Suite à des suggestions
passées mettant en avant le rôle supposé de l’entropie en économie, j’ai entrepris de m’intéresser à Nicholas
Georgescu-Roegen, via son ouvrage « majeur », « La décroissance ».
Je ne sais si
je poursuivrai, mais dans un premier temps, je me suis limité à l’analyse
critique de son premier chapitre, dans la mesure où celui-ci pose le cadre théorique
de sa pensée. Et que si ce qu’il y expose est erroné, il y a peu d’espoir que
le reste ne soit pas de même nature.
Or la
conclusion est selon moi très claire : l’entropie
n’apporte rien de nouveau au débat.
Voici donc ce
travail, où comme souvent je reprends les phrases de l’auteur qui me semblent déterminantes,
pour les éclairer selon ma compréhension « autrichienne » (que j’espère
fidèle) de la réalité économique.
Bonne lecture.
--------------------------------------------------------------------------------
Chapitre I - La
loi de l'entropie et le problème économique
Partie I
« Et bien que la science économique ait beaucoup
avancé depuis lors, rien de ce qui est intervenu n'a fait dévier la pensée économique
de l'épistémologie mécaniste qui était déjà celle des ancêtres de la science
économique orthodoxe. Preuve en soit - et elle est éclatante – la représentation
dans les manuels courants du processus économique par un diagramme circulaire
enfermant le mouvement de va-et-vient entre la production et la consommation
dans un système complètement clos. »
On comprend
tout de suite que l’auteur ne connaissait pas l’école autrichienne d’économie (EAE)
lorsqu’il écrivit cet ouvrage. A sa décharge, ce qu’il avance est juste s’agissant
des écoles « orthodoxes », mais ses critiques ne s’appliquent pas à l’EAE.
On peut même dire que celle-ci met largement à mal les thèses de l’auteur.
Complétons
pour le béotien en indiquant que l’EAE introduit en autres le temps dans son
analyse et qu’elle affirme ainsi l’absence de circuit fermé dans la réalité économique.
Pour finir, il faut savoir que les ouvrages majeurs de l’EAE étaient tous publiés
plus de 15 ans avant la publication de La Décroissance.
« Toute l'histoire économique de l'humanité
prouve sans contredit que la nature elle aussi joue un rôle important dans le
processus économique ainsi que dans la formation de la valeur économique. Il
est grand temps, me semble-t-il, d'accepter ce fait et de considérer ses
conséquences pour la problématique économique de l'humanité. »
Nous commençons
tout de suite par une affirmation qui est contredite par la vision économique.
La Nature n’est pas active et ce n’est pas elle qui détermine la valeur économique
des choses. Celle-ci est subjective et n’est directement liée ni au travail ni à
la matière elle-même.
Pascal Salin
nous éclaire ainsi dans Libéralisme : « C'est donc à tort
qu'on accorde de l'importance à la possession de ressources naturelles pour
évaluer les possibilités de développement d'une société. On peut d'ailleurs
même dire, comme l’a si admirablement montré l'économiste Julian Simon, que les
ressources naturelles n'existent pas. En effet, elles ne jouent aucun rôle
économique, c'est-à-dire qu'elles ne répondent à aucun besoin humain, aussi
longtemps que quelqu'un n'a pas inventé une utilisation de ces ressources. Les
vraies richesses ne sont pas matérielles et physiques, elles sont subjectives
et les objets matériels ne sont qu'un support éventuel de l'activité
intellectuelle et de l'action humaine. »
Partie II
« Que fait alors le processus économique ? […]
Comment est-il possible que l'homme produise quelque chose de matériel étant
donné qu'il ne peut produire ni matière ni énergie ? »
Voilà résumée
toute la confusion pseudo-économique qui sous-tend ce texte. La production économique,
peut, en effet valoriser de la matière physique pour la transformer en un
produit commercial et donc économique. Mais tout d’abord ce n’est qu’un cas
particulier, une part très significative de la production économique reposant
sur les services dont beaucoup sont totalement abstraits et virtuels – comme l’enseignement
des mathématiques ou de l’économie par exemple. Ensuite, la matière est comme
le travail, un facteur de production primaire mais qui n’a pas de valeur en
soi. Ni même de coût en elle-même. Son coût maximum est le coût d’opportunité lié
au temps d’extraction et de transformation – les gains perdus à ne pas tenter
une autre activité à la place, par exemple en remplaçant le matériau M par un
autre A. Ce coût peut tendre arbitrairement vers zéro avec l’industrialisation.
