Tuesday, November 6, 2018

Peut-on imaginer une société sans Etat ? - 3: Quelques auteurs théoriciens

J'aborde ici la troisième partie de ma présentation prévue pour Lyon dans quelques jours, visant à aborder la question de l'état : "Peut-on imaginer une société sans Etat ?"

Cette fois, le sujet sera différent et probablement plus facile, puisqu'il s'agit de passer en revue "quelques auteurs théoriciens" de la question. Il y en aurait de très nombreux à évoquer, des contemporains comme des anciens, dont une bonne part des auteurs des Lumières en France, en Ecosse ou en Angleterre, mais aussi des auteurs américains ou germanophones de la période du XIXe siècle, et on pourrait même aller chercher du côté de la Chine ancienne tant les idées de liberté sont universelles.

Parce que nous sommes en France, et pour vous permettre de les lire en français, j'ai fait une sélection de plumes françaises modernes et du siècle dernier. Et parce que la demande était faite de vous présenter des économistes "autrichiens", j'ai retenu des noms qui me semblent parmi les plus marquants chez cette "école". Enfin, j'ai retenu deux auteurs américains pour illustrer la "diversité" de cette littérature. Mais pour commencer sur une note souriante et ouverte, permettez-moi de citer quelques humoristes et un célèbre auteur de science-fiction.


Humoristes et Science Fiction

Notre époque connaît des humoristes, et c'est une saine chose. La critique de la société et du pouvoir est la garantie d'un certain degré de liberté, l'humour nous sauve. Mais il me semble que les années 80 ont connu trois personnages spécialement marquants, spécialement acides, très différents tous les trois mais iconique chacun, ayant hélas disparu bien trop tôt, et dont je pense que le verbe ne serait pas toléré de nos jours, du fait du "politiquement correct" ambiant. Ils sont de droite ou de gauche, ou de nulle part, et justement, peu m'importe, car tous se moquent de l'état.

Voici en premier Thierry LeLuron. Imitateur remarquable, il pastichait les hommes politiques de tous bords avec autant de verve et de clairvoyance. C'est avec lui que le grand Coluche avait organisé un mariage burlesque mémorable dont je pense que les dictateurs du genre actuels auraient peu apprécié l'humour.

J'ai retenu de lui cette phrase, parmi tant d'autres : "Le plus dur en France, c’est de devenir chômeur. Avant il suffisait de rater son certificat d’études, maintenant il faut avoir le bac, la licence, l’agrégation." Pourquoi cette phrase ? Parce qu'en quelques mots, elle démontre que les politiciens, donc l'état, sont nuisibles et néfastes dans (au moins) deux domaines essentiels de notre société, l'économie et l'enseignement, et qu'ils nous mentent continuellement. Elle rappelle que le chômage n'est jamais résorbé, mais au contraire savamment entretenu, et que pour que personne ne le remarque, on fait en sorte que le niveau d'instruction baisse constamment.

Passons à une personnalité fort différente, un auteur et un observateur de la nature humaine touchant au génie, j'ai nommé Pierre Desproges. Il est probablement le plus connu pour son rôle d'avocat de la défense du Tribunal des flagrants délires, mais il fut aussi auteur de sketchs célèbres comme celui des juifs et membre de la folle équipe du Petit Rapporteur.

Desproges eut de nombreuses formules pour exprimer sa "détestation" des hommes politiques, et du "système" en général. Celle-ci me parle tout spécialement : "L’élite de ce pays se permet de faire et défaire les modes, suivant la maxime : "Je pense, donc tu suis." Car c'est bien ainsi que les politiciens et surtout les bureaucrates fonctionnent avec nous, ils inventent des modes, des faux problèmes, nous créent de nouvelles peurs ou angoisses, et viennent se positionner en faux sauveurs, en chevaliers blancs de causes sans fondement, pour mieux nous conduire vers leur profit lamentable et vers notre perte.

Mais voici l'autre figure célèbre du mariage évoqué juste avant, ce cher Coluche. Je ne suis pas sûr qu'il faille le présenter ici, même si je tiens néanmoins à attirer l'attention sur ses opinions supposées "à gauche" que pour ma part je lis surtout comme anarchistes au sens strict, c'est-à-dire opposées au pouvoir et donc à la politique et aux politiciens, ce qui est très différent, je crois. Il est connu pour de nombreuses phrases chocs, j'en ai donc retenu une qui colle à mon sens avec cette position que je lui vois : "La grande différence qu’il y a entre les oiseaux et les hommes politiques, c’est que de temps en temps, les oiseaux s’arrêtent de voler." Je n'ai rien à y ajouter, les politiciens sont bien le fléau de notre civilisation.

