Il y a
longtemps que le débat fait rage entre les free
bankers et les autrichiens sur la réserve fractionnaire. J’y ai moi-même modestement
contribué sur le Net. J’aimerais y mettre ici un peu de sel pour le relancer.
Mais peut-être
devrais-je commencer par rappeler le sujet et les thèses des opposants en présence.
Nous parlons de la réserve fractionnaire. Donc de banque. Lorsqu’on dépose une
somme en banque, disons 100 euros, on s’attend à en rester propriétaire et que
le banquier en prenne soin, qu’il les protège du vol, notamment. Sinon, autant
les laisser sous le matelas. C’est la vision
traditionnelle de la banque et aussi de la monnaie. Une banque de dépôt,
comme son nom l’indique, se comporte comme un dépôt, un entrepôt de monnaie,
constitué à chaque instant de la somme des dépôts de l’ensemble des clients,
qui restent propriétaires de ces montants. Tout autre schéma serait frauduleux.
Et pourtant,
nos banques aujourd’hui ne fonctionnent pas ainsi. Lorsqu’on y dépose nos sous,
nous en perdons la propriété. Oui, oui,
vous avez bien lu. Lisez donc en bas, en petit, de votre contrat bancaire. Dès
lors, le banquier peut s’amuser, il peut utiliser nos sous pour proposer des crédits.
Je simplifie un peu, car le crédit vient aussi de la création monétaire, mais
en essence, c’est ce qu’il se passe réellement. Ce qui veut dire que de mes 100
euros, il en a tiré disons 50 pour les prêter à mon voisin – et nous voilà avec
150 euros alors qu’on n’en avait que 100 au départ. Mais ces 50 euros prêtés,
bien évidemment ne sont plus dans les caisses, donc en réalité il n’y a bien
que 100 euros en circulation, même s’il y en a 150 en comptabilité. Mais et si
je veux mes 100 euros tout de suite, en même temps que tout le monde ? Eh bien la banque fait faillite.
En fait, tout est fait pour que ce cas soit rare et la réglementation
bancaire prévoit quelle part maximum des 100 euros peut être prise par le
banquier pour prêter. Le reste constitue la réserve, pour permettre d’honorer
les demandes de retrait à vue. On parie que tout le monde ne demandant pas à retirer
son solde en même temps, la banque pourra répondre aux quelques retraits juste
avec cette réserve. On appelle réserve fractionnaire le fait même que la réserve
puisse ne pas être de 100% des dépôts. A l’origine, le taux de réserve était
assez haut, mais il s’est érodé avec le temps, pour permettre aux banquiers de prêter
toujours plus. De nos jours, des taux de
1% sont fréquents – ce qui veut dire qu’il ne reste en caisse qu’un seul euro
sur les 100.
Cette pratique
est largement contestée, on en comprend facilement le caractère abusif – prêter
avec l’argent des autres sans leur autorisation et sans même les rémunérer.
Cela va plus loin. Car la possibilité de réserve fractionnaire est à la base de
la monnaie fiduciaire et de la création monétaire via les banques centrales.
Donc à l’origine de la possibilité d’inflation de la masse monétaire et donc d’appauvrissement
des peuples et d’enrichissement des privilégiés par effet Cantillon. Autre vaste
source de fraude, donc.
Cette
contestation est l’essence de la ligne Mises – Rothbard – Hoppe – Hülsmann,
dont je suis depuis toujours le défenseur. Elle repose sur une vue monétaire
classique qui assimile les billets de banque et autres reçus de dépôt à des
titres de propriété, et sur le principe
aristotélicien d’unicité du propriétaire comme du titre. Mais les free bankers voient les choses
autrement.
Les free bankers ne contestent pas vraiment
cette vue des choses, leur argument de fond est d’un autre niveau. Ils
commencent par prendre acte de l’existence de la réserve fractionnaire. Soit. La
tentation du banquier est un fait historique et il est vrai que se rapprocher
de la réalité est un des principes guidant le développement de l’école
autrichienne. Entérinons donc l’existence comme la possibilité – même si
immorale – de la réserve fractionnaire.