Donc la matière n’a pas de rôle économique propre, sauf à être vendue. Et même dans
ce cas, la valeur n’est pas intrinsèque mais issue du travail d’extraction et
de distribution.
« Nous pouvons espérer que même les partisans
les plus acharnés de la thèse selon laquelle les ressources naturelles n'ont
rien à voir avec la valeur finiront par admettre qu'il y a une différence entre
ce qui est absorbé dans le processus économique et ce qui en sort. Et cette
différence, bien sûr, ne peut être que qualitative. »
Bien évidemment
qu’il y a ce qui entre en production et ce qui en sort. A noter que le terme de
processus économique ne veut rien dire. Il n’y a que production, puis échanges
et usages, pour finir avec rebus ou recyclage. La matière n’entre en jeu que lors
de la production et enfin en mise au rebus. Mais il n’y a aucune raison que pour
la différence entre entrée et sortie soit significative et même simplement
mesurable. Quelle en serait l’unité ?
« L'économiste non orthodoxe que je suis
ajouterait que ce qui entre dans le processus
économique consiste en ressources naturelles de valeur et que ce qui en est
rejeté consiste en déchets sans valeur. »
Non. On vient
de le voir, la valeur n’est pas préalable à la production économique, mais strictement
postérieure, comme résultat. Par contre, l’auteur glisse ici une nouvelle
erreur majeure, celle de ne voir en sortie que des déchets sans valeurs. Or ce
qui est déchet au sortir aujourd’hui d’une technologie peut devenir demain matière
en entrée d’une nouvelle technologie. La notion de déchet n’est donc elle aussi
que relative et on verra l’importance de cette subtilité.
« Or, cette différence qualitative se trouve
confirmée, quoique en termes différents, par une branche particulière et même
singulière de la physique connue sous le nom de thermodynamique. Du point de
vue de la thermodynamique, la matière-énergie absorbée par le processus
économique l'est dans un état de basse entropie et elle en sort dans un état de
haute entropie. »
Il y a une
manière simple d’expliquer ce phénomène sous l’angle strictement économique. Le
processus de production prend de la matière en entrée, par exemple un tronc d’arbre.
Il le transforme sous une forme plus commercialisable, y intégrant de l’énergie
et du savoir-faire. Le tronc est transformé en planches par exemple. Ce
faisant, il reste des déchets. Ces déchets, ici des copeaux et de la sciure, coûteraient
trop cher à exploiter comme planches – on pourrait imaginer les coller, comme
il est fait pour le lamellé-collé, mais est-ce rentable dans ce cas ? Par
contre, ils peuvent être recyclés en chauffage, usage à très faible valeur
ajoutée à mais coût quasi nul. On peut donc avancer que la notion d’entropie en
économie est tout simplement analogue à celle du coût énergétique de
transformation de la matière première. Et elle seule. Soit.
« Tout élément. par lequel l'homme cherche à
entrer mentalement en contact avec la réalité ne peut être
qu'anthropomorphique. »
Phrase
bizarre, sans rapport avec le sujet, et de plus fausse : la physique quantique,
où les particules n’ont qu’une probabilité d’être ici ou ailleurs, n’a pas grand-chose
d’anthropomorphique.
