Saturday, December 31, 2011
Simples réflexions sur l'avenir du "Quatrième Pouvoir"
Je fais du recyclage aujourd'hui, je retrouve un article de début 2009 écrit en réponse d'un journaliste toulousain - enfin, c'est ce qu'il y a sur sa carte de visite - à une invitation à participer à un "Meeting sur l'avenir du journalisme organisée par l'AJT.
A cette époque, j’étais en charge du risk management du second plus grand groupe de publication professionnelle au monde, qui subissait de plein fouet la crise de 2008 et l'internetisation des médias.
Bonjour Xxxxx,
Je te remercie de ton invitation à cet événement, mais comme c'est en semaine et que je ne pourrai donc pas y assister, je voudrais néanmoins contribuer car je te rejoins pour reconnaître l'importance du thème, ceci à titre à la fois citoyen, personnel et professionnel.
Citoyen car bien sûr il s'agit du quatrième pouvoir, de l'information et de la vigilance indispensable, personnel car des proches envisagent de devenir journalistes et enfin professionnel du fait que mon employeur, quoique pas réellement un groupe de média, agit dans le domaine de l'information et bien des questions qui se posent au journaliste et aux médias sont de même sur notre agenda.
Je ne suis pas tout à fait sûr des raisons, peut-être multiples et différentes, qui vous poussent à organiser ce débat, mais je suppose que la crise des médias, en partie liée à la concurrence du numérique et surtout du web, constitue une motivation forte. Il est vrai que ces derniers mois, le nombre de titres qui ont disparu ou du moins qui ont dû se reconfigurer est impressionnant. Par ailleurs bien sûr, le phénomène de facebook et des blogs personnels est également de nature à bouleverser le paysage et les conventions en matière de métiers et de marché de l'information. Et bien d'autres nouveautés encore, peu importe je pense.
Sans être un expert et avec humilité, je te propose quelques idées, fais-en ce que tu veux. Nous ne sommes pas du même avis sur tout, à mon sens tant mieux et cela pour moi n'empêche ni respect ni considération ou intérêt. Mon seul objectif est d'être utile a une profession que je considère essentielle pour une saine société.
Quitte à en enfoncer une porte ouverte, il me semble que ce phénomène du bouleversement des médias n'est pas en soi une attaque ou remise en cause du journaliste mais d'abord une mise en concurrence des médias au sens littéral, au sens du support vecteur de l'information. Traditionnellement, journalisme vient de journal et donc du support papier, distribué quotidiennement. Jusqu'ici, la contrainte quotidienne créait une limite au périmètre de diffusion physique d'un journal. Ou du moins sur son coût - on trouve bien Le Monde à New York tous les jours, mais pas à un prix équivalent à un journal local. Bref, la contrainte historique de diffusion locale à permis l'éclosion de centaines de journaux locaux au cours des derniers siècles. Et donc de très nombreux journalistes pour nourrir ces journaux.
Internet et le web viennent casser cette organisation en rendant totalement négligeable le coût d'accès non seulement quotidien mais instantané à n'importe quel journal online à l'autre bout du monde. Clairement, ce phénomène touche également le livre et même la radio et la télé. Mais il faut toujours des journalistes pour créer le contenu des journaux en ligne - ou encore sur papier.
On a donc une révolution en matière de concurrence. On verra qu'elle est double. Tout d'abord, la mise en ligne des journaux fait que chacun a soudain un choix de lecture considérablement multiplié, avec de plus le choix d'un support plus souple, sur lequel je passerai. Donc là où on pouvait choisir entre 5 à 10 quotidiens - ou magazines, c'est pareil - majeurs, on dispose soudain de centaines de titres pour peu qu'on parle 2 ou 3 langues, et de plus souvent sans débourser. Forcément, le nombre d'exemplaires papiers fond, ce qui réduit les ressources publicitaires et crée le cercle vicieux vers la faillite dans lequel bien des journaux se trouvent aujourd'hui.
A noter que cette disparition de titres n'est pas si négative qu'il y parait. Elle ne nuit tout d'abord en rien à la diversité des choix (on n'en a plus qu'on peut en lire) et surtout elle assure que ceux qui n'ont pas su suivre l'évolution et la demande sont conduit à choisir un autre avenir. Les mauvais disparaissent, et c'est tant mieux. Bien sûr, si on devait finir avec seulement qu'une poignée de titres dans le monde, ce serait une autre histoire, mais il y a encore des trames IP à passer à travers les routeurs avant que cela nous arrive.