Pour finir, et ce thème fait l'objet de tout un article dans Libres ! par Sylvain Gay, on trouve de nombreux ouvrages de science-fiction, et auteurs, qui se sont lancés dans l'imagination de mondes sans état, ou dans des critiques de l'état sous diverses formes. Comme le dit Sylvain, "née de la rencontre du progrès scientifique et technique et de la réflexion sur l’avenir, la Science-Fiction entretient des rapports étroits avec l’idée que la liberté est une valeur essentielle qui mérite d’être défendue."

J'ai retenu Philipp K. Dick, l'auteur de Blade Runner, Total Recall et Minority Report, qui nous rappelle que : "La réalité, c’est ce qui, quand vous cessez d’y croire, ne disparaît pas." - En quoi cela nous importe ici ? Et bien cela touche tout le domaine de la novlangue politique, en particulier celui où on tente de nous convaincre qu'il y aurait un intérêt général que l'état pourrait servir, alors que la réalité est qu'il n'existe que des intérêts individuels auquel l'état nuit en chacune de ses actions.


Ecole dite française

Pour revenir sur des auteurs plus classiques, j'ai choisi de revenir 170 ans en arrière, en France. En 1848, Frédéric Bastiat est alors député des Landes - il meurt prématurément de tuberculose en 1850. Avec un volume conséquent d'articles écrits à l'origine pour la presse ou comme lettres, il a alors rédigé ce qui sera plus tard édité comme les "Harmonies économiques", à savoir une des premières théories économiques et politiques modernes aboutie faisant la nique à l'interventionnisme étatique.

Bastiat est un proto-anarchiste capitaliste. Il est célèbre pour deux textes marquant en philosophe politique, à savoir "L'état" et "La loi". Il y décrit un état des plus "minimal", où la "loi" doit se limiter à garantir la propriété privée et à établir les conditions du laissez-faire économique le plus large. Mais il ne va pas, du moins pas explicitement, jusqu'à envisager une société sans état. Sur la première citation, il critique la guerre, la dépense publique et surtout la fausse monnaie produite sous caution étatique, et l'illusion d'enrichissement que beaucoup imaginent aller de pair avec plus de monnaie - ce qui est faux.

Sur la seconde, il critique l'homme politique, mais aussi notre espoir en l'homme politique, et cette croyance de tant de gens que ces surhommes auraient ce pouvoir et ce savoir leur permettant de nous sauver - voire de vivre à notre place.

J'ai choisi ensuite Gustave de Molinari, un Belge disciple de Bastiat, mort quelques 60 ans après lui. Il fut comme lui un "économiste" traitant de philosophie politique, autrement dit un des tout premiers à combiner une vision anarchiste en matière politique, mais purement capitaliste (au sens de pro-entrepreneuriale) sous l'angle de la théorie économique.

Molinari est spécialement connu pour ses "Soirées de la Rue Saint Lazare", où il développe ses théories et notamment ces phrases sur la propriété privée. Pour bien les comprendre, je crois qu'il faut tout d'abord se détacher de la notion de possession que nous y voyons souvent, même si elle reste un effet de la propriété. La propriété pour lui et ses successeurs est un droit, c'est-à-dire une convention sociale, accordée au propriétaire, lui donnant le contrôle de l'objet concerné. Un propriétaire, avant de posséder, dispose, il est en droit de décider quoi faire de sa propriété. La propriété est ainsi une autorisation sociale sur un objet. Et c'est en cela qu'elle rend inutile l'état en tant qu'autorité centrale, car elle matérialise un accord social individualisé et élémentaire.


Auteurs américains "divers"

Chez les anglo-saxons, on trouve des positions anarchistes libérales assez tôt, dès William Godwin par exemple, et des auteurs ensuite restent plus ou moins connus, tel chez les Américains Lysander Spooner ou comme Herbert Spencer que j'ai choisi ici.