« Car ce fut bien la distinction économique
entre les choses ayant une valeur économique et les déchets qui suggéra la
distinction thermodynamique et non point l'inverse. En effet la science de la
thermodynamique est née d'un mémoire de 1824 dans lequel l'ingénieur français
Sadi Carnot a étudié pour la première fois l'économie des machines à feu. La
thermodynamique a donc débuté comme une physique de la valeur économique et
elle l'est restée en dépit des nombreuses contributions ultérieures, d'une
nature plus abstraite. »
Hélas, le
terme « physique de la valeur » ne veut absolument rien dire. La
valeur est une notion individuelle, subjective et impalpable, qui ne se met pas
en lois comme le peut la physique.
Partie III
« La référence à un système clos est
fondamentale. »
Certes. Mais
en matière écologique, ce système clos ne peut être que la planète dans son
ensemble. Or avons-nous avec la Terre affaire à un système clos ? Elle émet
de l’énergie dans l’espace et surtout elle en reçoit du Soleil. Est-on donc sûr
dès le départ de la validité des hypothèses physiques ?
« La vérité est que tout organisme vivant
s'efforce seulement de maintenir constante sa propre entropie. Et dans la
mesure où il y parvient il le fait en puisant dans son environnement de la
basse entropie afin de compenser l'augmentation de l'entropie à laquelle son
organisme est sujet comme tout autre structure matérielle. Mais l'entropie du
système total, constitué par l'organisme et son environnement ne peut que
croître. En réalité, l'entropie d'un système croît plus vite s'il y a de la vie
que s'il n'y en a pas. »
Si on considère
que l’entropie mesure le coût énergétique de l’accroissement de l’ordre (au
sens de la sophistication) des choses économiques, l’auteur a raison dans son
analyse et dans sa conclusion – la vie accroît constamment l’entropie – puisque
la vie apporte l’évolution vers un ordre supérieur. Le désordre des Déchets naît
de l’ordre de la Vie. C’est notre prix à payer sur cette Terre.
Mais une première
question interpelle : depuis les millions d’années que la Vie existe sur
Terre, le nombre quasi astronomique d’êtres vivants ayant foulé ce sol, comment
se fait-il que cette croissance de l’entropie, qu’ils ont donc eu eux aussi à affronter,
ne les ait pas tous décimés avant même notre apparition ? Pourquoi ce
problème de la limite des ressources que l’entropie serait supposée cristalliser
nous serait-il réservé à nous, pauvre peuple maudit ?
En fait, c’est
le propre de la Vie de constamment se complexifier, les molécules ayant donné les
cellules et les bactéries protozoaires, puis les polyzoaires, le plancton, les
vers et peu à peu les formes plus complexes de vie jusqu’aux mammifères et
nous-mêmes. Le fameux pétrole dont nous dépendons n’est autre qu’un résidu de
ces vies passées qui elles-mêmes dépendaient de formes plus primitives. On peut
donc penser que la Vie a connu des crises depuis toujours, chaque fois que sa
complexité relative lui faisait toucher les limites des ressources terrestres qu’elle
pouvait absorber à ce stade là. Peut-être pas toujours mais sûrement déjà de
nombreuses fois.
Mais jusqu’ici
Elle s’en est toujours sortie en se complexifiant, la complexification lui
permettant de diversifier ses ressources primaires, ou de les compléter par des
ressources plus riches – les déchets primaires. L’Homme par exemple est le seul
animal qui mange à peu près n’importe quoi et ce n’est pas un hasard : se
nourrissant de vies plus sophistiquées que le simple plancton, il absorbe de l’ordre
à moindre coût – c’est un facteur majeur de sa survie et de son développement.
Pour revenir à
l’entropie, la question de fond n’est donc pas tant que l’Homme la fait croître
et ainsi réduit peu à peu son espérance de survie. Même en partie compensée par
le rayonnement solaire, l’entropie est indiscutablement limitée. Il y a
un point où le coût d’absorption des ressources sera supérieur au gain que l’Humanité
en attend, c’est certain. Et alors ?