Pour ensuite
faire remarquer que dans un tel système, les billets de banque ne sont plus des
certificats de dépôt d’une somme dont on conserverait la propriété, mais une
reconnaissance de dette de la banque envers son client. Autrement dit, ils
actent d’un changement radical de base juridique du système bancaire et de la
monnaie. On pourrait passer des heures sur la validation éthique de ce point –
j’y ai moi-même passé des heures de débat. La légitimité selon les free bankers vient du marché : si
le marché accepte ce système par rapport à un système monétaire classique, où est
le problème éthique ?
Ces longs préliminaires
terminés, j’en viens peu à peu au sujet. Pour un « autrichien » pour lequel l’or
est la seule monnaie, il faut radicalement changer de paradigme pour absorber cette
vision où la réserve fractionnaire devient possible. En fait, je pense que pour
mieux voir les choses, il faut revenir sur ce qu’est la monnaie. La monnaie est
de la richesse future. Elle est destinée à gérer un risque commercial, celui de
perdre le pouvoir d’achat, la richesse future, acquis lors des transactions précédentes.
La monnaie est donc un instrument de gestion du risque, chose qu’on ne dit pas
assez et que même Rothbard n’exprime pas – c’est logique, il est sur un modèle éthique
donc binaire.
A partir du
moment où on voit que la monnaie est de l’ordre du risque, on peut imaginer des
monnaies d’infinie variété sur ce critère. C’est la base du free banking. On peut bien émettre tout
et n’importe quoi comme monnaie, une monnaie « saine » (qui repose
sur la vision traditionnelle de banque de dépôt) ou une monnaie qui repose sur
une réserve fractionnaire, ou autre. Pour les free bankers, à partir du moment où le client n’est pas ignorant
des choses et que c’est lui donc le marché libre qui choisit, il n’y a pas de
problème. Je pense en effet qu’ils ont raison sur ce point. La vision monétaire des free bankers est plus générale et plus réaliste que celle de la
monnaie saine, c’est peu discutable. Le concept est plus pertinent.
Mais je reste
persuadé qu’ils ont tort sous l’angle économique à terme. Car que va-t-il alors
se passer ?
Voyons la
situation. Nous sommes sur un marché où sont en présence plusieurs monnaies,
librement. Certaines sont des monnaies émises
par des banques – ou cartels – qui pratiquent la réserve fractionnaire, donc
dont la monnaie associée est porteuse d’un double risque, un risque de faillite
(dt de bank run) et un risque en
rapport direct avec le taux d’inflation résultant du taux de réserve. D’autres
sont des monnaies saines, ou presque saines. Les presque saines sont des
monnaies qui par exemple ont une très forte réserve, où disons 98% des dépôts
sont garantis et où seuls 2% des fonds servent au crédit. Bref, tous les cas de
figure sont possibles.
Mais dans ce
cas, sur un marché libre, la loi de Gresham inversée va se mettre à l’œuvre. Et donc il y a
fort à parier qu’entre une monnaie à forte exposition et une monnaie saine, ce sera la monnaie saine qui résistera. Certains m’objecteront que les monnaies seront
plus sophistiquées que cela. On imagine des monnaies faites de « paniers
de commodités », dont la valeur intrinsèque ferait l’intérêt. Mais quel intérêt
qui serait si différent de l’achat des mêmes commodités avec une autre monnaie (saine) ?
Bref, si je
comprends et j’admets que la monnaie doit effectivement être envisagée de manière
plus large et comme un instrument financier de gestion du risque, il me semble
que cela ne change rien sur l’essentiel, à savoir qu’une monnaie saine reste
une monnaie saine, c’est-à-dire une monnaie qui ne repose pas et ne subit pas
de réserve fractionnaire. Et que sur le long terme, il n'y a que les - que dis-je, la - monnaie saine qui restera.
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