L'ouvrage probablement le plus connu de Spencer est "Le Droit d'ignorer l'Etat", dont le titre me semble se suffire à lui-même quant à notre sujet. J'ai néanmoins choisi de Spencer deux phrases hors de ce texte. La première met l'accent sur la propriété privée comme gage de dignité de chacun de nous, et donc toute forme de perte forcée de propriété comme forme d'esclavage. Et c'est logique et cohérent lorsqu'on se souvient de la définition précédente de la propriété, qui est le contrôle, la capacité de décision. Si on ne peut pas ou plus décider de soi-même, de sa propre vie donc, on est bien en situation d'esclave. Tout état nous privant de notre propriété nous met donc en esclavage.

La seconde critique la fonction de législateur, car pour Spencer comme pour les auteurs à suivre, il n'y a pas de légitimité à la loi, au sens de la loi étatique, la légitimité ne pouvant venir que des personnes, adultes responsables, elles-mêmes, précisément si on les prétend responsables. C'est en fait une variante de la citation précédente, où la propriété est remplacée par la responsabilité : la loi en m'interdisant ceci ou cela - car la loi ne peut qu'interdire, ou donner prétexte au vol - elle nie ma responsabilité individuelle et ma capacité à me bien comporter et ainsi réduit mon champ de décision, donc ma propriété. On ne peut pas être responsable c'est-à-dire répondre devant la société et en même temps se voir nié sa propriété.

Mais passons à un autre auteur, Thomas Sowell, qui n'est pas un véritable anarchiste mais un économiste "minarchiste", favorable à un "état minimal". Néanmoins je l'ai choisi parce qu'il est très pédagogue, riche de bon sens et qu'il montre qu'il n'y a pas que des "blancs" pour penser de la sorte. Pour illustration, la première citation qui sur le sujet de la redistribution, nous ramène à la véritable question : plutôt que de débattre sans fin de redistribution, revenons à la question de comment gagner plus. Autrement dit, cessons de vouloir couper et partager un gâteau illusoire, cherchons plutôt à ce que chacun voie son propre gâteau croître.

La seconde est caractéristique de son angle de vue et de son retour au bon sens - je tiens à m'excuser pour la mauvaise traduction, au lieu de "avare", il vaut mieux lire "cupide" pour le "greedy" d'origine. C'est un retour sur le concept de redistribution, où il met le doigt sur l'incohérence de valeur qu'elle cache. Evidemment, derrière cette critique se cache également celle de l'instrument de la redistribution qui est la force étatique. Dans un monde anarchique, il n'y a personne pour redistribuer, mais il n'y en a aucun besoin, car la liberté et la libre concurrence sont là pour assurer la justice de la production - à supposer que ce terme ait un sens.


Ecole autrichienne & Libertariens

L'école d'économistes dite "autrichienne" remonte à Carl Menger, mort à Vienne en 1921, qui lança le premier les principes méthodologiques que ses successeurs ont développés et qui distinguent nettement cette lecture de notre monde des autres écoles d'économie - qui en réalité n'en sont pas. Deux générations plus tard, toujours depuis l'empire Austro-Hongrois, Ludwig von Mises donne ses bases définitives à cette théorie dans son "L'Action Humaine" magistral.

Élève de L. von Mises, Murray Rothbard pousse cette théorie plus loin encore, notamment sur les monopoles dans son volumineux "Man, Economy and State" en 1962. Il est surtout connu pour avoir en parallèle posé les bases d'une théorie complète de l'organisation politique et sociale libérée de l'état qui soit cohérente avec sa théorie autrichienne d'économie. Il est ainsi le fondateur du mouvement des "libertarians" aux Etats-Unis au début des années 1960.

Sur la première citation, Rothbard donne un exemple de son extrême rigueur conceptuelle, ici envers le vol et le meurtre qui sont les deux crimes fondamentaux de toute société - en fait, il n'y en a pas d'autre, tout crime véritable n'en est qu'une variante. Et bien sûr, il vise l'état par ces propos. Le meurtre étatique venant de la guerre, ou des polices trop zélées, et le vol venant de l'impôt ou de l'inflation, qui érode sournoisement le pouvoir d'achat et les bas de laines des plus pauvres.

Sur la seconde, au-delà du positionnement "à droite" ou "à gauche" que je ne crois pas intéressant ici, c'est plutôt le fait qu'il s'attaque ainsi aux deux flancs parce que chacun à sa manière est traditionnellement porteur d'idées étatiques. La gauche comme la droite ne savent pas respecter de manière stricte et systématique la propriété privée et donc la liberté.

