il n’a pas compris
la société libre. Et doublement. Outre qu’il confirme ne pas avoir vu
l’organisation en deux couches du droit, qui assure donc les « valeurs de
liberté », il ne voit pas non plus la liberté qu’il y aurait, pour ceux
qui le souhaitent, à voir naître ce qu’il appelle ces « ordres libéraux ».
Pourquoi une ville ou un territoire au sein de la société libre ne pourrait-il
pas être hitlérien, pourvu qu’il respecte le Droit naturel, c’est-à-dire le
droit pour chaque individu de joindre ou quitter une telle communauté en toute
liberté ? Encore une fois, seule l’anarcapie autorise une telle infinité
de libres communautés en son sein tout en « garantissant » celle de
chaque individu.
Il croit
avoir trouvé une autre difficulté avec la question pratique du jugement dans un
monde à l’infinité de sources de droit. Et de nous choisir un exemple en
réalité très banal : « Mais qu'en
sera-t-il si le mari est Norvégien et la femme allemande, ou si le couple
germano-norvégien vit en Suisse et que ses biens sont partiellement situés en
Italie ? » :
En fait,
il raisonne à l’envers. Pour un libéral, ça la fiche mal parce qu’il raisonne
en juridictions au lieu de raisonner en individus.
Car pour
un libéral, sur cet exemple mais cela se généralise, le droit outre celui du
propriétaire ne se matérialise que par les contrats entre personnes. Le mariage
n’a donc aucun sens national, mais uniquement entre les deux adultes concernés.
Ce problème n’existe donc pas.
- « C'est ce type de questions que traite la branche
du droit appelée « droit international privé », plus précisément les règles
dites de « conflit de lois ». En termes juridiques, on dira qu'il y a conflit
de lois lorsqu'une situation est affectée d'un « élément d'extranéité »,
c'est-à-dire qu'un aspect au moins de cette situation relève potentiellement
d'une loi qui n'est pas la même que celle qui paraît devoir régir le reste de
la situation. Outre le conflit de lois se pose également la question du conflit
de juridictions : quel est le juge compétent pour trancher le litige ? » :
Nous
avons ici deux questions qui en réalité ne se posent pas en anarcapie. L’auteur
ne fait rien d’autre que projeter ses inerties mentales de juriste – quand je
vous disais que beaucoup de juristes ne savent pas sortir de leurs codes… Car
la question de la loi applicable est en réalité bien plus simple en Libertalie
– bonjour ma chère Nathalie.
Il n’y a
que trois cas et pas quatre : sont applicables le Droit Naturel,
l’éventuel droit complémentaire du propriétaire du lieu concerné et le ou les
contrats en vigueur entre les parties. Point. Pas la peine d’aller chercher des
extranéités qui ne sont que les manifestations de la maladresse du droit
positif mal conçu.
Par
ailleurs, la question du juge est encore plus simple. Le juge est choisi
librement mais de concert par les deux parties en différend, ni plus, ni moins.
On ne développera pas ici toute la procédure en cas de refus d’un juge par
l’une des partie, le résultat reste le même.
Il
continue dans sa croyance avec :
- « Les problèmes créés par cette compénétration ne
concernent qu'exceptionnellement le commun des mortels. Dans un ordre
libertarien, ils seraient permanents. Le simple achat d'un pain ou d'une pomme
exposerait, en cas de litige, l'acheteur et le vendeur, qui auraient souscrit à
des ordres juridiques différents, à d'inextricables problèmes de conflits de
lois et de juridictions. » :
On est
dans le fantasme plus que dans la logique. Il n’y a jamais de problème de
juridiction en Libertalie, elle est toujours sans ambiguïté : le droit du
propriétaire des lieux. Quant à l’exemple du pain, franchement, j’espère que
c’est de la mauvaise foi : unicité du lieu, simple contrat tacite
d’échange, où est le problème ?
- « Le moindre pas dans la rue obligerait à recourir
aux services d'un avocat. Un ordre libertarien suppose un droit international privé
dont la complexité serait portée à la puissance 1000, ce qui est humainement
ingérable, et paraît devoir inexorablement déboucher sur la consécration
factuelle du Führerprinzip : si la loi ne peut trancher, il faudra bien que
quelqu'un le fasse. Répondre que les différents ordres juridiques trouveront le
moyen de pallier ces difficultés techniques n'est pas satisfaisant : outre que
le libertarien n'en sait strictement rien (voir point I), il est hautement
probable qu'il se trouvera de nombreux petits ordres juridiques qui se voudront
radicalement indépendants et qui refuseront la moindre concession, fût-elle
rationnelle et d'élémentaire bon sens. » :
Tout
cela n’a tout simplement aucun sens, on vient de le voir. Là où ça devient
vraiment grave, c’est de voir poindre l’argument du « Führerprinzip »
qu’il ne va pas manquer de nous opposer – bien que sur du sable – pour nous
expliquer juste après que l’état rejaillira de l’anarchie. Ridicule, puisque
tout cela n’a aucune réalité.