Pour un Décroissant,
la seule réponse est : il nous faut nous auto-restreindre. Pour un Libéral,
la vraie question c’est plutôt comment organiser la société pour que ce point
soit le plus éloigné possible. Car on ne saurait sacrifier la Vie aujourd’hui
pour une Vie demain dont on ne sait si Elle n’aura pas su franchir un nouveau
seuil de complexité. A nous de l’y préparer.
« L'entropie du métal qu'est le cuivre est
plus basse que celle du minerai dont il est extrait mais cela ne signifie pas
que l'activité économique de l'homme échappe à la Loi de l'Entropie. »
Je ne dirais
pas qu’elle y échappe, en effet. Je dirais ce que j’ai énoncé plus haut :
l’entropie n’est rien d’autre que le coût énergétique associé à la production primitive
de valeur c’est-à-dire à l’entrée de la matière dans le domaine de l’ordre et
de la complexité humaine. Mais économiquement, ce n’est rien d’autre. Une part
de plus en plus grande de l’économie se passe sans accroissement d’entropie.
« Le raffinage du minerai est plus que
compensé par l'accroissement de l'entropie de l'environnement. Les économistes
aiment à dire que l'on ne peut rien avoir pour rien. »
Nous sommes
donc d’accord.
« La Loi de l'Entropie nous enseigne que la
règle de la vie biologique et dans le cas de l'homme, de sa continuation
économique, est beaucoup plus sévère. En termes d'entropie, le coût de toute
entreprise biologique ou économique est toujours plus grand que le produit. »
Ici par
contre, il commet une nouvelle erreur. Il croit pouvoir parler de la valeur du
produit et la comparer avec l’entropie, coût du façonnement de la matière. Il
oublie que la valeur ne se mesure pas. Elle est subjective, propre à chacun et
totalement impalpable. Croire de ce fait que l’entropie finira par l’emporter
sur la valeur de la production est un non-sens. Du fait de la complexification
biologique et sociale constante, l’Homme va vers un avenir lointain où l’entropie
ET la valeur de sa production seront toutes deux « infinies » - je
simplifie par souci pédagogique.
Partie IV
« Ce que nous avons dit plus
haut du processus économique, à savoir que, d'un point de vue purement
physique, il ne fait que transformer des ressources naturelles de valeur (basse
entropie) en déchets (haute entropie) est donc parfaitement établi. »
Pas tout à fait,
Monsieur. Le « que » restrictif est en trop. En effet, l’économie
transforme vers une entropie supérieure. Mais c’est en sortie seulement que la
valeur est créée. L’accumulation de valeur – donc de capital – depuis des générations
conduit à complexification de notre société, par exemple à sa progression
technologique. Et c’est cette complexification qui nous permet d’aller chercher
des niveaux supérieurs de basse entropie pour ainsi repousser les limites.
L’auteur
commet donc ici deux nouvelles erreurs, une théorique et l’autre économique. L’erreur
théorique consiste à oublier – involontairement ? – de dire que sa notion
de haute ou basse entropie n’est jamais absolue, mais relative. La haute
entropie issue des forêts primitives a produit le pétrole. Ce niveau d’entropie
nous est bien plus tard devenu un niveau bas que nous avons su transformer vers
une entropie encore plus haute. Seconde erreur, il oublie la technologie. On le
voit, il ne suffit pas de mettre en avant une entropie haute. Car demain, la
technologie permettra peut-être de la voir comme une entropie relativement
basse.
« Il y a plusieurs leçons à tirer de
cette analyse. La première, c'est que la lutte économique de l'homme se
concentre sur la basse entropie de son environnement. La seconde, c'est que la
basse entropie de l'environnement est rare. »
Il commet la même
erreur une fois de plus de ne pas relativiser ses propos. La basse entropie est
effectivement la première cible, mais le niveau de cette basse entropie monte
avec le temps et la technologie. Et si en effet un même niveau de basse
entropie se raréfie constamment, ce n’est pas grave tant que les niveaux supérieurs
viennent prendre le relais.