Vient ensuite dans ma sélection Hans-Hermann Hoppe. Dit "HHH", il est l'élève et le successeur de Rothbard à la tête de l'école autrichienne et du mouvement libertarien. Il est surtout connu pour son ouvrage "Democracy, The God that Failed" qui met la démocratie en pièce et montre qu'elle est une des causes structurelles majeures des problèmes de la société contemporaine.

Sur cette première citation, HHH montre la rigueur libertarienne à l'oeuvre en mettant le doigt sur une des contradictions du rôle de l'état. Celui-ci est en effet censé être le protecteur du droit, c'est-à-dire le protecteur de la propriété privée, mais en même temps pourtant il est le premier à la violer lui qui nous force à le payer par des impôts et taxes arbitraires.

Et je finis bien sûr sur son sujet fétiche, la démocratie. Selon Hoppe, la démocratie n'est qu'une version "molle" du communisme. Et en effet, comme lui elle repose sur une confiscation de la propriété privée, par une soi-disant majorité envers l'individu. Hoppe considère que même si le processus d'érosion de la propriété est bien plus lent que dans le cas d'un communisme "classique", l'aboutissement reste le même et ne connaît pas d'échappatoire, du moins pas au sein de la démocratie bien sage.


Autrichiens français contemporains

Pour terminer cette partie sur les auteurs et théoriciens, je souhaite montrer que notre pays n'est pas en reste et compte des noms importants dans le petit milieu des libéraux anarchistes.

Pascal Salin peut je crois être présenté comme le leader des économistes autrichiens français et francophones. Ce qui est intéressant, c'est qu'il n'a pas toujours été autrichien, il y est venu assez tard mais pour devenir depuis un critique poli mais farouche de l'étatisme et de la fiscalité de ce pays. Salin reprend ici l'idée de la citation de Rothbard, mais plus pour montrer que la dichotomie droite-gauche ne correspond pas à la pensée de tout le monde, en particulier de ceux qui mettent leur liberté en premier.

Henri Lepage est celui qui a introduit le mot "libertarian", devenu libertarien chez nous. Sur cette citation, il rappelle que l'état n'est en réalité qu'une illusion, puisqu'il n'existe que par l'intermédiaire de la foule des bureaucrates et élus qui lui donnent substance et qui sont autant d'individus faisant avant tout avancer leurs intérêts propres.

Christian Michel est un entrepreneur autodidacte de la liberté qui a écrit quelques ouvrages non-académiques de haute facture sur la société libre et la critique de la société actuelle. C'est probablement celui des non-théoriciens qui m'a le plus influencé et le plus inspiré dans ma propre réflexion et démarche militante. Et justement, il nous indique que l'action militante digne, du moins celle se voulant cohérente avec les principes de non-violence libéraux, se doit de rester non-violente et donc de bannir toute forme de blocage, de prise de pouvoir ou même d'action électorale - un élu étant aussitôt en position d'imposer ses vues aux autres.

Enfin, je ne peux oublier Serge Schweitzer dont les talents de pédagogues et le sens de l'humour acide ont marqué des générations d'étudiants. Et parlant d'étudiants, il lance ici une pique affûtée au droit public et à ses enseignants dont il critique l'incohérence. Selon lui, le droit public est un non-droit, un faux-droit, puisque foisonnant d'arbitraire et de violation des principes immémoriaux du droit, et surtout permettant à des dispositions arbitraires de se voir parées par l'habit de la légalité, en lieu et place de la légitimité.

À suivre...

Thursday, November 1, 2018

Peut-on imaginer une société sans Etat ? - 2: Rôle présumé de l'Etat

Cet article constitue la seconde partie de la rédaction de ma présentation faite début novembre à Lyon, sur le thème de "Peut-on imaginer une société sans Etat ?", dont la première partie est accessible ici.

Cette fois, il s'agit d'entrer dans le sujet de l'état lui-même et des questions qu'il pose. Elles sont nombreuses, j'en ai retenues cinq qui partent des rôles classiques qu'on lui attribue communément, abordent ensuite des sujets plus contemporains mais hautement trompeurs, pour finir avec une réflexion ouvrant sur la démocratie.


Tension entre sécurité et dictature

La DDHC nous le précise, le dit clairement dans son Article 12 ("La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée."), le rôle premier de l'état est tout d'abord d'assurer notre sécurité, au sens large de cette "force publique" qui se doit de veiller au respect de nos droits. L'état est donc traditionnellement justifié, posé comme nécessaire et légitime du fait de ce besoin de sécurité inhérent à toute société "civilisée".