Et ça ne
loupe pas, nous voici face à l’attaque de la présumée « Résurgence
probable d'un État »
- « Comment éviter la renaissance de l'État honni ?
Dans la courte fable de R. Barnett, Justice Inc. et TopCops en viennent à
dominer le marché de la justice et de la police et ce sont leurs pratiques
douteuses qui provoquent leur chute. Supposons maintenant que Justice Inc. et
TopCops restent honnêtes et s'accroissent jusqu'à posséder 70% du marché.
Ensuite elles fusionnent, se rebaptisent « État » et interdisent leurs
concurrents. Barnett rétorque que l'ordre libertarien devrait adhérer à ce
qu'il appelle le « principe de compétition », qui fait interdiction aux
différentes agences de s'évincer mutuellement par la force. Fort bien, mais qui
fera respecter ce principe si deux agences nettement dominantes prennent sur
elles de l'enfreindre ? Et quelle sorte d'État naîtra de la fusion de ces
agences ? » :
Je ne
connais pas l’auteur et en particulier sa profession, quoi qu’il semble de
nature juriste, mais il ne démontre ici aucune compréhension économique, ce qui
est fâcheux quand on se croit théoricien libéral. Toujours est-il qu’il commet
deux erreurs grossières. Rebaptisées « état » ou pas, 70% du marché
ou pas, la nouvelle société juridique ne peut pas « interdire » la
concurrence. Justement, il ne suffit pas de se décider état pour avoir un
monopole de jure, et non de facto. Vous me feriez ça M. TopCops,
je peux vous garantir que vous auriez aussitôt perdu ma part de vos 70%, sans
que vous y puissiez quoi que ce soit, car vous n’êtes pas la police, mais la
seule justice. Il est à ce propos évident qu’on ne laissera jamais une même
entreprise assurer à la fois les services de police et de justice, c’est du
simple bon sens.
Seconde
erreur, il n’est besoin de personne pour faire respecter la concurrence. Le
marché s’en charge très bien. Notre auteur-juriste a décidément du mal à se
passer d’institutions matérialisables.
- « À supposer même que TopCops et Justice Inc.
fusionnent (pour former Justice&Cops, Inc.) mais ne tentent pas d'évincer
leurs concurrents, comment qualifier l'ordre engendré par cette fusion ? » :
Il n’y a
pas à le qualifier, car ce n’est en rien un ordre. L’ordre ne vient pas des
juges, mais des propriétaires, on l’a vu plus haut.
- « Des normes et des policiers pour les faire
respecter, des juges pour les appliquer et des prisons pour enfermer les
criminels, cela ne vous rappelle rien ? Si bien sûr : un État ! D'un genre
particulier, dira-t-on, parce que les souscripteurs de Justice&Cops ont le
droit de quitter cet ordre pour un autre dès qu'ils le souhaitent. Outre que
c'est déjà le cas de la plupart des États aujourd'hui, cette proposition ne
vaut qu'aussi longtemps que le gouvernement/les administrateurs de
Justice&Cops le tolèrent : après tout, c'est à eux que revient de
déterminer ce qui se fait ou pas. » :
On
retrouve ici les erreurs précédentes, ce ne sont pas les juges qui font l’ordre
et c’est la concurrence qui met tout ce petit monde sous contrôle pour
justement empêcher ce type de dérives. Notre auteur se confirme ne pas avoir
compris la société libre.
- « Les libertariens ont coutume d'affirmer, à la
suite de M. Rothbard, que les structures étatiques furent, dans l'histoire, le
cadre de tant de massacres, qu'il est temps d'essayer autre chose. Outre que
cet argument revient à dire : l'air est pollué, j'arrête de respirer, il opère
de l'histoire une lecture très sélective. » :
Juste
pour sourire devant la logique de notre juriste, l’analogie ne tient pas. Ce
serait plutôt, l’air est pollué, j’essaie de mettre un masque, la pollution
illustrant l’état et le filtre ma liberté de m’y soustraire.
