Dans sa démarche, il a interrogé un certain nombre de libertariens relativement connus et de profils différents, ce qui donne à son texte un réalisme et une honnêteté qu’il convient de saluer.
Lors de ses échanges avec moi, il m’a à la fois interviewé puis ensuite demandé de répondre à quelques questions par écrit, sachant pour autant qu’il n’a retenu in fine qu’une partie infime de mes réponses et probablement de même s’agissant de Marc ou de Nathalie MP.
Ainsi, j’ai choisi de publier l’intégralité de ses questions et de mes réponses, ci-dessous, afin de donner à ceux que ça intéresse un regard complémentaire au sien, plus approfondi je crois, sur ce sujet et sur notre mouvement.
1°) Pouvez-vous vous présenter brièvement (Nom, âge, occupation, etc.) ?
Stéphane Geyres, 55 ans, Consultant en risque des systèmes d’information, Français, marié, 2 filles adultes, formation d’ingénieur, ayant vécu dans 5 pays.
Autodidacte de la liberté, tendance « anarchiste de droite » depuis toujours, libertarien depuis 10 ans une fois que j’ai eu découvert les grands auteurs à l’origine de cette ligne de pensée : Bastiat, Molinari, Rothbard et beaucoup d’autres depuis. Ancien président fondateur du Mouvement des Libertariens et co-éditeur des ouvrages « Libres ! » et « Libres !! ».
Abstentionniste par conviction et par respect pour les autres.
2°) Comment définiriez-vous votre pensée ? Plus largement la pensée libertarienne ?
Votre question a deux facettes et je vais en profiter pour éclairer la pensée libérale.
Tout d’abord, la pensée libertarienne, ce n’est rien d’autre que la pensée libérale poussée au bout de sa logique.
Ainsi, si la liberté est la première des valeurs républicaines, alors chacun doit (pouvoir) être libre en toutes choses et de la même manière (égalité) que tout le monde, et c’est cela et cela seul qui fonde notre fraternité.
Plus simplement : chacun doit être respecté pour son libre choix en toutes choses, tant que chacun respecte de même ce droit pour autrui.
Cela, c’est l’idée générale. Cela veut dire que le libertarien respecte les beurs, les gays, les noirs, les bobos, les bourgeois et tout le monde, pourvu que tout le monde le respecte en retour. Le libertarien se doit de n’agresser personne, par contre, s’il vient à agresser, il doit s’attendre à être sévèrement jugé.
Il y a des limites qui précisent ce qu’agression veut dire, j’y viens plus bas.
Mais l’idée générale ne veut pas dire que moi, individu, je me dois d’aimer tout le monde. J’ai le droit de ne pas aimer les jaunes (pure hypothèse), de refuser de leur parler ou de faire des affaires avec eux, pourvu que je les respecte et ne les agresse pas. C’est le respect et le libre choix qui comptent.
3°) Les libéraux / libertariens de France constitue-t-ils un bloc monolithique ? Sont-ils tous d’accord ?
Clairement, la réponse est non. Beaucoup y voient une faiblesse, et politiquement cela est vrai.
Pour ma part, mon expérience montre que c’est bien plus le résultat de l’instruction que nous recevons à l’école qui fait que 99% des Français sortent de l’enseignement avec une opinion négative du libéralisme, dont pourtant on ne leur a rien appris.
De ce fait, on rencontre, schématiquement, trois familles de libéraux.
Le plus grand nombre se rencontre chez les partis de droite ou leurs électeurs. Ils ont un instinct de la liberté, mais rarement la culture économique et philosophique qui leur permet de voir que le « mal » se trouve dans le pouvoir politique. Quand ils évoluent et se cultivent, souvent ils deviennent libéraux affirmés, voire « minarchistes ». Les minarchistes souhaitent un état minimaliste, centré sur les fonctions dites régaliennes. Et quand on bouscule ces minarchistes, enfin ils finissent par devenir pleinement libertariens. Mais pour vous répondre, tout ce processus conduit à de nombreux courants, qui sont tous le reflet des nombreux chemins que prend la pensée des individus vers leur liberté.
Mais il y a aussi, à mon avis un autre, immense, réservoir de libertariens : les abstentionnistes, parce qu’ils ont souvent déjà refusé le pouvoir politique.