« Le fait de puiser constamment
dans les ressources naturelles n'est pas sans incidence sur l'histoire. Il est
même, à long terme, l'élément le plus important du destin de l'humanité. »
C’est
indubitablement un facteur important. Mais il n’est qu’un des multiples
facteurs. Il ne remplacera par exemple jamais le libre-arbitre, la volonté individuelle.
« Par exemple, c'est en raison
du caractère irrévocable de la dégradation entropique de la matière-énergie que
les peuples originaires des steppes asiatiques, dont l'économie était fondée
sur l'élevage du mouton, commencèrent leur grande migration au début du premier
millénaire de notre ère. »
Voilà qu’il
commence à se mêler d’économie et montrer ses limites. Non, rien ne permet d’affirmer
cela. Ces peuples ont pu avoir de nombreuses raisons de migrer – ou pas d’ailleurs.
Ils auraient pu par exemple adopter une forme d’agriculture.
« Il est possible que les
efforts prodigieux pour atteindre la lune correspondent aussi à l'espoir plus
ou moins conscient de trouver l'accès à des sources nouvelles de basse
entropie. C'est aussi en raison de la rareté particulière de la basse entropie
dans l'environnement que, dès l'aube de l'histoire, l'homme a continuellement
cherché à inventer des moyens susceptibles de mieux capter la basse entropie.
Dans la plupart des inventions humaines - quoique non point dans toutes - on
peut voir se dessiner une meilleure économie de basse entropie. »
C’est ce que j’explique
plus haut, en effet. Mais il faut veiller à ne pas trop vite conclure à la
catastrophe.
« Rien ne saurait donc être
plus éloigné de la vérité que l'idée du processus économique comme d'un
phénomène isolé et circulaire ainsi que le représentent les analyses tant des
marxistes que des économistes orthodoxes. »
Nous sommes d’accord,
mais ça c’est qu’une conséquence du choix des mauvais référentiels économiques.
« Dans le monde économique, seule la
monnaie circule dans les deux sens d'un secteur économique à l'autre (bien que,
à la vérité, même la monnaie métallique s'use lentement de sorte que son stock
doit être continuellement réapprovisionne par prélèvement dans les dépôts de
minerais). À la réflexion, il apparaît donc que les économistes des deux
obédiences ont succombé au pire fétichisme économique, le fétichisme de la
monnaie. »
Ici, il vient
se mêler de monnaie mais je crains que dès sa première phrase il montre qu’il n’en
maîtrise pas le concept. La monnaie ne circule pas toujours – c’est une idée
keynesienne fausse. Quand on épargne, il n’y a pas de circulation. Et le
renouvellement du stock de monnaie – on parle de masse monétaire – n’est pas nécessaire,
car la monnaie n’est pas un étalon de valeur, mais simplement un moyen de thésauriser
l’échange.
Partie V
« Avec des savants prêchant que la science
peut éliminer toutes les limitations pesant sur l'homme et avec des économistes
leur emboîtant le pas en ne reliant pas l'analyse du processus économique aux
limitations de l'environnement matériel de l'homme, il ne faut pas s'étonner si
nul n'a réalisé que nous ne pouvons produire des réfrigérateurs, des automobiles
ou des avions à réaction « meilleurs et plus grands » sans produire aussi des
déchets « meilleurs et plus grands. »
Croit-il donc être
le premier à se poser la question des déchets ? Comme je l’ai montré plus
haut, ce n’est pas la question. La production de déchets ne permet en soi de
rien conclure sur l’avenir de l’homme. La vraie question c’est celle de l’éloignement
de la date où nous consommerons plus que les niveaux d’entropie nous permettront
de produire.