- « Les libertariens se réfèrent en effet généralement
à quelques exemples historiques bien précis d'ordre libertarien, comme l'Irlande
d'avant la conquête de Cromwell. Cette modestie les honore, car l'histoire est
riche d'une infinité d'ordres libertariens avant la lettre, aussi appelés «
états de nature ». L'on comprend bien entendu la réticence des libertariens à
se revendiquer de ces états de nature, dont l'Afrique actuelle nous offre
encore malheureusement de nombreuses illustrations, dans la mesure où ils se
caractérisent presque constamment par la guerre de tous contre tous, le plus
complet sous-développement et qu'ils aboutissent tout aussi invariablement à
l'institution de ce qu'il faut bien appeler horresco referens un État. » :
Ce n’est
pas un hasard si nous ne nous référons pas à l’Afrique par exemple, cela n’a
rien à voir avec de la modestie, mais avec la non pertinence de l’exemple.
L’Afrique ne connaît pas ou trop peu le droit foncier privatif. Trop souvent,
c’est un droit tribal socialisant. Tous ses maux en découlent et cet état de
nature là n’a rien à voir avec la société libre de demain.
Croyant
nous avoir amenés sur le terrain de la résurgence de l’état, il vient nous
contester les fondements du droit, à commencer par la Rule of Law. Ben voyons.
- « Du point de vue libertarien, ne mérite d'être
qualifié de droit qu'un ensemble de normes qui consacrent les droits qui appartiennent
à l'homme de par sa nature d'homme (M. Rothbard se revendique explicitement
dans sa démarche des théories jusnaturalistes d'Aristote et saint Thomas). Les
garanties minimales qu'offre la Rule of Law (État de droit) sont pour eux sans
intérêt dès lors que seraient même simplement limités leurs droits
fondamentaux. Quelles sont ces garanties minimales de l'État de droit
critiquées par les libertariens ? » :
En fait,
bonne question, il n’est que temps de se la poser après des pages de vomis sur
l’anarcapie. Mais s’il semble avoir lu Rothbard, il est surprenant qu’il n’en
ait pas tiré la réponse. Surtout qu’elle est très simple : égalité de tous
devant le droit naturel, c’est-à-dire devant le droit de propriété de son corps
et des fruits de son travail.
- « F.A. Hayek explique que l'État de droit possède
huit caractères : des lois non rétroactives, certaines, connues, l'égalité
devant la loi (c'est-à-dire des lois parfaitement générales, abstraites et
permanentes), un pouvoir judiciaire indépendant, une administration soumise à
des règles, un système juridictionnel de contrôle de la légalité des actes
administratifs et des décisions judiciaires et un Bill of Rights (Hayek est
trop conscient de la faiblesse du jusnaturalisme naïf pour donner des ces droits
une liste). Le principe d'égalité devant la loi (isonomie) qui fonde le concept
hayékien d'État de droit définit un idéal normatif - des lois parfaitement
générales, abstraites et permanentes - dont il est évident qu'il ne sera jamais
pleinement réalisé : le législateur doit y tendre. »
Là on
atteint un summum de mauvaise foi. Alors qu’on vient tout juste de critiquer
Rothbard, hop, tadaaaa, tour de passe-passe et voici Hayek qui apparaît. Or
l’Autrichien, pour respectable qu’il soit, n’a rien d’un anarcap jusnaturaliste
et il est donc tout sauf la bonne personne pour répondre à la question des
droits naturels.
On le
voit d’ailleurs à sa liste à la Prévert de droits naturels, absolument
incohérente :
-
L’égalité
devant la loi, eh bien ne relève pas du droit, mais de la justice, mais c’est
le terme que notre juriste emploie pour exprimer le besoin de lois réglementant
des actes et non des personnes.
-
Pouvoir
judiciaire et administration mis dans ce même sac, alors qu’ils sont des
organes régaliens et non des droits.
-
Idem
pour le système judiciaire et juridictionnel, ce dernier n’ayant aucun sens en
Libertalie, on l’a vu.
-
J’adore
aussi le jugement posé comme un axiome de la supposée naïveté du
jusnaturalisme, mauvaise foi je vous dis.
Et on
vient encore une fois me parler de libéralisme ? Mais ce plaisantin ne
s’est simplement jamais posé la question de ce qu’implique l’égalité de tous
devant le droit, ou alors ses facultés ne valent guère plus que celle de
Nanterre en plein Mai 68.