Mécaniquement, le nombre de journalistes suit la baisse, première concurrence. Celle-ci est de plus renforcée par la concurrence des blogueurs et autres 'nouveaux médias' et réseaux sociaux, qui occupent l'espace. Et je passerai rapidement sur l'expansion des radios et télés par câble ou IP qui ne font qu'amplifier le processus. J'espère ne pas trop me tromper sur mon analyse jusqu'ici.
Là intervient à mon sens la seconde concurrence, celle du contenu, laissée de costé jusqu'ici, celle de la question fondamentale. Car lorsqu'on a ainsi un tel choix de lecture, qu'est-ce qui pousse à choisir et donc acheter (je dis volontairement 'acheter', car même si c'est gratuit, je dois accepter volontairement de me 'farcir' la pub qui m'est imposée, je paye donc) tel ou tel titre ?
Le prix certes, mais surtout, à prix comparable, la qualité et la pertinence du contenu, bien évidemment. Et les blogs et autres nouveautés numériques ne changent rien à cette donne. Si je vais sur certains blogs, c'est - en partie - parce que j'y trouve une information d'une qualité (terme subjectif, bien évidemment) que je ne trouve pas ailleurs et en particulier dans les journaux, tout simplement.
On ne lit ou achète pas que des quotidiens, les magazines de tous poils suivent la même logique, mais je simplifierai en ne me focalisant que sur les quotidiens généralistes (actualités, politique, économie...) car à mon sens cela ne change rien à la logique et c'est plus dans le sujet. Point à débattre sans doute.
Donc qualité et pertinence constituent à mon sens l'enjeu de la concurrence à l'échelle mondiale du marché de l'information, rien de bien surprenant. On voit donc que le journaliste est soumis à deux concurrences : du point de vue du nombre, il doit trouver son marché local - ou mondial mais spécifique ; du point de vue de sa pérennité, il doit apporter une information de qualité. C'est d'une grande banalité en fait :le journaliste est un acteur économique comme les autres.
La notion de qualité et pertinence est immensément difficile, bien évidemment - sinon, le problème serait simple - et elle renvoie à ta question initiale du rôle du journaliste. Ce rôle ne peut être défini qu'à la lumière du rôle du lecteur à mon avis. Car avant d'être lecteur, on est acheteur - même si on décide de subir la publicité. On décide d'investir dans une lecture. Il faut donc qu'on y voit un intérêt. Et le journaliste doit répondre à cet intérêt. On est donc bien dans une logique qui est avant tout économique, voire uniquement économique.
Dans l'analyse ci-dessus, j'assimile en fait le journaliste à tout acteur apportant ou créant de l'information, y compris le bloger amateur, ce qui peut être vu comme un abus de langage, voire un crime de lèse majesté, une désacralisation. Dans une perspective de quatrième pouvoir, il y a là aussi une désacralisation potentielle.
Je pense pour ma part que ce n'est pas le cas. La réalité est d'ores et déjà celle-là même, le terme de journaliste recouvre en fait des rôles, fonctions, activités, qualités très variées et très différentes, qui vont de la simple reprise d'annonce d'agence de presse à l'éditorialiste à la limite du philosophe en passant par l'animateur de shows médiatiques. Le blogueur dans cette réalité n'est qu'une nouvelle variante pour le lecteur, rien d'autre. Le fait que l'un ait une carte de presse, soit passé par une école de journalisme et pas l'autre ne change en réalité rien à l'affaire. In fine, l'individu qui transmet une information doit répondre à une attente de ses lecteurs, ou plus exactement, le lecteur ne juge qu'à travers le prisme de la qualité de la réponse à son attente, pas celui du statut - ou rarement.
Ainsi il me semble que poser la question du rôle du journalisme, ceci au singulier, c'est soit renier cet état de fait, soit - et je retiendrai cette option - plutôt une façon d'attirer l'attention sur la mise en danger réelle ou potentielle du quatrième pouvoir. Ce danger viendrait de nombreux facteurs, par exemple le non professionnalisme supposé des blogueurs, la perte de diversité des titres ou encore la dimension économique justement qui réduit l'indépendance face à l'influence financière.