Il semble bien qu'une fois qu'on a dit cela, la question soit réglée une fois pour toutes : l'état serait donc indispensable, point final. Pourtant, on ne compte plus, dans l'histoire comme dans l'actualité, les exemples d'états devenus ou se comportant de manière dictatoriale, c'est-à-dire où sous prétexte de sécurité, les services de police ou de justice font violence a priori à des citoyens sans criminalité évidente. En théorie de la justice libérale, on exprime cela par la "violation du principe de non-agression", c'est-à-dire par "l'initiation de l'agression" envers une personne ne s'étend pas elle-même rendue coupable d'une telle initiative.

Il y a donc dans les faits une tension, une contradiction au minimum sous l'angle opérationnel, entre le besoin de sécurité auquel l'état est censé répondre et la non-sécurité que ce même état apporte souvent, sinon toujours, aux citoyens qu'il est réputé servir.

Cette tension n'est pas nouvelle, elle est connue depuis l'antiquité, où déjà Juvénal, satiriste romain, demandait il y a quelques 2000 ans "Quis custodiet ipsos custodes ?", c'est-à-dire "Mais qui gardera ces gardiens ?" Comment fait-on pour éviter que les gardiens à notre service finissent par nous mettre à leur service ?

Cela explique en partie l'existence de services que je dirai "élitistes" de sécurité, milices, gardes du corps, agents dans nos supermarchés, ou autres formes, dont la simple présence montre au moins que l'état tel que nous le connaissons ne suffit pas à régler cette question de la sécurité. Et que de plus, il ne le fait pas pour tous, puisque in fine ce sont ceux qui en ont le moins besoin (économiquement) qui finissent par trouver, opter pour des solutions alternatives.

Le but à ce stade de la présentation n'est pas encore d'apporter une réponse, j'y reviendrai plus loin, mais je vous glisse néanmoins une piste de réflexion : si la réponse ne peut venir d'une chaîne de gardiens des gardiens de gardiens, elle ne peut venir que d'une logique et d'une source complètement différentes, et qui se trouvent en nous tous.


Tension entre justice et injustice

Il s'agit bien sûr du même type de raisonnement que le point précédent, mais celui-ci était centré sur la police alors que je souhaite ici aborder la justice, l'autre pan du domaine de ce qu'on connaît sous le terme de "régalien", prétexte de l'état. Tous les paradoxes et biais identifiés pour la police se retrouvent pour la justice, avec par exemple l'infinie chaîne des appels et recours.

L'indépendance de la justice est une autre tarte à la crème classique, puisque les juges, fonctionnaires, réputés bras du pouvoir judiciaire séparé du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, sont en réalité payés par ce dernier grâce aux impôts qu'il a collecté par exécution des lois du troisième. On comprend que le juge, s'il doit trancher entre vous et un bureaucrate assez bien placé, ne vous laissera en réalité que peu de chances, car il pourrait bien être pécuniairement dépendant du bureaucrate.

Mais il y a deux perversités spécifiques de la justice étatique qui méritent qu'on s'y arrête un moment. La première qui vient à l'esprit tient bien sûr à l'erreur judiciaire. Elle n'est pas un scandale en soi, car juger certains crimes est loin d'être aussi facile et comme mathématique qu'on pourrait le souhaiter et l'erreur étant humaine, l'erreur du juge est impossible à éviter totalement - même si bien évidemment il faut chercher à la rendre aussi rare que possible. Le scandale vient par contre de la (faible) qualité de ce processus d'amélioration et des conséquences des erreurs.

Pour que la justice actuelle cherche réellement à s'améliorer, à faire moins d'erreurs, il faudrait que ses agents en aient une motivation tangible, pas que cela dépende de leur seule bonne volonté, forcément aléatoire. Dans le monde normal, quand on se trompe et qu'on est responsable, on en paye le coût - c'est d'ailleurs le principe de base de la "justice" instinctive. Or quel est le juge qui paye ses erreurs de jugement ? Vous en connaissez beaucoup qui se sont faits virer suite à erreur manifeste ? Comment peut-on espérer qu'il soit aussi prudent dans ses décisions qu'humainement possible s'il n'est pas lui-même directement motivé à réduire les conséquences de ses décisions ?