- « Cet idéal normatif n'exige pas que toutes les
normes étatiques soient générales et abstraites : un jugement, l'injonction
d'un agent de police sont des normes assorties de contrainte dont on ne voit
pas qu'elles puissent n'être pas individuelles . Ce que requiert en revanche l'isonomie
est que ces normes individuelles (ordres, commandements) soient conformes à des
règles préexistantes. Dans cette mesure, l'isonomie implique une hiérarchie de
normes. Lon L. Fuller précise que si les règles de droit sont appelées à
réguler effectivement les comportements, elles doivent en outre présenter les
caractères suivants : être compréhensibles, possibles, non
contradictoires. » :
On est
bien d’accord. Tout cela est vérifié par l’anarcapie, merci bien, il aurait
peut-être fallu commencer par là ?
- « Les caractères qu'Hayek et Fuller prêtent à l'État
de droit relèvent de deux registres : le format des normes proprement dites
(non rétroactives, certaines, connues, compréhensibles, non contradictoires,
possibles) et un format institutionnel : doivent exister des juridictions
indépendantes pour appliquer les normes aux sujets de droit, d'une part
; » :
Eh bien
non, voyez-vous. On mélange, comme au tout début, les fonctions et les organes.
Les normes, donc le droit, sont une chose. Les moyens des les assurer en sont
une autre. Ce qui compte pour l’état de droit, c’est que ces normes soient en
effet assurées, mais peu importe comment. Donc l’état de droit n’est pas ce
qu’en dit notre ami, du moins pas au minimum.
- « pour apprécier la légalité des actes de
l'administration et du pouvoir judiciaire, d'autre part. Ajoutons-y la
nécessité d'instituer une juridiction qui veille à la généralité des normes, et
l'on définira l'État de droit comme un État où la contrainte ne s'exerce qu'en
conformité avec des règles (normes générales, abstraites et permanentes) - non
contradictoires, possibles, compréhensibles, certaines, publiques et non
rétroactives - et des ordres (normes individuelles), consacrant le principe de
hiérarchie des normes et organisant la sanction matérielle de la violation des
règles générales de conduite par un pouvoir distinct et indépendant du pouvoir
normatif ; la conformité des ordres aux règles et le respect de la métarègle (généralité
des règles) sont contrôlés, par un (des) pouvoir(s) distinct(s) et
indépendant(s) du pouvoir normatif. » :
Tout
cela est donc inutile. Un point important cependant. On remarque que l’auteur
comme Hayek semblent incapables d’imaginer des mécanismes de contrôle autres
que des institutions disposant d’un « pouvoir ». Jamais ne leur vient
à l’idée que le marché puisse assurer ce contrôle sans pour autant ne créer de
pouvoir – autre que celui du consommateur, donc de tout le peuple.
Je saute
les quelques lignes suivantes, purement historiques et sans apport à notre
débat. Il conclut juste que, grande nouvelle, le despotisme se caractérise
par :
- « Un pouvoir arbitraire. Est arbitraire ce qui n'est
pas conforme à une règle préexistante. L'arbitraire de celui qui veut le bien
n'est pas moins arbitraire que l'arbitraire de celui qui poursuit un intérêt
particulier : l'arbitraire n'est pas une question morale. Arbitraire et
despotique sont synonymes. Est libre celui qui n'est pas soumis à la contrainte
d'autrui. La contrainte qui s'exerce de manière arbitraire est imprévisible et
inévitable. La contrainte qui s'exerce conformément à des règles préétablies
est prévisible et évitable. En tant qu'il permet d'éviter la contrainte, l'État
de droit est l'instrument de réalisation de la liberté individuelle. » :
C’est
très paradoxal cet extrait, et cela montre l’ampleur de l’écart d’analyse entre
nous. Je ne peux que souscrire à tout ce qu’il rappelle ici, bien évidemment.
S’il croit venir apporter un argument contre les libertariens, il se trompe
totalement.
- « Les libertariens s'inscrivent en faux contre cette
affirmation : mieux valent, du point de vue de la liberté, les injonctions
arbitraires d'un Souverain bien intentionné que les règles d'un Prince
totalitaire. William P. Baumgarth a thématisé cette critique dans le Journal of
libertarian studies. Rappelant que la distinction entre règles (normes
générales) et ordres (normes individuelles) est au centre du concept hayékien
d'État de droit, W. Baumgarth écrit : « constatant que même des règles
négatives peuvent être coercitives, nous devons nous demander si réellement
l'obéissance à des règles nous rend plus libres que l'obéissance à des ordres »
.