« Et même à présent nul ne
paraît voir que la cause de tout cela réside dans le fait que nous avons
négligé de reconnaître la nature entropique du processus économique. La
meilleure preuve en est que les diverses autorités responsables de la lutte
contre la pollution s'efforcent à présent, de nous insuffler l'idée de machines
et de réactions chimiques ne produisant pas de déchets et d'autre part, la
conviction que le salut dépend d'un perpétuel recyclage de déchets. »
Le processus économique
n’est PAS de nature entropique, il interagit avec la physique et donc dépend et
produit de l’entropie, c’est pas du tout la même chose. Personne n’en tient
compte parce que c’est un point mineur de l’économie. Le processus économique
est conçu pour gérer les ressources rares, c’est son rôle social. Dès lors, la
problématique de l’entropie est structurellement prise en compte par le processus
économique, contrairement à l’analyse de l’auteur.
Bien sûr que
la conviction est dans le recyclage, comme la simple logique découlant de ses hypothèses
posées par lui-même, comme exposé plus haut.
« En principe au moins, il
n'est pas contestable que nous puissions recycler l'or dispersé dans le sable
des mers tout autant que l'eau bouillie dans mon exemple antérieur. Mais, dans
l'un et l'autre cas, nous devons utiliser une quantité supplémentaire de basse
entropie bien plus considérable que la baisse d'entropie obtenue par ce qui est
recyclé. Car il n'y a pas plus de recyclage gratuit qu'il n'y a d'industrie
sans déchets. »
C’est
exactement ce que j’explique plus haut.
Partie VI
« Toutefois, aucun expert en
démographie ne paraît avoir soulevé une question bien plus vitale pour l'avenir
de l'humanité, à savoir : Combien de temps une population mondiale - qu'elle
s'élève à un milliard ou bien à quarante-cinq milliards d'individus - peut-elle
subsister ? Même le concept analytique de la population optimale sur lequel se
fondent plusieurs études démographiques se révèle, à l'épreuve, une absurde
fiction. »
La question n’est
pas une question démographique. Les démographes n’ont pas les outils d’analyse à
long terme car il ne peuvent rien anticiper au niveau technologique. C’est de
cette manière que Malthus s’était trompé, en faisant fi des « sauts
quantiques » de basse entropie franchis par le progrès technologique.
« En premier lieu, du fait de
l'élimination du partenaire traditionnel du fermier - l'animal de trait - la
mécanisation de l'agriculture permet de consacrer toute la surface cultivable
du sol à la production de nourriture (et au fourrage seulement dans la mesure
requise par le besoin de viande). Mais le plus important c'est qu'il en
résulte, dans l'apport de basse entropie, un déplacement de la source solaire
vers la source terrestre. Le boeuf ou le buffle, dont la puissance mécanique
procède du rayonnement solaire capté par la photosynthèse chlorophyllienne, est
remplacé par le tracteur qui est fabriqué et actionné au moyen de basse
entropie terrestre. »
Il nous
explique que sur ce « saut quantique » entropique, nous sommes passés
d’une dépense énergétique en partie de source solaire – le bœuf se nourrit de l’herbe
qui a emmagasiné du soleil – alors que le tracteur rompt ce lien solaire et
donc accroît fortement le bilan entropique.
Et alors ? Le bilan nourricier est lui aussi fortement accru, en compensation voire même bien au-delà. Ce n’est pas la hausse de l’entropie qui est un problème en soi. Seul le temps qu’il nous faudra pour atteindre ce point où l’entropie – donc le coût – sera trop haut pour nous nourrir fait question.
Et alors ? Le bilan nourricier est lui aussi fortement accru, en compensation voire même bien au-delà. Ce n’est pas la hausse de l’entropie qui est un problème en soi. Seul le temps qu’il nous faudra pour atteindre ce point où l’entropie – donc le coût – sera trop haut pour nous nourrir fait question.
