L’article ci-contre, publié le
14/08, traite des « libertarians » aux Etats-Unis, mais sa traduction
un peu rapide me donne l’occasion de clarifier et l’usage de ce terme et
certains des concepts qu’on lui associe, ici comme là-bas.
Le terme de
« liberal » est connu pour avoir été peu à peu galvaudé aux USA et
aujourd’hui être synonyme de « gauchiste » ou « leftist ».
De ce fait, s’est développé peu à peu le terme de « libertarian »
pour reprendre la place des concepts libéraux classiques. Ce mot n’est donc pas
prima facie le strict équivalent de notre « libertarien »
français, concocté par Henri Lepage pour embrasser minarchistes et
anarcho-capitalistes.
Là où cela devient croustillant,
c’est qu’en plus, de grands auteurs jouent avec les termes et sont souvent mal
compris. On pense ainsi à Murray Rothbard qui ne parle jamais que de
« libertarian » pour évoquer les libéraux – jusque-là tout va bien –
mais ce faisant pour exprimer le seul libéralisme possible pour lui,
c’est-à-dire l’anarcapie. Là, j’en vois qui rigolent moins, mais ce sont bien
sûr ceux qui n’ont pas compris le libéralisme. La lecture de cet article
mérite, et je vais m’y essayer, d’être faite avec ces différentes nuances en
tête.
Pour revenir donc à l’article,
il commence par tenter de récuser comme premier point que : « 1. Les
libertariens sont un groupe marginal de « hippies de droite », terme dont
Ayn Rand nous aurait affublés. Et d’expliquer que « suivant les sujets, les
libertariens sont aussi souvent d’accord avec les gens de droite qu’avec ceux
de gauche » et que même « il y a des libertariens dans tout le
spectre politique et dans les deux principaux partis ». Aïe. Pas d’accord.
On constate en effet en France
qu’il y a des gens qui se disent libéraux et qui avancent, affichent des
sensibilités de gauche comme de droite. Il y a les Libéraux de Gauche,
Alternative Libérale a été à un centre plutôt gauche avec son chèque éducation
et à l’inverse le PLD est plutôt dans la mouvance UDI-UMP, donc vaguement à
droite. Reason, la revue ayant publié l’article original, aurait donc
raison : en France aussi il y aurait des libéraux un peu partout sur le
spectre.
Mais quand on parle en France de
libertariens, c’est pourtant une autre histoire. Car un libertarien, ça pose
avant tout la propriété privée comme valeur de base. Bien sûr, il y a aussi le
principe de non-agression, mais in fine, pas de liberté ni de fonctionnement
social sain sans une propriété privée mise à un niveau quasiment sacré. Et je
ne parle pas de l’état. Dès lors, les impôts et autres fantaisies fiscales, qui
sont bannies et donc des concepts comme le chèque éducation ou le revenu
universel qui deviennent impensables car supposant un financement par la
fiscalité – ou par l’inflation, autre mode de fiscalité. Il est donc difficile
d’être libertarien et de gauche. Rothbard ou Hoppe je pense le diraient, être
libéral et de gauche, c’est une illusion, une plaisanterie.
L’article continue avec comme
second point de débat que « 2. Les libertariens ne prêtent aucune
attention aux minorités ou aux pauvres ». Il est dommage que le texte sur
cette partie soit assez confus et manque en fait complètement sa cible. Il part
sur des considérations gauchisantes – tel le fameux chèque éducation – pour
tenter de montrer que les libertariens ne sont pas que de simples égoïstes de
droite, mais oublie rien de moins que l’argument principal.
Car lorsque que Ayn Rand – et dieu
sait que je ne porte pas spécialement cet auteur dans mon cœur – fait dire à
John Galt « je ne vivrai jamais pour le compte d’un autre », elle véhicule
par cette phrase toute la logique économique et morale libérale. Et celle-ci explique
très bien que la meilleure façon de s’occuper des pauvres, c’est de leur offrir
une société dont les conditions leur permette de se prendre eux-mêmes en
charge, avec succès. Et de même, lorsque Rothbard et Mises construisent toute
la théorie autrichienne d’économie, ou Bastiat avec « ce qu’on ne voit
pas », ou encore Hazlitt et son économie en une leçon, ils passent leur
temps à mettre l’accent sur le consommateur, c’est-à-dire le peuple.