Or, F.A. Hayek le libéral a raison contre W. Baumgarth le
libertarien. » :
Outre
que la première phrase est fausse, on vient de le voir, où sont les arguments
s’il vous plait ? Pourquoi serait-ce forcément Hayek qui aurait raison,
alors qu’on vient de voir que rien n’est moins faux ?
Je saute
la suite sans intérêt pour me saisir de la prochaine phrase clé qui est on ne
peut plus symptomatique de son incompréhension de la société libre et de
l’anarcapie :
- « L'anomie n'existe pas dans les sociétés
humaines. » :
Je
renvoie le lecteur au début de cet article, où je rappelais que « on
reproche souvent aux anarcaps de vouloir le désordre puisqu’ils souhaitent
l’anarchie ; c’est confondre anarchie et anomie ». N’est-il donc pas
fantastique de prendre ainsi l’auteur en flagrant délit de cette confusion
alors qu’il la récuse lui-même ? Il se confirme donc bien que depuis le
début, notre ami n’a pas su voir que la Libertalie dispose des fonctions
« étatiques » et n’est donc pas sans règle si sans ordre, mais parce
qu’il n’y retrouve pas les organes ou institutions auxquels il est habitué, il
est perdu et ne sait plus voir les choses.
- « L'État de droit formel est une condition
nécessaire mais non suffisante de la réalisation de l'idéal de liberté. C'est
ce que n'ont pas vu les libertariens, tout à leur poursuite de la réalisation
absolue de leurs droits absolus. » :
Amusant
non de voir l’arroseur arrosé ?!
Reste un
passage qui, hors du bruit général se distingue un peu, qui ne mérite juste de
rappeler combien il confirme mes arguments précédents :
- « Comment en effet les règles en vigueur
pourraient-elles atteindre à un niveau acceptable de certitude quand le simple
fait de parcourir une rue expose le promeneur aux normes — en ce
compris le bon vouloir de despotes improvisés — de trente ordres
juridiques concurrents ? Comment et pourquoi les différents ordres juridiques
devraient-ils veiller à la non-contradiction de leurs normes ? » :
On a vu
que cette vision des choses ne repose sur aucune réalité et que l’argument est
vide de sens.
Mais voilà
que notre ami se croit en mesure de mettre en défaut Rothbard comme Hoppe. Moi
je dis qu’il mérite le Nobel. Ridicule.
La
partie sur Rothbard n’a en fait qu’un rapport très limité avec le sujet général
et à part lui reprocher de ne pas suivre Hayek, sa critique est bien vide – car
sur le être et devoir être, Hoppe est depuis largement passé par là pour
remettre tout en place…
Idem
pour Hoppe, l’auteur a en fait glissé dans son argumentaire de questions de
droit et d’institutions à la question de la morale, ce qui est totalement
orthogonal et sans rapport. Ne pouvant pas les contredire sur le droit, il part
sur la morale.
Pour
finir par dire une grosse bêtise au sujet de Hoppe :
- « Voilà certainement une tentative ingénieuse et
intéressante d'utiliser l'éthique de l'argumentation de Karl-Otto Apel et
Jürgen Habermas au service de l'axiome de M. Rothbard. Mais elle n'est pas
convaincante : que la pensée (éthique ou autre) suppose l'argumentation reste à
démontrer. » :
Eh bien
justement, c’est ce que Hoppe a démontré, la charge de la contre-preuve est
donc vôtre, cher ami. Et essayez donc de penser sans recours à la logique….
Il est
même carrément de mauvaise foi ici où il glisse un faux argument :
- « En outre, l'argumentation suppose sans doute le
contrôle d'une partie de mon corps et de l'espace où je me trouve, mais le
contrôle n'est pas l'appropriation . Serai-je considéré comme le « légitime
propriétaire » de tous les espaces où je me serai aventuré à causer avec autrui
? » :
Ce n’est
pas ce que suppose ou dit Hoppe, justement. Hoppe ne parle pas de l’espace,
seulement de son propre corps. Donc le contester en lui faisant dire des choses
qu’il ne dit pas semble un peu faible.
Nous
sommes dimanche matin, il me fatigue ce pseudo-libéral, je n’ai pas envie
d’aller plus loin. Je pense qu’on aura largement compris qu’il ne connaît pas
le sujet et raconte des bêtises, c’est tout ce que je voulais montrer.
1 comment:
interessant. L'auteur indique simplement sa préférence pour un ordre juridique tombé d'en haut, et non pas pour des contracts formés librement, sur mesure.
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