Pour ma part, je considère tout simplement que le journaliste n'est pas ce fameux quatrième pouvoir, car il ne peut pas l'être, et cela est bien sûr regrettable. Des qu'on se trouve en fait un acteur économique, on ne peut plus jouer à ce titre le moindre rôle de critique politique objectif, car on est dépendant d'un marché. De célèbres journaux comme l'Humanité ou Libération jouent un rôle politique indéniable, mais ce rôle n'est en aucun cas objectif et leur critique n'est pas continue, elle fluctue au grès de l'électorat et du pouvoir en place.
Pour être plus juste, un même journal, un même journaliste ne peut pas jouer ce rôle de quatrième pouvoir en continu. Le journalisme, collectivement, le peut plus probablement. Et encore. Quand on considère par exemple aujourd'hui la question économique dans l'ensemble de la presse française, c'est à pleurer de conventionisme. Tout le monde en ce moment par exemple apporte sa vision de la crise, de la réglementation, des capitalistes etc. Mais il ne viendrait à l'esprit d'aucun (sauf de très rares, merci J-M.Aphatie) de rappeler par exemple le rôle catastrophique de l'état dans ce qui nous arrive. On tombe à bras raccourcis sur les entreprises et les banques sans voir que le problème vient en fait de trop de réglementations et d'un interventionisme de l'état hors de toute raison.
Ceci pour dire qu'aujourd'hui, en France mais aussi à bien des égards à l'étranger, le journalisme collectivement ne joue plus son rôle d'aiguillon du pouvoir, et depuis trop longtemps. La mode est même à aiguillonner le capitalisme à la place - ce qui n'est pas une mauvaise chose en soi, le problème c'est d'oublier le reste. Il est ainsi hallucinant que la presse de gauche ne s'intéresse désormais plus à la liberté et se trompe complètement en matière d'égalité. La menace de loi Hadopi par exemple, qui a fait l'objet d'un éditorial par le Nouvel Obs totalement idiot et liberticide constitue un exemple désolant.
A force de dire ce que le peuple veut entendre, à force de ne pas réfléchir et simplement transmettre des 'informations ou 'nouvelles' brutes pour occuper l'espace et le marché, cette situation n'est malheureusement pas une surprise.
Je vois poindre une critique à ce stade. Alors que je démontrais plus haut que le journalisme n'est rien d'autre qu'une économie, et donc qu'elle suit le marché, qui est donc roi, je viens de dire que c'est une mauvaise chose. Les deux sont vrais. Le rôle du journaliste consiste à vendre de l'information à qui veut l'entendre. Ce n'est pas de servir de manière *institutionnelle* ni de manière *garantie* de quatrième pouvoir, aiguillon du pouvoir. Il n'y a en fait pas de rôle *institutionnel* du journaliste et c'est très bien - les gens peuvent réfléchir par eux-mêmes. En fait, il ne faut pas de quatrième pouvoir institutionnel, le marché s'en charge.
Que dans ce contexte, les blogs et autres fantaisies numériques soient vus comme une menace pour le journalisme, c'est compréhensible, mais pour ma part j'y vois justement là une chance extraordinaire. Car enfin le blogueur n'a pas cette contrainte économique - du moins pas au début. Certes un blogueur qui finirait par devenir semi-professionnel par excès de succès retomberait dans le journalisme ou l'économie de l'écriture.
Mais le simple citoyen, qui échange, s'exprime, critique, met au défit, conteste sur son blog ou facebook, sans autre espoir de retour que d'être écouté et peut-être entendu, c'est là à mon sens le vrai quatrième pouvoir. Il peut analyser, critiquer, influencer à loisir, c'est l'anti-1984. On peut lire ce qu'il écrit ? A la bonne heure !
Alors quel rôle pour le journaliste à l'aune du numérique ? Eh bien le même qu'avant. Il peut prendre l'option économique de masse, avec un peu de saine humilité, c'est un rôle utile, ou être condamné à être un excellent éditorialiste engagé et de ce fait recherché, mais recherché par ceux qui veulent le lire. Mais le quatrième pouvoir, désormais, réside dans la liberté et l'indépendance que seul Internet offre, à mon avis. Pourvu que ça dure.
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