Cette perversion quant aux conséquences a historiquement conduit la justice (organe) à ne plus assurer la justice (service) dans sa démarche même. En effet, la justice moderne est ce qu'on appelle une justice punitive, elle sanctionne, par exemple par des peines de prison. Or une vraie justice, celle des cours d'école et des contrats que nous passons tous entre nous chaque jour est une justice réparatrice. C'est-à-dire une justice où celui qui cause des dommages à l'autre doit réparer - en payant ou en travaillant - ces dommages, éventuellement en ajoutant une compensation pour les torts causés. Dans une société juste, on ne cherche pas à mettre en prison, on cherche d'abord à dédommager les victimes. Où est passée cette justice-là ?


Recherche vs dogme

La recherche, bien que n'étant pas un domaine régalien, est considérée par beaucoup comme une des autres raisons de faire appel à un état. En France, cela se concrétise par l'existence du CNRS et de sa foule de laboratoires touchant aux domaines les plus variés et souvent insolites. Certains avancent ainsi que sans fonds "publics", sans bien préciser ce que cela couvre, il serait impossible de voir les travaux en recherche "fondamentale" financés, sans trop savoir ce que "fondamental" recouvre.

Je réponds que des gens comme Isaac Newton ou Albert Einstein ne se sont pas vus financés par un CNRS quelconque et que de nos jours, la masse de recherche mondiale dans des domaines aussi prometteurs que l'intelligence artificielle, la robotique ou les monnaies alternatives, parmi tant d'autres, doit l'essentiel de ses fonds à l'initiative et aux entreprises privées. Et que contrairement à cette image souvent idéalisée, le financement de la recherche par l'état conduit dans les faits à de nombreuses dérives qui ouvrent la porte au dogme et au politiquement correct. Je prendrai deux exemples pour l'illustrer.

Le dernier Nobel d'économie est allé à "deux Américains précurseurs de la croissance verte, Paul Romer et William Nordhaus". L'Académie justifie son choix par leur supposée mise au point de "méthodes qui répondent à des défis parmi les plus fondamentaux et pressants de notre temps : conjuguer croissance durable à long terme de l’économie mondiale et bien-être de la planète." On admire la neutralité journalistique. Sujet que j'ai pu aborder par le passé, je ne suis personnellement absolument pas d'accord sur la pertinence de tels travaux, mais ce n'est pas mon propos ici. Il s'agit plutôt de voir que le sujet écologique et climatique est clairement de mode. Et que ces travaux et ce prix n'auraient probablement pas été financés ni accordés si leur travaux n'avaient porté cette thématique en bannière. Autrement dit, il ne s'agit pas vraiment de travaux de recherche "fondamentale", mais de recherche "orientée". Un Nobel récompensant des travaux de recherche fondamentale en économie aurait dû depuis longtemps récompenser l'inventeur du BitCoin, plutôt.

L'autre image ne semble n'avoir rien à voir avec la recherche. On y voit ma fille devant une énorme pierre au sein d'un mur ancien - nous sommes à Sacsayhuamán au Pérou. Le dogme archéologique officiel affirme que ce site, et beaucoup d'autres, serait Inca. Pourtant, personne ne sait expliquer comment les Incas ont pu hisser des pierres de quelques 100 tonnes à 3.700 mètres. Et les recherches dans ce domaine sont en train de connaître une vigueur grandissante, largement sous l'initiatives d'individus hors des circuits de recherche officielle. Certes, dans la masse du "buzz" on trouve à boire et à manger et les charlatans abondent. Mais il reste in fine qu'on est en présence, au Pérou comme en Egypte ou au Cambodge, d'un refus des officiels de reconsidérer leurs thèses face à des privés qui prouvent chaque jour un peu plus que ces thèses n'ont aucune solidité. Recherche contre dogme.


Ressources vs famine

Notre époque très écologique attire notre attention sur le besoin de "protéger" nos "ressources naturelles". Certaines seraient proche de l'épuisement. Et cela justifierait pour bien des écologistes la prise de contrôle étatique, peu importe la forme, de ces ressources. Seul l'état saurait protéger et seul l'état saurait qu'en faire. Lui seul saurait trouver ce point d'équilibre si complexe entre nourrir le peuple, le voir prospérer et protéger les ressources. Il faut se rendre compte que de tels raisonnement ont déjà existé il n'y a pas si longtemps qui ont conduit à des catastrophes écologiques et surtout humanitaires sans guère de précédents.