« Par conséquent, la
mécanisation de l'agriculture est une solution qui, bien qu'inévitable dans
l'impasse actuelle, doit être considérée comme antiéconomique à long terme. »
Non, elle n’est
pas « antiéconomique ». Elle n’est juste qu’une étape, un saut
quantique entropique sur un long chemin, de saut en saut plus haut, jusqu’à ce
point que nous tentons de repousser toujours plus loin, c’est tout.
« Elle entraîne pour
l'existence biologique de l'homme une dépendance toujours croissante à l'égard
de celle des deux sources de basse entropie qui est la plus rare. Elle présente
aussi le risque de piéger l'espèce humaine dans un cul-de-sac en raison de
l'extinction possible de certaines espèces biologiques associées à
l'agriculture organique. »
Oui, ce risque
existe. C’est le risque de vivre, celui de l’Espèce. Rien de nouveau.
« … humaine. Pour illustrer
cela, supposons que S représente le stock actuel de basse entropie terrestre et
r une certaine
quantité moyenne annuelle
d'épuisement. Si nous faisons abstraction de la lente dégradation de S, comme
nous pouvons le faire sans inconvénient ici, le nombre théorique maximal
d'années requis pour le tarissement complet de ce stock sera S/r. Tel sera
aussi le nombre d'années au bout desquelles la phase industrielle de
l'évolution de l'humanité prendra forcément fin. »
On vient de le
voir juste avant : pour le coup, il
tombe réellement dans le malthusianisme. Non, on ne peut pas faire ce genre de
calcul, il est rendu vide de sens par l’évolution technologique et par l’auto-adaptation
démographique. L’espérance de survie de l’Humanité est supérieure à ce ratio,
elle l’a toujours été.
Partie VII
« La conclusion est évidente.
Chaque fois que nous produisons une voiture, nous détruisons irrévocablement
une quantité de basse entropie qui, autrement pourrait être utilisée pour
fabriquer une charrue ou une bêche. Autrement dit, chaque fois que nous
produisons une voiture, nous le faisons au prix d'une baisse du nombre de vies
humaines à venir. »
Jusqu’ici, il
avait à peu près évité les conclusions malthusiennes ridicules, mais voilà qu’il
y succombe. Comme si on pouvait faire ce genre de calculs, comme si la vie
demain devait primer sur la vie actuelle et surtout, comme si ce genre de
logique était inéluctable – il a oublié l’évolution technologique.
« Il se peut que le
développement économique fondé sur l'abondance industrielle soit un bienfait
pour nous et pour ceux qui pourront en bénéficier dans un proche avenir :
il n'en est pas moins opposé à l'intérêt de l'espèce humaine dans son ensemble,
si du moins son intérêt est de durer autant que le permet sa dot de basse
entropie. »
Une autre
grande erreur de bien des écologistes : se permettre de croire qu’ils
peuvent juger si l’humanité suit son destin et qu’il savent ce qui est bon ou
pas pour elle. Or tous buttent sur le paradoxe suivant qui devrait pourtant les
interpeller : alors qu’ils font partie de l’humanité, comment peuvent-ils
croire qu’ils en savent plus qu’elle ?
L’erreur ici
reflète clairement ce qui a déjà été identifié : la « dot de basse
entropie » n’est pas figée, elle évolue à la baisse avec la production,
certes, mais aussi à la hausse avec la technologie. Elle est certes finie, mais
le mécanisme qu’a inventé l’humanité pour durer le plus longtemps possible, c’est
de franchir des sauts de basse entropie grâce à la technologie.
« Car la course au
développement économique, qui est le trait distinctif de la civilisation
moderne, ne laisse aucun doute quant au manque de clairvoyance de l'homme.
C'est seulement à cause de sa nature biologique (des instincts dont il a hérité)
que l'homme a le souci de ses descendants immédiats, mais généralement non
point au delà de ses arrière-petits-enfants. »
Et alors ?