Pour autant, peu importe l’unité de la pensée, pourvu qu’il y ait unité pour avancer vers la liberté.
4°) Ce courant de pensée est loin d’être majoritaire en France et ailleurs. Comment y êtes-vous arrivé ?
J’ai longtemps été instinctivement libéral, puis un jour mon environnement professionnel m’a poussé à m’intéresser à l’économie, qu’on ne nous enseigne pas, à tort, pendant nos études. Après pas mal de recherche sur Internet, je suis tombé sur l’école autrichienne, la seule qui ne repose pas sur une approche mathématisée et de ce fait la seule qui m’ait « parlé » et qui soit compatible avec la réalité de notre liberté individuelle.
A partir de là, j’ai peu à peu creusé le sujet et les sujets périphériques, puis j’ai fini par rencontrer d’autres personnes sur les réseaux sociaux qui partageaient ma démarche ou mon analyse. Les réseaux sociaux font beaucoup pour le développement de la liberté de par le monde.
N’en déplaise à beaucoup, le fait que nous soyons « minoritaires » n’enlève rien à la valeur de nos idées. Et à l’inverse, ce n’est pas parce que les gauchistes et étatistes sont largement majoritaires en France que cela donne à leur semblant de pensée une quelconque valeur ou pertinence.
5°) Quelles sont vos limites personnelles à cette “liberté absolue” (libre conso. des drogues, armes, etc.) ?
Je ne comprends pas bien votre terme de « limites personnelles », mais je vais tenter de répondre.
De manière générale, la liberté n’a comme limite que celle de notre prochain, c’est bien connu, mais cela reste fondamental. Donc ma liberté ne dépend pas d’un sujet ou d’un autre, mais uniquement de la nuisance (on parle « d’agression ») que je pourrais avoir envers autrui. La fin importe, pas le moyen.
Ce n’est pas pour autant un appel au chaos ni à la fumeuse loi de la jungle supposée, car on voit bien que dès qu’on franchit la limite, autrui a aussitôt le droit de se défendre. L’ordre est donc inhérent à la liberté, et de plus c’est le seul ordre vraiment juste et qui rende chacun responsable comme individu dans la société, puis qu’il n’y a personne d’autre que soi pour agir et répondre de ses actes, contrairement à la France actuelle et sa bureaucratie.
Pour revenir à vos exemples, je ne vois pas bien quel est le problème de la libre consommation ou des drogues. Attention, je ne me drogue pas, ne mélangeons pas svp. Il me semble d’ailleurs que sur de tels sujets, celui ou celle qui y trouve à redire, ce qui est son droit, porte non seulement un jugement sur les autres comme censeur, mais lorsque cela finit dans des textes de loi ou autres réglementations, va jusqu’à obliger autrui et à le contraindre.
Et je ne vois pas bien de quel droit quiconque pourrait m’imposer quoi que ce soit contre ma volonté, juste parce que ce je fais pourrait déplaire. Pas même un député, un président ou un juge que je ne connais pas. Un ami se drogue ? Vous trouvez que c’est mal pour lui ? Fort bien. Tentez de le convaincre, de le ramener à la raison, aidez-le, etc. Mais ne passez pas par la loi pour l’obliger, voire pour le conduire en prison.
Le cas des armes est un peu différent. Le problème vient de deux confusions. La première est dans le concept d’arme, qui est impossible à définir. Si on est contre le port d’arme, doit-on aller jusqu’à exiger de couper les mains, si on se rappelle que nos poings sont nos premières armes ? En réalité, n’importe quoi peut être une arme, c’est l’usage qui en décide.
La seconde confusion, plus grave, consiste à supposer que la possession d’une arme ferait aussitôt de son possesseur quelqu’un de dangereux. Or on peut posséder une arme juste par goût pour la collection. Une arme ne fait pas l’agression et surtout, elle peut permettre à une faible femme de mieux se défendre. Dans un monde où les armes sont partout, il devient plus difficile d’oser agresser le moindre passant.
6°) Que pensez-vous brièvement de ces différents sujets :
- 35 heures
La réponse courte est : une stupidité économique, car ce n’est pas le temps de travail qui compte, mais ce qu’il en résulte. Le travail n’est pas un gâteau à se partager, et personne ne travaille pour travailler. De plus, chacun devrait pouvoir choisir son travail et son temps de travail, pourvu qu’il trouve un accord avec son employeur. Plus généralement, tout le code du travail est une des causes profondes de notre faillite économique et sociale, basé qu’il est sur le marxisme. Il faut le supprimer, sans autre forme de procès - comme tous les autres codes, d’ailleurs.
