Bien souvent
lors de débats avec des personnes n’ayant pas encore pris la complète mesure du
caractère inique du droit sous lequel nous vivons, ou celui d’autres pays dits
démocratiques, l’argument de l’existence et du rôle de la constitution m’est
servi comme un couperet, un rideau de final après moult rappels des vedettes, une
pirouette.
L’existence ou
la mise en place d’une constitution dans un pays qui le plus souvent prend aussi
des allures démocratiques serait une, si ce n’est la, garantie ultime que ledit
pays est raisonnablement soucieux du bonheur et de la liberté de son peuple.
Pourtant, si c’est aussi clair, aussi limpide, une question me tracasse depuis
l’enseignement secondaire…
Pourquoi n’y
a-t-il pas deux pays avec des constitutions identiques ? Ou même presque
identiques ? La liberté n’est-elle donc pas la même partout ?
Les
Etats-Unis, que je sache le pays à la plus ancienne constitution – le Royaume-Uni
ne dispose pas d’une constitution à proprement parler – sont sans doute depuis
le premier jour la référence en matière de constitution, directement inspirée
des Lumières et présentant les critères théoriques de « bonne constitution ».
Concise. Concentrée sur les fonctions d’un pouvoir régalien minimal. Au profit
de la liberté du peuple et de sa
recherche du bonheur. Elle a la réputation d’un bijou, qui d’ailleurs est exposé
comme tel.
A part les
points spécifiques liés aux particularités géographiques et historiques américaines
– les états et de manière générale l’organisation de la fédération – cette constitution
semble a priori un modèle qu’on
serait en droit d’espérer retrouver en tête du droit de toutes les démocraties du
monde ou presque.
Pourtant la France
elle-même est loin d’avoir suivi ce modèle. Depuis 1800 et l’après-révolution,
nous avons quand même réussit à écluser neuf régimes avant l’actuelle Veme République !
(Consulat, Premier Empire, Restauration, Monarchie de Juillet, IIeme République,
Second Empire, IIIeme République, Etat Français, IVeme République) Notre
constitution actuelle fait d’infinies circonvolutions pour légitimer une
continuité du droit remontant à la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789.
Mais ce ne sont
pas tant les soubresauts historiques qui me choquent que leur impact sur le
texte et sa logique. Je me bornerai à prendre l’exemple connu de la bascule de
la IVeme à la Veme République. Comment peut-on ainsi passer d’un régime aussi
parlementaire à un régime aussi « présidentiel » ? (Terme élégant
pour ne pas dire « monarchique ».) D’autant que la Veme a depuis
encore évolué vers une totale absence de séparation des pouvoirs et une assemblée
nationale à la botte du gouvernement. La IVeme avait à mon avis un avantage
essentiel qu’a perdu la Veme. Son
instabilité freinait sa capacité à légiférer à revers de bras, ce que par
contre la Veme autorise, suite à la disparition des oppositions des pouvoirs.
Ce genre de dégénérescence
lente du droit est inhérent à la démocratie. On y part sur une base
relativement saine, et peu à peu la liberté est érodée par le peu d’état en
place qui la grignote peu à peu. On finit deux siècles plus tard avec un féodalisme
oligarque qui se cache derrière une constitution prétexte devenue feuille de
vigne de l’état corrompu.
Les Etats-Unis
sont d’ailleurs eux aussi un indice flagrant de cette tendance. Depuis sa
publication en 1776, leur constitution a subit pas moins de 27 amendements. Dont
un, le 21eme, qui n’a servi qu’à en abroger un précédent – le 18eme sur la
prohibition. Le dernier date de 1992, bien que sa proposition d’origine remonte
à 1789, et protège… la rémunération des membre du congrès. Ainsi, même aux
Etats-Unis, la constitution évolue, assez souvent, et pas forcément en bien.
On est
pourtant en droit de se demander ce qui peut faire que le droit et ses
institutions, valables à un moment et assez longuement, ne le seraient soudain
plus demain ? Pourquoi le droit fondamental devrait-il évoluer ? Et
pourquoi les tentatives des différents pays ne convergent-elles pas vers un même
modèle fruit des « meilleures pratiques » ?
Deux autres
pays paraissent intéressant à considérer sur ce sujet car, même si on en a peu
parlé dans la presse – c’est beaucoup moins intéressant qu’une bonne vieille
coupe d’Europe – ils ont tous deux connu un changement récent de constitution.
En premier je
prendrai le Maroc, qui, il y a environ 18 mois, a adopté par suffrage le texte
publié ici.