L’humanité y pourvoit autrement et bien plus efficacement.
« Et il n'y a ni cynisme ni
pessimisme à croire que, même si on lui faisait prendre conscience de la
problématique entropique de l'espèce humaine, l'humanité n'abandonnerait pas
volontiers ses fastes actuels en vue de faciliter la vie des humains qui
naîtront dans dix mille ans, voire dans mille ans seulement. »
En effet. Et c’est
précisément pour cette raison que les politique de décroissance sont vouées à l’échec :
parce qu’elles sont irréaliste en plus d’être fondées sur des théories
malthusiennes bancales.
« L'homme est ainsi fait qu'il
s'intéresse toujours à ce qui va arriver d'ici à demain et non dans des
milliers d'années. Et pourtant, ce sont les forces agissant le plus lentement
qui sont en général les plus décisives. »
Et pourtant,
ces forces sont compensées depuis la nuit des temps par d’autres forces encore –
la capitalisation et le progrès technologique,
« Dans cette perspective, il
apparaît que la pression croissante exercée sur le stock de ressources
minérales que provoque la fièvre moderne du développement industriel, ainsi que
le problème toujours plus préoccupant constitué par le besoin de rendre la
pollution moins nocive (ce qui accroît d'autant la demande relative au stock en
question), conduiront nécessairement l'humanité à rechercher les moyens de
faire un plus grand usage du rayonnement solaire, la source la plus abondante
d'énergie libre. »
C’est en effet
tout à fait possible voire probable. Et alors ?
« Certains savants sont
maintenant fiers de proclamer que le problème alimentaire est sur le point
d'être complètement résolu grâce a l'imminente transformation, à une échelle
industrielle, du pétrole en protéine alimentaire. C'est absurde à la lumière de
ce que nous savons de la problématique de l'entropie, dont la logique justifie
que nous prédisions au contraire que, pressée par la nécessité, l'humanité se
tournera vers la transformation inverse de produits végétaux en essence (si
toutefois elle en a encore besoin. »
Il n’y a
aucune logique derrière cet oracle. Il oublie encore une fois la diversité des
options technologiques.
« Aussi pouvons-nous être
quasiment certains que, sous cette même pression, l'homme découvrira des moyens
de transformer directement le rayonnement solaire en puissance mécanique.
Assurément une telle découverte représentera la plus grande percée imaginable
dans la problématique entropique de l'humanité, car elle donnera aussi à
celle-ci la maîtrise de la source la plus abondante pour la vie. Le recyclage
et la lutte contre la pollution consommeraient encore de la basse entropie,
mais celle-ci ne serait alors plus prélevée sur le stock vite épuisable de
notre globe. »
C’est en effet
tout à fait possible voire probable. Et alors ?
Pour conclure,
on constate que Nicholas Georgescu-Roegen n’a aucunement remis en cause les
acquis des théories économiques modernes ni les analyses qui en découlent quant
à notre espérance de vie sur Terre. Les théories décroissantes, si elles s’appuient
sur ces travaux, ont donc vraiment du souci à se faire.
Son analyse du
rôle de l’entropie dans l’évolution humaine reste cependant un résultat d’intérêt
qui fait un lien physique – économique trop peu ou mal décrit, à ma
connaissance.
Mais rien de
tout cela ne permet de changer les termes de la question fondamentale : l’enjeu
pour l’espèce humaine, qui en synthèse est de durer le plus longtemps possible,
consiste à constamment innover pour franchir les sauts technologiques qui seuls
réduiront chaque fois notre dépendance envers des ressources dépassées.
Mais l’innovation
pour se faire au mieux, suppose irrémédiablement une autre condition, bien plus
fondamentale : la Liberté de tous au sein d’une société libre, pacifique
et prospère. Autrement dit, l’humanité ne durera le plus longtemps que dans l’anarcapie.