- Sécurité sociale
Elle est source de tout sauf de sécurité et de social. Elle coûte une fortune à tous, ne tient aucun engagement, crée des dettes, contraint tout le monde à commencer par les professionnels, elle est un état dans l’état, bref un monstre et une aberration. Elle est de plus hors-la-loi puisque son monopole n’est plus reconnu par l’Europe depuis quelques 25 ans. Là encore, la réponse devrait être : chacun devrait pouvoir choisir sa propre couverture sociale, librement.
- CDI
Il y aurait beaucoup à dire, car le CDI exprime à lui seul tout le piège de la vision rigidifiée de la relation employeur-employé que porte le code du travail. Alors que le monde accélère et appelle à la souplesse, rigidifier ne protège pas l’employé, car cela le rend esclave de son employeur. Et l’on voit les burn-out, les suicides et tant d’autres déviances du monde du travail, tout cela parce que l’employé a peur du chômage et croit avoir perdu le pouvoir de dire « au revoir ». Cela n’est pas la faute aux patrons, mais la faute du code du travail et de ses inspecteurs.
- Retraites par répartition
Une autre aberration, et du vol à grande échelle, comme tout mécanisme de répartition. Nous cotisons en ce moment pour la retraite dont profitent nos parents qui n’ont jamais pu cotiser assez pour leur propre retraite, vu qu’on n’imaginait pas à l’époque un tel allongement de la durée de vie. Et par contre, quand viendra notre tour, retardé toujours plus loin, les caisses seront vides. D’ailleurs, pourquoi serais-je obligé de partir à la retraite ? Quel esprit abject a pu seulement un jour oser penser qu’un tel mécanisme pouvait avoir une quelconque valeur morale, sociale et économique ?
7°) On évoque à tour de bras “l’ubérisation de la société”, souvent comme un mal. Que cela vous évoque-t-il ?
L’uberisation est venue par les taxis et cela reste un excellent exemple non pas du problème des Uber et autres, mais des problèmes de la France.
On parle d’Uber, mais on oublie d’abord de parler des taxis, dont il faut m’expliquer pourquoi la profession est soumise à licence (onéreuse) au lieu d’être libre. Car tout le problème vient de là : si les taxis étaient une profession « libérale », ils seraient je pense heureux de vendre leur service à Uber ou à ses concurrents. Ou même de faire concurrence à Uber en montant une association, par exemple. En tout cas, la question ne devrait pas être politique.
En France, on n’aime pas la concurrence, paraît-il. C’est oublier que c’est la concurrence qui enrichit le consommateur, c’est-à-dire tout le monde, alors que tout ce qui vient de la bureaucratie non seulement n’enrichit personne, mais nous appauvrit tous. Il faut donc faire sauter tous les monopoles, plutôt que de jeter la pierre à Uber qui tente juste de nous rendre service. Au point d’en faire une question politique, alors que la politique ne peut rien faire de positif en matière économique. Après tout, si vous n’aimez pas Uber, ne l’utilisez pas, tout simplement. Mais laissez tranquilles ceux qui y trouvent un intérêt.
8°) Enfin, comment décririez-vous les milieux libéraux/libertariens si vous deviez en faire un portrait-robot (Moyenne d’âge, sexe, niveau d’éducation, niveau de revenu, etc.)
Voilà bien une colle. A titre d’illustration de la diversité du milieu, je vous encourage à consulter la liste des professions des auteurs des ouvrages « Libres ! » et « Libres !! ». Il y a de tout, des étudiants au professeur d’université, des salariés dans des domaines très variés, des médecins comme un batelier ou un moto-taxi, des entrepreneurs comme des agriculteurs ou photographes.
En général, ce sont des gens curieux, autodidactes, entreprenants, au bon sens affûté et qui ne se laissent pas imposer facilement le politiquement correct. Le libertarien est un contestataire respectueux et responsable, qui aime les hommes comme il s’aime lui-même et qui œuvre pour que tout le monde puisse bénéficier de la liberté qu’il réclame pour lui-même. Un humaniste, donc.