Pour ceux qui ne connaissent pas cette tranche de l'histoire récente, et qu'il soit clair que je prends cet exemple sans biais idéologique particulier, les années 1958-62 ont vu en Chine se former une famine épouvantable, aboutissant à quelques 25 millions de morts et à une quasi disparition de certaines espèces animales. Le livre mis en référence - Mao's Great Famine, Frank Dikötter - donne un récit et des faits d'une rare précision et je vous le recommande, même si sa lecture est déchirante au possible.

Peu m'importe que cette famine ait été le résultat de la dictature de Mao, de Staline ou de Hitler, ou même de Louis XIV ou de la Mère Michel ; la seule chose qui m'importe tient au fait qu'il ait pu exister - et donc qu'il peut exister - un état central qui impose sa motivation propre et forcément égoïste à tout un peuple au point de négliger la survie de celui-ci, et même de le décimer.

Il est important au passage de revenir sur la complexité de l'équilibre évoqué ci-dessus. Bien évidemment, même si Mao et ses sbires se sont révélés par cette famine être des monstres absolus, on peut supposer qu'ils ne l'avaient pas imaginée au départ et qu'elle est arrivée sans qu'il l'aient désirée explicitement. Ils imaginaient pouvoir forcer le destin, forcer l'équilibre en leur faveur, obtenir en claquant des doigts à la fois production et prospérité, par simple décision politique centrale.

Ils ont comme bien d'autres jacobins et grands planificateurs découvert que les hommes et l'économie ne se dirigent pas aussi simplement. La complexité de la société humaine est immense, notamment à l'échelle de centaines de millions d'hommes, comme à l'époque en Chine. Il est tout simplement hors de portée de quelque gouvernement que ce soit de trouver et d'imposer un équilibre qui en réalité ne peut qu'émerger des choix combinés et entrelacés des individus eux-mêmes. C'est une des raisons majeures qui me portent à faire la promotion de la société libre, sans état.


Démocratie vs tyrannie

Après le régalien qui le légitimerait, deux exemples de travers sociaux obtenus quand on élargit son champ, je me dois de jeter un rapide regard sur l'argument démocratique qui est à la mode pour justifier la généralisation de l'état en toutes choses.

L'idée de base est bien connue, elle est évidente : la majorité (électorale) serait plus importante à satisfaire que toute minorité, le choix de la majorité doit donc être privilégié. Et cela devrait s'appliquer au domaine politique comme à tout domaine où il s'agit de satisfaire les gens : la majorité l'emporte. Les deux images que j'ai retenues parlent d'elles-mêmes. La démocratie, celle de la majorité aveugle, cela donne un président qui a comme seule compétence d'avoir osé dire 'oui' à tout le monde, et ça donne aussi un dictateur digne des pires caricatures, qui sait lui comment ne laisser le choix à personne - un parmi tant d'autres, je précise.

Mais comment cela se fait-il ? N'est-il pas légitime de chercher à résoudre l'impossible choix de celui qui nous gouvernera par l'arbitrage laissé au plus grand nombre ? Manifestement, non. Sinon, depuis les quelques deux siècles que la démocratie se déploie, et surtout depuis le début de sa généralisation il y a exactement un siècle, si la démocratie était facteur de paix et de prospérité, nous n'aurions pas connu autant de guerres, de morts et, il faut oser le dire, de déchéance sociale généralisée.

Le problème de la démocratie est dans son concept même. Comme le dit Popper, la majorité n'a en fait que rarement raison en matière politique. Car la politique, c'est compliqué, la famine chinoise nous en a donné une idée, bien sombre. Et quand pour arriver au pouvoir, il suffit de promettre, de dire 'oui' à tout le monde, le premier imbécile et surtout le premier des tyrans a vite fait de comprendre la combine. Ce cher Georges Frêche ne nous a-t-il pas enseigné que ce sont les "cons" qui votaient pour lui ?

La solution n'est dès lors plus dans "plus de démocratie", la démocratie ne peut en effet que précipiter notre chute et notre appauvrissement. La seule option consiste au contraire à en sortir, à réduire l'état pour éviter tout dictateur et tyran, et de rechercher une autre forme de satisfaction du plus grand nombre, de "démocratie non-tyrannique". Pour moi, c'est celle qui vient du libre marché, du choix que nous faisons tous librement, celui du commerce. La démocratie non-tyrannique, c'est celle où les services assurés classiquement par l'état nous viennent tous du commerce. Je vais y venir dans une partie à suivre...

À suivre...