La première
chose qui frappe dans ce texte, c’est sa longueur : pas moins de 180 articles,
là où l’américaine n’en compte que 25 (articles et sections). Une rapide sélection
d’article montre que cette constitution est pour le moins contestable et donne
tous les signes d’un texte qui va bien au-delà du rôle d’une constitution. Examinons-les
rapidement.
Article 1er : « La
nation s’appuie dans sa vie collective sur des constantes fédératrices, en l’occurrence
la religion musulmane modérée, l’unité nationale aux affluents multiples, la
monarchie constitutionnelle et le choix démocratique. L’organisation
territoriale du Royaume est décentralisée, fondée sur une régionalisation
avancée. »
Dans cet
article et dans plusieurs autres, on parle de « nation », et non de « peuple ».
Il est bien connu que la constitution américaine commence par « We, the People… ».
Confondre ou amalgamer peuple et nation, ou plus simplement ne pas choisir « peuple »,
est une grave distorsion, à mon sens. Car évoquer le peuple montrerait une
volonté, un rôle strictement juridique à cette constitution, traitant tous les
individus du pays comme égaux devant le droit, par leur seule présence sur le
sol du pays.
Mais prendre la
« nation » comme référence est beaucoup plus biaisé. J’ai abondamment
écrit, y compris dans « Libres ! », pour contester ce terme pour
moi fallacieux car indéfinissable. Il est porteur de critères discriminants –
on est de la nation ou en n’en est pas – et cela de manière indéfinie, ce qui
ouvre la porte à l’arbitraire. Cette constitution sous-entend-elle qu’elle
pourrait ne pas s’adresser aux habitants du Maroc qui ne feraient pas partie de
sa « nation » – à commencer par ses immigrés ?
Article 2 : « La
souveraineté appartient à la nation qui l’exerce directement par voie de
référendum et indirectement par l’intermédiaire de ses représentants. La nation
choisit ses représentants au sein des institutions élues par voie de suffrages
libres, sincères et réguliers. »
Même remarque
que précédemment sur la « nation ». Ce qui est choquant ici, c’est le
besoin de préciser que les suffrages pourraient être autre chose que « libres,
sincères et réguliers ». Car si le risque existe en effet de fraude en
matière d’élections, n’est-ce pas justement le rôle de la constitution de prévoir
les mécanismes pour assurer la maîtrise de ce risque ? Si ça va de soi, pourquoi
un tel verbiage qui peut être lu dans l’autre sens ?
Article 15 : « Les
citoyennes et les citoyens disposent du droit de présenter des pétitions aux
pouvoirs publics. Une loi organique détermine les conditions et les modalités
d’exercice de ce droit. »
Derrière un
article qui pourrait sembler positif, trois choses pourtant. Tout d’abord,
pourquoi parler des pétitions ? Ne seraient-elles sinon un droit naturel d’expression ?
Ensuite, viennent-elles court-circuiter la démocratie représentative ? Une
chose qui justement aurait été intéressante de prévoir ici touche aux principes
des modalités. Pour par exemple poser ou pas le principe de garantir que les questions
posées feraient l’objet d’une réponse systématique de la part du gouvernement
dans les 3 mois après dépôt. Sans plus de corps, un tel article reste vide.
Article 20 : « Le droit à
la vie est le droit premier de tout être humain. La loi protège ce droit. »
On pourrait se
demander pourquoi un tel article ne vient pas en premier. Mais surtout, en quoi
la loi peut-elle protéger la vie ? Pourra-t-on lire plus tard un tel
article comme signifiant que se nourrir est un droit que le pouvoir doit garantir
au peuple, qui est dès lors en droit d’attendre son pain quotidien des services
publics ? On voit combien une phrase anodine peut-être rendue perverse…
Article 31 : « L’Etat, les
établissements publics et les collectivités territoriales œuvrent à la
mobilisation de tous les moyens à disposition pour faciliter l’égal accès des
citoyennes et des citoyens aux conditions leur permettant de jouir des droits :
. aux soins de santé,
. à la protection sociale, à la
couverture médicale et à la solidarité mutualiste ou organisée par l’Etat,
. à une éducation moderne,
accessible et de qualité,
. à l’éducation sur l’attachement à
l’identité marocaine et aux constantes nationales immuables
. à la formation professionnelle et
à l’éducation physique et artistique,.
. à un logement décent,
. au travail et à l’appui des
pouvoirs publics en matière de recherche d’emploi ou d’auto-emploi,
. à l’accès aux fonctions publiques
selon le mérite,
. à l’accès à l’eau et à un
environnement sain,
. au développement durable. »
Pour finir sur
le Maroc, je vous propose ce bijou. Voilà que la constitution elle-même instaure
la santé, la protection sociale et même le logement comme des droits, que le
pouvoir doit assurer. Rappelons que tous ces domaines relèvent en réalité de la
stricte économie et que donc la bureaucratie, comme on le constate amèrement en
France, sera bien incapable d’assurer de tels services au peuple, du moins de
manière « juste ». Ce sera au contraire une magnifique source de
corruption.