Le libéralisme repose sur le
capitalisme pur, sur l’idée que le rôle du marché est précisément de
récompenser par le profit l’entrepreneur qui aura servi le plus grand nombre,
sur l’idée que le progrès économique qu’apporte la liberté se traduit par une
baisse des prix et une hausse de la qualité inéluctables qui profitent au plus
grand nombre. Et de plus, la charité, seule vraie forme de solidarité, est
omniprésente chez les libertariens. Mais bien sûr aussi, que ceux qui sont
pauvres parce qu’ils ne s’investissent pas dans la société n’ont que ce qu’ils méritent.
Ensuite, nous avons droit à un
« 3. Le libertarianisme est un club réservé aux hommes » assez
imbécile mais qui est en effet une critique que nous avons souvent à subir.
L’article rappelle avec justesse le rôle clé de certaines femmes, aux USA. En
France, je me bornerai à constater que les membres les plus actifs de notre
Mouvement sont particulièrement équilibrés entre les deux sexes.
La critique suivante prétend que
« 4. Les libertariens sont pour la drogue, pour l’avortement et contre la
religion », en gros que nous serions libertins ou libertaires. Ce serait
bien sûr ne pas comprendre la différence profonde qu’il y a entre autoriser et
promouvoir. Ou entre admettre pour les autres sans pour autant pratiquer
soi-même. Le libertarien considère qu’il n’a rien à interdire à quiconque tant que
cela ne remet pas en cause ses propres droits de lui aussi faire ce que bon lui
semble. De plus, il y a des sujets ouverts, insolubles même, comme l’avortement
et l’euthanasie, mais qui trouvent chez les libertariens une solution simple
de part justement le droit de chacun de pratiquer comme il lui sied.
Il y a cependant une limite
pratique à ce raisonnement, parfois compris de manière un peu simpliste par de
nombreux libéraux qui pensent pouvoir se définir ainsi comme des gens
structurellement tolérants envers autrui. Ils oublient que la société libertarienne
est une société entièrement privée, où aucun espace n’est public et donc où
chacun à chaque instant est soumis certes au droit naturel, mais aussi aux
règles posées par le propriétaire de l’instant.
Et s’il est possible que, comme
sur les routes actuelles, tout le monde puisse circuler librement sur certains
espaces, puisse s’exprimer sans contrainte, il est tout aussi possible qu’au
contraire, les propriétaires décident de faire le tri. Et n’autoriser leurs routes ou leurs espaces qu’à de riches blancs ou qu’à de belles dames parlant
anglais, ou autres…
La libre circulation, la liberté
d’expression et la tolérance sont donc des chimères de libéraux qui sont restés
à gauche. Pour être plus juste après cette phrase volontairement un peu choc,
ces libertés ne sont pas acquises dans la société libre, elles peuvent exister
à conditions que le marché et l’ostracisme les exigent et poussent les
propriétaires à la tolérance. Même en société libre, la liberté reste un combat
de chaque instant.
Enfin, la dernière critique
évoquée par l’article est plus spécifiquement américaine, elle avance que
« 5. Les libertariens détruisent le Parti Républicain ». C’est une
bonne nouvelle, pour les américains certes, mais aussi pour les libertariens
partout en Europe. Les libertariens américains ont plusieurs dizaines d’années
d’avance sur nous. Ron Paul et maintenant son fils Rand font un travail
extraordinaire pour diffuser le message de la liberté et voilà qu’enfin
celui-ci fait bouger les lignes.
En France, nous n’en sommes pas
là, nous en sommes même loin. Pourtant, notre test à Villeneuve sur Lot l’a
montré : il y a des milliers de libertariens en ce pays, qu’il faut aller
chercher et convaincre de se battre. Et les libéraux qu’on dira
« classiques » ne sont même pas capables de se mobiliser sur de telles
actions, encore moins de venir nous soutenir – à de rares mais positives
exceptions près, que je salue. Comment dès lors compter sur des libéraux
« mous » qui n’osent pas attaquer le système de front et pour ce
qu’il est vraiment, mais visent plutôt une prise de pouvoir à leur
profit ?
Les libertariens ne sont pas des hurluberlus, pas des extrémistes ni des libertaires aux mœurs décadentes. Nous sommes simplement les porteurs exigeants d’un message de liberté comme seule solution inéluctable à la survie riche et pacifique des hommes sur cette Terre. Bien sûr, notre radicalisme fait mal aux privilégiés en place, nous mettons le doigt sur les archaïsmes et les aberrations du système et les résistances sont fortes. Mais quiconque a un soupçon d’honnêteté intellectuelle et d’intégrité morale ne peut que nous rejoindre. Et balayer avec nous ce système qui fait obstacle à la société de demain. Pour le reste...