On le voit –
et il faudrait analyser les 180 articles pour l’illustrer jusqu’au bout, cette
constitution marocaine est loin d’être sans défaut, et surtout, traite de
sujets peu compatibles avec une réelle et simple garantie du droit et de la
liberté. Pourquoi ne pas être simplement repartis de l’américaine ?
Un autre pays
a fait parlé de lui il y a peu en matière de constitution : l’Islande – la
vidéo ci-contre apporte un éclairage – non sans biais, il est vrai.
Dans cette
histoire, ce qui me frappe, c’est ce processus de refonte de la constitution. On
se gausse d’un soi-disant processus démocratique pour choisir un collège supposé
compétent parce qu’élu pour promouvoir une constitution qui serait de ce fait
bonne pour le peuple puisque conçue par lui.
Ce type de
raisonnement est typique de ce que Hans-Hermann Hoppe appellerait le phénomène
de décivilisation de la démocratie. (*) Aucune élection n’a jamais rendu
quiconque compétent, surtout en matière juridique. Un tour de vote et hop !
voilà nos pauvres islandais soumis eux aussi à un texte qui n’a aucune chance d’être
une constitution « idéale ».
Et cela n’a
pas loupé. Le nouveau texte est accessible ici. Fort de 79 article, voilà à nouveau une approche verbeuse du droit fondamental.
Il est vrai que le plus gros du texte décrit les processus législatif et exécutif,
mais on trouve néanmoins quelques articles qui posent vraie question.
Article 59 :
The organization of the judiciary can only be established by law.
C’est bien
dommage. Les deux autres pouvoirs seraient ainsi assez important pour justifier
d’être constitutionalisés, mais pas le pouvoir judiciaire ? C’est oublier
que normalement, le seul rôle de « l’état de droit », c’est précisément
la justice. Et que cet article la remet dans les mains des députés au lieu de
le figer dans le marbre.
Article 62 :
The Evangelical Lutheran Church shall be the State Church in Iceland and, as
such, it shall be supported and protected by the State.
Tant pis pour
la séparation de l’église et de l’état et surtout pour les impôts à payer pour
l’entretien du clergé, y compris par les non-croyants…
Article 67 :
No one may be deprived of his liberty except as permitted by law. Any person
deprived of his liberty shall be entitled to be informed promptly of the
reasons for this measure.
Oui, vous avez
bien lu. En gros, on est libre, sauf quand la loi en décide autrement. C’est l’exemple
parfait de clause contraire à l’esprit même, au rôle d’une constitution. Et ce
n’est pas le seul article, il y a l’équivalent en matière de vie privée et d’intimité :
Article 71 :
Everyone shall enjoy freedom from interference with privacy, home, and family
life. […] Notwithstanding the provisions of the first paragraph above, freedom
from interference with privacy, home and family life may be otherwise limited
by statutory provisions if this is urgently necessary for the protection of the
rights of others.
Alors, que
conclure de ce rapide tour d’horizon ? Clairement qu’une constitution ne
sert à rien, puisque de toute façon elle est dans les faits peu à peu érodée.
Et je n’ai pas ici étudié le nombre d’exemples qu’on peut trouver où des lois
inconstitutionnelles ont pourtant été validées – tel l’Obamacare il y a
quelques mois aux Etats-Unis.
Voire même qu’une
constitution peut être la porte ouverte à l’inverse du droit tel que le bon
sens nous le fait percevoir – ce que tout libertarien reconnaît dans le « droit
naturel ». On a vu les exemples marocain et islandais, mais les régimes présidentiels
français et américain nous illustrent chaque jour combien eux aussi sont éloignés
du droit naturel.
Tout libéral
devrait le reconnaître, se l’avouer à soi-même avant de le rappeler autour de
lui. La liberté n’est pas protégée par la constitution, c’est même tout le
contraire. La liberté passe par l’adoption d’un régime où ce concept vide n’aura
enfin plus sa place, pas plus que celui de démocratie…
(*) Dans son essai « On the Impossibilityof Limited Government and the Prospects for a Second American Revolution »,
« Sur l’impossibilité d’une administration limitée et les perspectives d’une
seconde révolution américaine »,
au chapitre III, H-H.Hoppe critique le concept même de la constitution américaine,
constatant son échec à résister à la dérive de l’état.
1 comment:
l'article 20 est en fait une disposition anti-avortement et anti-euthanasie/suicide assisté, à mon avis. c'est en tout cas dans ce sens là que l'expression est le plus souvent comprise
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